L'Aveu
théâtral
Chanson
française – L'Aveu
théâtral–
Marco Valdo M.I. – 2015
ARLEQUIN
AMOUREUX – 4
Opéra-récit
historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola
« Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le
titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J.
Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de
l'édition française de « LES JAMBES C'EST FAIT POUR
CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez
Flammarion à Paris en 1979.
Voici
donc la suite de cette longue fuite de l’Arlequin déserteur. On le
suit quasiment pas à pas. L’été, souvenez-vous, il était à
Marengo. Les régiments vainqueurs à midi, vaincus à une heure,
décimés, étrillés, remontaient vers Vienne et la haute protection
de l’Empereur François, qui dit-on n’était pas une lumière et
tenait les Tchèques et la Bohême sous son auguste botte. Comme on
sait aussi, notre Arlecchino est en réalité tchèque et son idée
fixe est de remonter en Bohême. Un périple de près de mille
kilomètres… à pied et en se cachant, la plupart du temps.
L’automne se passe à traverser les montagnes et à tenter
d’atteindre Prague pour y passer l’hiver. Ce qui, tout bien
considéré, était un fameux détour. La route la plus directe (mais
quand on est déserteur, ce n’est peut-être pas la meilleure)
aurait suivi le trajet suivant : Marengo, Vérone, Vicenza,
Venise, Udine, Graz, Vienne, Brno, Litomyšl…
Mais quoi qu’il en soit, ça représentait des jours et des jours
de marche… et par tous les temps et sans trop pouvoir se montrer.
C’est
assez dur en effet. Surtout pour un humain. Sans même un âne pour
le soutenir et lui tenir compagnie. Cela dit, maintenant que tu en
parles, il me semble quand même avoir comme une réminiscence… Il
ne voyageait pas sous son nom… C’est normal. Je me souviens d’un
drôle de personnage qui se disait italien, n’en parlait pas un
traître mot et devait s’appeler quelque chose comme Louis
Sébastiano… Mais c’était au printemps suivant ; je l’ai
porté de Prague à je ne sais quel château en Bohême par des
chemins de terre au moment où les arbres commençaient leur
floraison. Un paysage tout en couleurs.
De
cela, tu en sauras plus par la chanson ; mais à mon sens, ce
doit bien être lui. Enfin, il s’en revenait à Litomyšl
au château des Wallenstein, car il avait appris qu’il y avait là
une place de conseiller in teatro à prendre. Le Wallenstein s’était
fait bâtir un théâtre…
À
Litomyšl ?, dit
Lucien l’âne stupéfait, c’est-à-dire au milieu de nulle part…
Certes,
mais en quelque sorte, que ne ferait-on pas pour asseoir sa gloire ?
Et puisque théâtre, il y avait ; il y fallait un conseiller
« in teatro », les précédents ayant disparu, notre
Arlecchino, dûment renseigné, se présente à la Comtesse sous la
fausse identité d’un artiste venu de Venezia pour occuper
l’emploi. La Comtesse n’est absolument pas dupe, même pas un
instant. Un artiste vénitien qui parle le tchèque, a-t-on déjà vu
ça ? Dévoilé, il avoue tout et le reste. Même son statut
précaire de déserteur, mais la Comtesse s’en fout. Elle l’engage
en attendant le retour du Comte.
Voilà
donc notre ami casé, au moins pour quelque temps. C’est un
soulagement. Il exulte et promet un avenir radieux à son Arlecchina…
Holà,
cette Comtesse est un fameux personnage, une bonne mère, en quelque
sorte. Imagine, elle va sciemment abriter un déserteur… Ce n’est
pas tous les jours qu’on voit ça… Mais j’y pense, depuis
Prague, il se fait reconnaître et on ne le dénonce pas… C’est
très tchèque… et cette manière de tromper l’occupant ou le
dominateur, on la retrouve tout au long de l’Histoire de ces
contrées. J’ai comme l’impression que cette histoire d’amour
d’Arlecchino pour une Arlecchina évanescente cache quelque chose
ou plutôt, raconte autre chose… Enfin, on verra. En attendant,
tissons nous-aussi le linceul de ce vieux monde dominateur, hostile,
mesquin et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Jiří
Joseph,
comte de Wallenstein
Voulait
un conseiller in teatro
J’avoue
dit Matthias, l’ex-fantassin
Arlequin,
detto Luigi Sevastiano
Fuyant
fuyard sous les pluies d’octobre
Dans
les brouillards de novembre
De
plaines en montagnes vers le pays,
Avant
l’hiver, à Prague, il te faut un abri.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui,
Monsieur Chi,
Oui,
Monsieur Nelle,
Oui,
Monsieur Polichinelle.
Matthias,
te faut chercher un métier ? Quel métier ?
Dans
ces campagnes de Marengo, j’ai tout oublié.
La
guerre est finie, Matthias. Te faut rentrer au pays.
Fine
la guerre ? Jamais pour les déserteurs et j’en suis.
Sais-tu
l’italien, mein Freund von Venezia.
Il
te faut un nom, tu n’en as pas.
Disons
Luigi, infortunato re di Francia
Et
Sevastiano, le félon des marionnettes en bois.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui,
Monsieur Chi,
Oui,
Monsieur Nelle,
Oui,
Monsieur Polichinelle.
Arlecchina,
ma rose blanche
Refais-toi
une beauté, Arlecchina
Un
peu de poudre à tes yeux, c’est dimanche.
Galop,
galop, on va, on va, on va…
Demain
ma mie, il y aura du pain, de la viande
Des
saucisses, des anchois, des anguilles
Un
citron, deux oranges, des airelles
De
la crème, des raisins, des amandes.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui,
Monsieur Chi,
Oui,
Monsieur Nelle,
Oui,
Monsieur Polichinelle.
Ah,
dit la comtesse, un conseiller in teatro
Pour
le théâtre vide du château ?
La
dame appuie le bras sur l’accoudoir ;
Le
Comte est à Vienne. Il reviendra plus tard.
De
Venise, dites-vous et tchèque vous parlez…
Vous
chantez, vous dansez ? Ballerino, j’ai été.
Où
es-tu né, Arlecchino ? Ici, douce dame.
Je
suis déserteur. Ce n’est pas un drame.
Oui,
Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui,
Monsieur Chi,
Oui,
Monsieur Nelle,
Oui,
Monsieur Polichinelle.