Charles
et Claes
Chanson française – Charles et Claes – Marco Valdo M.I. – 2016
Ulenspiegel
le Gueux – 23
Opéra-récit
en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La
Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs
(1867).
(Ulenspiegel
– I, LXXIX)
Cette
numérotation particulière : (Ulenspiegel
– I, I), signifie très
exactement ceci :
Ulenspiegel :
La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs,
dans le texte de l’édition de 1867.
Le
premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman
comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre
d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur
vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui
ne figurent pas ici.
Entends le clairon de l’ange ! |
Nous
voici, Lucien l’âne mon ami, à la vingt et troisième canzone de
l’histoire de Till le Gueux. Les vingt-deux premières étaient, je
te le rappelle :
01
Katheline
la bonne sorcière
(Ulenspiegel
– I, I)
02
Till
et Philippe
(Ulenspiegel
– (Ulenspiegel – I, V)
03.
La
Guenon Hérétique
(Ulenspiegel
– I, XXII)
04.
Gand,
la Dame
(Ulenspiegel
– I, XXVIII)
05.
Coupez
les pieds !
(Ulenspiegel
– I, XXX)
06.
Exil
de Till
(Ulenspiegel
– I, XXXII)
07.
En
ce temps-là, Till
(Ulenspiegel
– I, XXXIV)
08.
Katheline
suppliciée (Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09.
Till,
le roi Philippe et l’âne
(Ulenspiegel
– I, XXXIX)
10.
La
Cigogne et la Prostituée
(Ulenspiegel
– I, LI)
12.
La
messe du Pape, le pardon de Till et les florins de l’Hôtesse (Ulenspiegel – I, LIII)
13.
Indulgence (Ulenspiegel
– I, LIV)
14.
Jef,
l’âne
du diable (Ulenspiegel
– I, LVII)
15.
Vois-tu
jusque Bruxelles ?
(Ulenspiegel
– I, LVIII)
16.
Lamentation
de Nelle, la mule et la résurrection (Ulenspiegel
– I, LXVIII)
17.
Hérétique
le Bonhomme
(Ulenspiegel
– I, LXIX)
18.
Procès
et condamnation (Ulenspiegel
– I, LXIX)
19.
La
Mort de Claes, le charbonnier (Ulenspiegel
– I, LXXIV)
20.
Le
Talisman rouge
et noir
(Ulenspiegel
– I, LXXV)
21.
La
Vente à l'encan
(Ulenspiegel
– I, LXXVI)
22.
Telle
est la Question
(Ulenspiegel
– I, LXXVIII)
Il
te souviendra Lucien l’âne mon ami que la dernière fois, nous
avions laissé Till et sa mère Soetkin en bien piteux état, mais
libérés et libres après une séance de question assez éprouvante.
Dans notre opéra-récit comme dans les romans et les films, à la
différence du réel, on peut sauter
du coq à l’âne
(http://www.expressio.fr/expressions/passer-sauter-du-coq-a-l-ane.php)
sans inconvénient…
Sauter
du coq à l’âne, quelle drôle d’expression, que veux-tu dire
par ces mots venus de je ne sais trop où ?, dit Lucien l’âne
en clignant de l’œil droit, de sorte que selon la parole
évangélique, son œil gauche pouvait ignorer ce que faisait son œil
droit.
En
effet, en effet, sauter du coq à l’âne, passer du coq à l’âne
est une expression étrange, mais qui à ma connaissance tout au
moins ici – ne relève pas – rassure-toi – de la zoophilie.
Elle veut tout simplement dire que l’on change de sujet de
conversation sans transition, sans même prévenir son interlocuteur.
Lors donc, on saute de a très shakespearienne « Telle est la
Question » à la chanson qui nous occupe, intitulée « Charles
et Claes » ; c’est-à-dire Charles Quint et Claes le
charbonnier, qui sont – respectivement – les pères de nos
protagonistes antagonistes : celui de Philippe et celui de Till.
Dès lors, c’est une chanson qui fait le pendant à celle qui
mettait en place cette histoire de Till le Gueux – la deuxième,
intitulée elle aussi de deux prénoms : « Till et
Philippe ». je ne saurais trop insister sur la dimension
polysémique de ces chansons et e particulier, sur la dimension
hautement symbolique des personnages.
À
propos, justement, des personnages, il me semble que – pour ce qui
est de ceux qui ont réellement existé, tes histoires en prennent à
l’aide avec l’Histoire.
Oui
et non, et je t’assure que ce n’est pas là réponse de Normand.
D’abord, je suis le récit de Charles De Coster. Cependant, dans
l’ensemble, les faits historiques et les éléments biographiques
sont exacts. Mais, et tu vas le voir dans cette chanson, il y a une
dimension fantasmagorique, complètement imaginaire et surréelle qui
est en étroite connivence avec l’atmosphère religieuse dans
laquelle baignait la société à l’époque. Relent d’encens et
de gaz ecclésiastiques. Elle y baigne encore toujours un peu
différemment, même si on peut constater qu’elle s’en dégage
progressivement.
On
y travaille, dit Lucien l’âne en souriant. C’est une part de ce
que j’appelle « tisser le linceul ou le suaire ou le sudario
de ce vieux monde », chose que l’on rappelle fréquemment,
tant il est nécessaire de le faire obstinément et en sens contraire
des bonnes gens et du « politiquement correct », qui vise
à empêcher toute contestation et de ce « vivre ensemble »
où il convient d’accepter leurs vessies de porc pour des lanternes
magiques, qui sert à noyer le poisson et à camoufler la
Guerre de Cent Mille Ans [[7951]] que les riches et les puissants
font aux pauvres pour maintenir leur domination, accroître leurs
richesses et ancrer l’exploitation au cœur de la société.
On
ne saurait être plus clairet tu mets le doigt dans l’œil qu’il
faut, car « l’œil était dans la tombe... »
Qu’il
y reste, dit Lucien l’âne en riant.
Pour
en revenir à la chanson, il faut préciser qu’elle est un rêve
éveillé de Katheline, dont on sait déjà qu’elle un peu voyante.
C’est une pure invention de Charles De Coster qui précisément
comme fonction de permettre des sauts dans le temps, dans l’espace
et dans l’imaginaire, procédé qu’il avait déjà utilisé pour
décrire l’abdication de Charles Quint.
Dans
l’imaginaire, mais que peut-on y trouver dans l’imaginaire ?,
dit Lucien l’âne d’un ton incrédule.
Le
Paradis
[[48810]], pardi ! Donc, Charles et Claes sont appelés par le
« clairon de l’ange » à se présenter au jugement du
seigneur, en l’occurrence le Christ. Et c’est l’interrogatoire
devant le juge suprême, qui se conclut par le paradis pour Claes et
la venue de Lucifer pour conduire Charles aux enfers. Voilà qui
finit abruptement pour le malheureux Charles Quint. C’est
évidemment une conclusion quelque peu optative, mais elle rejoint
bien le « sens commun » ; l’empereur, tueur
invétéré, ne saurait bénéficier dans l’au-delà d’un destin
favorisé. Ceci va tout à fait dans le sens de l’image naïve
telle qu’elle était diffusée dans les populations et qui était
ressentie par Katheline. Elle est fort consolante, mais peu réaliste…
Elle ne correspond évidemment pas à l’opinion, ni aux attentes de
la cour impériale ou royale.
Cette
étape tourne la page des pères, elle est centrale. Je me demande
tout de même ce qui attend Charles aux enfers.
C’est
le sujet de la prochaine chanson et comme tu le verras, il va devoir
payer cher son arrogance et sa cruauté. Pourtant, je t’invite
quand même à considérer que nous sommes dans le rêve.
Ah
bien ! Alors, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce
vieux monde pieux, pillard, impitoyable et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
En
l’an cinquante-huit du siècle,
Charles
mourut en Estramadoure
Et
Katheline vit de ses yeux de folle
L’empereur
et le charbonnier, tour à tour.
Claes
interpelle sa voisine :
Que
fais-tu ici femme Katheline ?
Et
toi, père de Till, te voir est étrange.
Je
vais au jugement. Entends le clairon de l’ange !
Je
voulais le toucher, ma main le traversait ;
Son
corps était comme une buée.
D’Espagne,
une autre ombre montait
Vieille,
laide, décrépite, essoufflée
Le
menton en pantoufle, visage de pierre,
Couronne
impériale, manteau de roi,
D’une
main, l’ombre tient un anchois ;
De
l’autre, un hanap empli de bière.
Elle
voudrait boire sa bière, finir son anchois,
Mais
une fois encore, le clairon sonna.
Claes
et Charles étaient au pied du trône,
Prêts
au jugement et sans couronne.
Charles,
dit la voix, qu’as-tu pour ta défense ?
Je
me suis confessé de mes offenses,
Oint
par vos prêtres, sacré roi et empereur
Pour
garder votre pouvoir, j’ai semé la terreur.
Tu
semas la terreur chez les gens sans défense.
Tu
fis décapiter, brûler, pendre pour t’enrichir.
De
ton avidité, cent mille personnes périrent.
Despote,
tu n’aimais que toi, bière, vins et magnificence.
Claes,
le bon homme, fut aimable et tendre ;
Travaillant
et riant, il hérita d’argent.
C’était
corde pour le pendre.
On
le dit réformé et on le brûla incontinent.
Ainsi
parla l’ange au juge suprême.
Qui
dit : va, Claes, au paradis, Marie t’emmène.
Les
anges te laveront et tu seras beau et jeune.
L’éternité
pour toi et ceux qui t’aiment.
Le
clairon sonna encore à nouveau
Du
fond de l’abîme, nu et fier, arrive Lucifer.
Que
faut-il faire de ce vieil hobereau ?
Emporte-le
dans tes enfers.