mercredi 27 janvier 2016

Charles et Claes

Charles et Claes


Chanson française – Charles et Claes – Marco Valdo M.I. – 2016

Ulenspiegel le Gueux – 23

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – I, LXXIX)

Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs, dans le texte de l’édition de 1867.
Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d’où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.



Entends le clairon de l’ange !






Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la vingt et troisième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les vingt-deux premières étaient, je te le rappelle :

01 Katheline la bonne sorcière (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe (Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique (Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame (Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds ! (Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till (Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till (Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée (Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l’âne (Ulenspiegel – I, XXXIX)
10. La Cigogne et la Prostituée (Ulenspiegel – I, LI)
13. Indulgence (Ulenspiegel – I, LIV)
14. Jef, l’âne du diable  (Ulenspiegel – I, LVII)
15. Vois-tu jusque Bruxelles ? (Ulenspiegel – I, LVIII)
16. Lamentation de Nelle, la mule et la résurrection (Ulenspiegel – I, LXVIII)
17. Hérétique le Bonhomme (Ulenspiegel – I, LXIX)
18. Procès et condamnation (Ulenspiegel – I, LXIX)
19. La Mort de Claes, le charbonnier  (Ulenspiegel – I, LXXIV)
20. Le Talisman rouge et noir (Ulenspiegel – I, LXXV)
21. La Vente à l'encan (Ulenspiegel – I, LXXVI)
22. Telle est la Question (Ulenspiegel – I, LXXVIII)


Il te souviendra Lucien l’âne mon ami que la dernière fois, nous avions laissé Till et sa mère Soetkin en bien piteux état, mais libérés et libres après une séance de question assez éprouvante. Dans notre opéra-récit comme dans les romans et les films, à la différence du réel, on peut sauter du coq à l’âne (http://www.expressio.fr/expressions/passer-sauter-du-coq-a-l-ane.php) sans inconvénient…

Sauter du coq à l’âne, quelle drôle d’expression, que veux-tu dire par ces mots venus de je ne sais trop où ?, dit Lucien l’âne en clignant de l’œil droit, de sorte que selon la parole évangélique, son œil gauche pouvait ignorer ce que faisait son œil droit.

En effet, en effet, sauter du coq à l’âne, passer du coq à l’âne est une expression étrange, mais qui à ma connaissance tout au moins ici – ne relève pas – rassure-toi – de la zoophilie. Elle veut tout simplement dire que l’on change de sujet de conversation sans transition, sans même prévenir son interlocuteur. Lors donc, on saute de a très shakespearienne « Telle est la Question » à la chanson qui nous occupe, intitulée « Charles et Claes » ; c’est-à-dire Charles Quint et Claes le charbonnier, qui sont – respectivement – les pères de nos protagonistes antagonistes : celui de Philippe et celui de Till. Dès lors, c’est une chanson qui fait le pendant à celle qui mettait en place cette histoire de Till le Gueux – la deuxième, intitulée elle aussi de deux prénoms : « Till et Philippe ». je ne saurais trop insister sur la dimension polysémique de ces chansons et e particulier, sur la dimension hautement symbolique des personnages.

À propos, justement, des personnages, il me semble que – pour ce qui est de ceux qui ont réellement existé, tes histoires en prennent à l’aide avec l’Histoire.

Oui et non, et je t’assure que ce n’est pas là réponse de Normand. D’abord, je suis le récit de Charles De Coster. Cependant, dans l’ensemble, les faits historiques et les éléments biographiques sont exacts. Mais, et tu vas le voir dans cette chanson, il y a une dimension fantasmagorique, complètement imaginaire et surréelle qui est en étroite connivence avec l’atmosphère religieuse dans laquelle baignait la société à l’époque. Relent d’encens et de gaz ecclésiastiques. Elle y baigne encore toujours un peu différemment, même si on peut constater qu’elle s’en dégage progressivement.

On y travaille, dit Lucien l’âne en souriant. C’est une part de ce que j’appelle « tisser le linceul ou le suaire ou le sudario de ce vieux monde », chose que l’on rappelle fréquemment, tant il est nécessaire de le faire obstinément et en sens contraire des bonnes gens et du « politiquement correct », qui vise à empêcher toute contestation et de ce « vivre ensemble » où il convient d’accepter leurs vessies de porc pour des lanternes magiques, qui sert à noyer le poisson et à camoufler la Guerre de Cent Mille Ans [[7951]] que les riches et les puissants font aux pauvres pour maintenir leur domination, accroître leurs richesses et ancrer l’exploitation au cœur de la société.

On ne saurait être plus clairet tu mets le doigt dans l’œil qu’il faut, car « l’œil était dans la tombe... »

Qu’il y reste, dit Lucien l’âne en riant.

Pour en revenir à la chanson, il faut préciser qu’elle est un rêve éveillé de Katheline, dont on sait déjà qu’elle un peu voyante. C’est une pure invention de Charles De Coster qui précisément comme fonction de permettre des sauts dans le temps, dans l’espace et dans l’imaginaire, procédé qu’il avait déjà utilisé pour décrire l’abdication de Charles Quint.

Dans l’imaginaire, mais que peut-on y trouver dans l’imaginaire ?, dit Lucien l’âne d’un ton incrédule.

Le Paradis [[48810]], pardi ! Donc, Charles et Claes sont appelés par le « clairon de l’ange » à se présenter au jugement du seigneur, en l’occurrence le Christ. Et c’est l’interrogatoire devant le juge suprême, qui se conclut par le paradis pour Claes et la venue de Lucifer pour conduire Charles aux enfers. Voilà qui finit abruptement pour le malheureux Charles Quint. C’est évidemment une conclusion quelque peu optative, mais elle rejoint bien le « sens commun » ; l’empereur, tueur invétéré, ne saurait bénéficier dans l’au-delà d’un destin favorisé. Ceci va tout à fait dans le sens de l’image naïve telle qu’elle était diffusée dans les populations et qui était ressentie par Katheline. Elle est fort consolante, mais peu réaliste… Elle ne correspond évidemment pas à l’opinion, ni aux attentes de la cour impériale ou royale.

Cette étape tourne la page des pères, elle est centrale. Je me demande tout de même ce qui attend Charles aux enfers.

C’est le sujet de la prochaine chanson et comme tu le verras, il va devoir payer cher son arrogance et sa cruauté. Pourtant, je t’invite quand même à considérer que nous sommes dans le rêve.

Ah bien ! Alors, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde pieux, pillard, impitoyable et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


En l’an cinquante-huit du siècle,
Charles mourut en Estramadoure
Et Katheline vit de ses yeux de folle
L’empereur et le charbonnier, tour à tour.

Claes interpelle sa voisine :
Que fais-tu ici femme Katheline ?
Et toi, père de Till, te voir est étrange.
Je vais au jugement. Entends le clairon de l’ange !

Je voulais le toucher, ma main le traversait ;
Son corps était comme une buée.
D’Espagne, une autre ombre montait
Vieille, laide, décrépite, essoufflée

Le menton en pantoufle, visage de pierre,
Couronne impériale, manteau de roi,
D’une main, l’ombre tient un anchois ;
De l’autre, un hanap empli de bière.

Elle voudrait boire sa bière, finir son anchois,
Mais une fois encore, le clairon sonna.
Claes et Charles étaient au pied du trône,
Prêts au jugement et sans couronne.

Charles, dit la voix, qu’as-tu pour ta défense ?
Je me suis confessé de mes offenses,
Oint par vos prêtres, sacré roi et empereur
Pour garder votre pouvoir, j’ai semé la terreur.

Tu semas la terreur chez les gens sans défense.
Tu fis décapiter, brûler, pendre pour t’enrichir.
De ton avidité, cent mille personnes périrent.
Despote, tu n’aimais que toi, bière, vins et magnificence.

Claes, le bon homme, fut aimable et tendre ;
Travaillant et riant, il hérita d’argent.
C’était corde pour le pendre.
On le dit réformé et on le brûla incontinent.

Ainsi parla l’ange au juge suprême.
Qui dit : va, Claes, au paradis, Marie t’emmène.
Les anges te laveront et tu seras beau et jeune.
L’éternité pour toi et ceux qui t’aiment.

Le clairon sonna encore à nouveau
Du fond de l’abîme, nu et fier, arrive Lucifer.
Que faut-il faire de ce vieil hobereau ?
Emporte-le dans tes enfers.