samedi 22 août 2020

Après les Drapeaux


Après les Drapeaux


Chanson française – Après les Drapeaux – Henri Tachan1969
Paroles : Henri Tachan
Musique : Jean-Paul Roseau




L’Apothéose de la guerre
« Dédié à tous les grands conquérants anciens, actuels et à venir »
Vassili Verechtchaguine – 1871







Dialogue Maïeutique

« Après les Drapeaux » ?, demande Lucien l’âne. Qu’est-ce que ça veut dire ? Va-t-on voir un cortège commémoratif, une sorte de parade nationale ou un défilé nationaliste ?

Pas du tout, rassure-toi, répond Marco Valdo M.I., car d’abord, ce n’est pas le genre d’Henri Tachan et ensuite, laisse-moi te dire qu’il ne s’agit pas du sens habituel du mot « drapeau ». Peut-être, sais-tu qu’en français, « être sous les drapeaux » est une expression qui veut dire « faire le soldat », « être (requis, réquisitionné) dans l’armée », « faire son service militaire », « servir dans le contingent » et j’en passe. Enfin, bref, quelque chose du genre. De sorte qu’« après les drapeaux » signifie tout simplement « après avoir été soldat », et ici, plus spécifiquement, « après avoir fait la guerre ».

Bon, soit, dit Lucien l’âne, mais quelle guerre ? Il y en a eu tellement.

Là, Lucien l’âne mon ami, vu l’année de la chanson (1969) et l’allusion dès le début au « djebel » et plein d’autres éléments dans la chanson, la réponse est claire et nette, il s’agit de la guerre d’Algérie, vue du côté d’un ancien soldat de l’armée française. C’est un récit d’après-guerre, une sorte de compte-rendu de campagne d’un troufion, un « obligé » du contingent, un zig contraint de crapahuter dans le djebel comme des milliers d’autres et ce bidasse, ce soldat démobilisé qui raconte la vie du campement, c’est Henri Tachan ; il détaille aussi les séquelles au retour dans la vie civile. Mais je te préviens l’érotisme miliaire réserve des surprises.

Ça ne m’étonnera pas trop, dit Lucien l’âne, j’en ai tant vu dans tant de guerres et de bien des armées. Cependant, c’est là un aspect, une face de la Guerre de Cent Mille Ans qui n’est pas souvent abordé sous cet angle de vue.

Tout juste, Lucien l’âne mon ami, d’habitude, comme pour Adèle, L’Histoire du Soldat, Quand un Soldat, ce sont toujours de braves, bons, gentils et vertueux gars qui s’en reviennent au pays tandis qu’ici, comme je l’ai laissé entendre, il est question d’autre chose : de l’activité érotique militaire pratiquée (par défaut) sur des chèvres et des canards tout au long des longues campagnes de chasse à l’indigène, au terroriste, au résistant, comme on voudra ; c’est selon le point de vue où on se place. L’ennui, c’est que les chèvres, à force, deviennent syphilitiques ou blennorragiques et leurs amants de passage aussi.

Oh, dit Lucien l’âne, voilà une belle illustration de ta légendaire antienne : « Les amibes de mes amies sont mes amibes. »

Pour tout dire, reprend Marco Valdo M.I., c’est une chanson réaliste tout comme celle de Jacques Brel : « Au Suivant ! » ; mais ce n’est pas tout, elle évoque également certaine conséquence aussi dramatique qu’insidieuse que l’on découvre plus tard : le profond désarroi, la blessure mortelle qui frappe pendant longtemps après et parfois, finit par tuer celui qu’on a forcé à pratiquer la tuerie patriotique. Le retour à la vie civile n’est pas nécessairement le retour à une vie pacifiée :

« Mais après les drapeaux,
L’autre vie recommence :
Si j’ai sauvé ma peau,
Ai-je vraiment eu de la chance !? »

Oh, dit Lucien l’âne, faut pas s’y fier ; j’entraperçois déjà ce mirage de suicide qui hante l’ex-militaire :

« Mais un soir en cachette j’irai dans le métro,
Prendre enfin mon plaisir sous le corps d’une rame. »

Il n’y a pas à dire, ce genre d’aventure, ça laisse des traces. Enfin, je vais prendre le temps de lire cette histoire en chanson. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde armé, trop armé, guerrier, insensé et cacochyme

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






C’était en 1900 et plus, dans le djebel,
Au nom de la Patrie, promus artificiers,
Nous rêvions en silence aux gros culs de nos belles,
En violant quelques chèvres à l’ombre des figuiers.

Pardi ! Six mois de jeûne, ça vous titille un homme,
Et qui plus, des soldats, vainqueurs « in partibus »,
Si bien qu’en fin de compte, on se surprit, en somme,
Au bout de quinze jours, à baiser les cactus !

Hissez les drapeaux !
Une minute de silence !
Garde-à-vous les héros
Pour l’honneur de la France !
Mais après les drapeaux,
L’autre vie recommence :
Le retour des héros
Se passe sous silence !

On s’excitait parfois, entre deux gourdes d’eau,
Dévorés par les poux, bouffés par les moustiques,
Aveuglé de soleil et râlant sur le dos,
On cherchait l’ombre rare d’un mirage érotique !

Lucien qui l’avait fine mais de belle tenue,
Taraudait en expert de très jeunes canards,
Et s’endormait enfin, puant, goinfré, repu,
La chemise tâchée comme nos étendards !

Hissez les drapeaux !
Une minute de silence !
Garde-à-vous les héros
Pour l’honneur de la France !
Mais après les drapeaux,
L’autre vie recommence :
Le retour des héros
Se passe d’importance !

Quand la paix fut signée, que tout fut déconquis,
Qu’on nous réexpédia au pays des bordels,
Dans nos veines coulait le foutre des maquis :
Nous ne regardions plus passer les jouvencelles…

Mais le temps a passé, qui lave les cerveaux,
Aujourd’hui gentiment je contente ma femme,
Mais un soir en cachette j’irai dans le métro,
Prendre enfin mon plaisir sous le corps d’une rame.

Hissez les drapeaux !
Une minute de silence !
Garde-à-vous les héros
Pour l’honneur de la France !
Mais après les drapeaux,
L’autre vie recommence :
Le retour des héros
Se passe à contre-sens.

Mais après les drapeaux,
L’autre vie recommence :
Si j’ai sauvé ma peau,
Ai-je vraiment eu de la chance !?