vendredi 3 octobre 2014

AUX ARMES SOYONS FASCISTES !

AUX ARMES SOYONS FASCISTES !


Version française – AUX ARMES SOYONS FASCISTES ! – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson italienne – All’armi siam fascisti! - Franco Fortini - 1961

Sur les places des villes, dans les rues des vieux bourgs,Voici les importants, les dignitaires, les fiduciaires...









Texte de Franco Fortini, du film « All’armi siam fascisti!» réalisé de Lino Del Fra (1927-1997, Romain, réalisateur et scénariste), Cecilia Mangini (1927-, des Pouilles, réalisateur et photographie) et Lino Miccichè (1934-2004, Sicilien, historien et critique cinématographique).
Musique d'Egisto Macchi (1928-1992,
Toscan, compositeur).



Hier soir j'ai regardé ce splendide film dont Franco Fortini écrivit le texte, magistralement interprété en voix off par Gian Carlo Sbragia, Nando Gazzolo et Emilio Cigoli.


« All’armi siam fascisti! » révolutionna le cinéma documentaire en Italie et fut vite d'une épine dans le flanc d'un pays qui, encore solidement dans les mains de nombre des protagonistes et complices du Ventennio (20 ans de fascisme), abordait l'époque radieuse du boom économique, bien disposé à étendre un voile pieux sur le récent, interminable passé de dictature, de sang et de guerre. Les réalisateurs Del Fra, Mangini e Miccichè eurent beaucoup de peine à réaliser ce chef-d’œuvre : d'abord, l'Istituto Luce, détenteur des droits sur toutes les actualités et documentaires tournés pendant le Ventennio , de but en blanc révoquèrent l'autorisation d'accès à ses archives et à tirer des copies des séquences déterminées ; ensuite ce fut le Ministère du Spectacle à refuser permis et autorisations… Mais entre temps, le film était présenté à la Mostra de Venise de 1961 et il était évident que personne et rien n'aurait pu l'arrêter, car il n'y avait pas de photogramme qui n'était pas tiré de documents authentiques de l'époque et donc chaque image était sans équivoque vraie, il devenait difficile d'en défendre la libre et intégrale vision si ce n'est pour des raisons indicibles, inavouables.


Pourtant pendant des mois, on retarda le visa de la censure. C'est seulement suite à la courageuse initiative personnelle du maire de Florence Giorgio La Pira, démocrate-chrétien mais éclairé, qui décida de le projeter de toute façon en public au Festival des Peuples, finalement en Mars 1962 « All’armi siam fascisti! » eut l'autorisation de distribution. Toutefois beaucoup de copies déjà dans les salles furent coupées (la séquence des prêtres qu'ils font le salut romain et celle des mariages et des accouchements de masse pour fournir des « fils à la patrie ») et à un festival en Tchécoslovaquie le film ne fut pas projeté à cause des séquences sur le culte de la personnalité de Staline et sur le pacte Molotov-Ribbentrop et en raison d'un passage dans lequel Fortini compare la guerre d'Espagne à la répression en Hongrie.

Et ensuite « All’armi siam fascisti!  » provoqua les réactions, disons, « désordonnées » des (fascistes du Mouvement Social Italien) . À Rome, après la projection au cinéma Quattro Fontane, les fascistes flanquèrent par des fenêtres des chaises et des tables sur le public à la sortie de la salle, en causant des dizaines de blessés. Et ce ne fut pas un épisode isolé… Comme il écrit Fortini : « Ce film ne veut persuader personne. Ce film veut dire seulement que nous sommes les fils des événements rapportés à l'écran, mais que nous sommes aussi responsables du présent. À tout instant, dans chaque choix, dans chaque silence comme dans chaque mot, chacun de nous décide du sens de sa vie et de celle d'autrui. »
(sources : le livret qui accompagne DVD du film, publié par Rarovideo ; recension sur le site
della Scuola di cinema documentario intitolata a Cesare Zavattini)
Quelle est la séquence qui m'a plu le plus ? Sans hésitation, celle d'une visite de Mussolini dans la Maremme bonifiée, où on a suspendu tout commentaire sonore et musical et où résonne seulement l'interminable mugissement des vaches posées en paradetout au long de la route du cortège : « Meuh! ! ! Meuh ! ! ! Vive le Duce ! ! ! Meuh ! ! ! Meuh ! ! ! »…
À environ une demi-heure du début, on trouve ce poème qui je crois est un peu le résumé du film, l'explication parfaitement synthétique de ce qui fut et du pourquoi du Fascisme, « l'organisation armée de la violence capitaliste » :


Sur les places des villes, dans les rues des vieux bourgs,Voici les importants, les dignitaires, les fiduciaires,Les puissants, les excellences, les éminents,Les influents, les députés, les notables,Les autorités, les protégés, les podestàs,Les hommes de l'autorisation, de l'intimidation,De l'onction et de la recommandation ;
Voici ceux qui font le prix du grain et des opinions,
Qui ont en main le marché du travail et celui des consciences,
Et puis, il y a ceux qui ouvrent les guichets,
Baisent la main à « votre excellence », et remercient toujours
Car ils ne connaissent jamais leurs droits.
Les voilà à dire oui
Dire oui
Car tous font ainsi;
Dire oui
Car l'a dit Monseigneur l'évêque
Et le commandeur qui a étudié
Dire oui
Car ils ont quatre enfants
Dire oui
Car il faut faire carrière
Dire oui
Car on ne veut plus crever de faim
Dire oui
Car on a un crédit
Dire oui
Car on a une dette
Dire oui
Car on y croit
Dire oui
Car on n'y croit pas.
Car enfin rien ne compte.
Car on ne compte pas…

Dire oui
Car on n'a plus de camarades...