mardi 30 janvier 2018

Ogalla, Ogallala

Ogalla, Ogallala

Chanson française – Ogalla, Ogallala – Marco Valdo M.I. – 2018




Dialogue maïeutique



Oh la la, oh la la, Marco Valdo M.I. mon ami, quel titre est-ce là ? De quoi elle cause la chanson-là ?

Je me doutais que tu allais faire une pareille réflexion, Lucien l’âne mon ami et comme on peut l’imaginer, j’ai une réponse à te donner, dont j’espère qu’elle ne te décevra pas. En premier lieu, ce n’est pas « Oh la la Oh la la » le titre de la chanson, c’est « Ogalla, Ogallala ». Et ça change tout, même si je dois reconnaître qu’en écho, il y a bien l’expression que tu avances qui laisse entendre qu’il y aurait un drame qui se jouerait. Et pour un drame, c’en est un et un drame à rebondissements qui n’est pas près de finir. Venons en au fait : l’Ogallala du titre n’est la petite ville du Nebraska, à laquelle tu pensais certainement, mais une gigantesque nappe aquifère (Ogallala aquifer) d’environ 450.000 km², une superficie entre celle de la France : 543.000 km² et celle de l’Italie : 301.000 km². Cette sorte d’immense lac souterrain se situe au milieu des Zétazunis, sous les États suivants : Colorado, Dakota, Kansas, Nebraska, Nouveau Mexique, Oklahoma, Texas et Wyoming et de façon plus géologique sous Les Grandes Plaines, pays de la légende étazunienne qu’Yves Montand chantait : « Dans les plaines du Far West quand vient la nuit, les cow-boys près du bivouac sont réunis… ».

C’est toute la légende du western qui a déferlé sur le cinéma, dit Lucien l’âne. Un mythe patriotique lui, ce Far West. Comme on sait, il n’y a rien de plus nocif et de plus toxique que les mythes patriotiques.

Pour en revenir à la chanson, Lucien l’âne mon ami, il te faut savoir que l’aquifère Ogallala vivait tranquille sous le continent. Avant l’arrivée des colons, il gonflait ses réserves sous une steppe semi-aride où paissaient les grands herbivores, tout en alimentant des fleuves, des rivières, des lacs. Mais les fermiers sont arrivés et ont découvert cette immense, mais pas infinie, réserve d’eau et ils l’ont pompée afin de faire de ce semi-désert une des zones les plus productrices de céréales et autres nourritures destinées pour l’essentiel à l’élevage et in fine, à nourrir les troupeaux humains des grandes cités. Il en fallut toujours plus et on renforça les capacités de pompage, jusqu’à vider quasi-complètement l’Ogallala.

C’est terrible, dit Lucien l’âne. On aurait dû les prévenir.

C’est terrible, en effet, Lucien l’âne mon ami. Ce qui est terrible, c’est qu’ils sont prévenus depuis longtemps. Une première semonce avait été tirée vers 1930 – le Dust Bowl désastreux qui inspira diverses chansons à Woodie Guthrie et au-dessus d’Ogallala, la terre n’était plus alors qu’une étendue brune poussiéreuse. Le message d’Ogallala était clair ; on fit semblant de ne pas comprendre. On tira la conséquence qu’il fallait forer plus, plus profond et pomper, pomper pour arroser, arroser. On fit appel à des techniques et des équipements de forage plus puissants, plus efficients et on intensifia l’exploitation des terres. Les populations agglomérées autour de ce pactole augmentaient ; les villes réclamaient des montagnes d’eau pour leurs habitants et leurs entreprises. Entretemps, il fallut soutenir l’effort de guerre et ensuite, la nouvelle prospérité du monde momentanément pacifié. De fait, les résultats des grandes cultures furent meilleurs que jamais ; la prospérité s’installa dans les fermes et dans toute la région, qui fournissait le quart de l’alimentation du pays et exportait ses produits en grande quantité. Dès lors, on accrut encore l’exploitation, les crédits et les aides accélérèrent le mouvement et l’aquifère de plus en plus vite s’épuisait. On en est là à présent, même si les signes de l’épuisement commencent à devenir de plus en plus inquiétants et qu’en certains endroits, les forages doivent être abandonnés. Les tempêtes de sable sont revenues. Cependant, la canzone va plus loin.

Comment ça, plus loin, dit Lucien l’âne ?

Eh bien, la chanson envisage le futur et tire certaines conclusions en quelque sorte inévitables, même si on peut le retarder en important de l’eau…

Ah oui, comment et d’où ?, dit Lucien l’âne interloqué et fort sceptique.

Du Canada, du Québec, d’Alaska, répond Marco Valdo M.I., mais comment on ne sait pas encore. On envisage aussi de dessaler l’eau de mer, mais là, il faudrait l’énergie de nombreuses centrales nucléaires. Hors de portée aussi. Dans l’ensemble de la planète, on trouve d’autres régions où la guerre de l’eau va sans doute se produire, mais au-dessus d’Ogallala, les fermiers fuyant les banquiers auront déserté bien avant, ruinés. Il ne restera que les ruines d’un glorieux passé agricole : des fermes vides, des machines à pomper rouillées. Quant à l’aquifère d’Ogallala, comme les étoiles, il s’en fout ; il lui suffira de 6000 ans pour se remplir à nouveau.

Ainsi, dit Lucien l’âne, en cherchant la prospérité, l’homme creuse sa propre tombe et la planète et le reste de l’univers s’en fout. Il nous faut plus encore qu’à l’ordinaire, tisser le linceul de ce vieux monde exploiteur, avide, asséché et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane

Trois ères glaciaires,
Trois glaciations millénaires,
La neige, le gel, les longs hivers,
Les pluies sur la plaine entière
Ont comblé l’aquifère
Qui se meurt sous la terre.
Là-bas, sous l’Oklahoma.
Ogalla, Ogallala !

Sous la grande prairie
Où vivaient les bisons,
Où passaient les saisons,
Sous le soleil, sous les pluies,
À l’unisson de la plaine fleurie,
La nature chantait sa chanson
Là-bas au Kansas, au Nebraska
Ogalla, Ogallala !

Ogallala, fille de la pluie,
Dans l’immense réservoir
Sous la grande prairie,
S’étendait dans le noir.
Ogallala vivait en paix
Entre les roches en grès
Sous le Texas, sous le Dakota.
Ogalla, Ogallala !

Des fermiers l’ont trouvée,
Elle, le don du ciel,
Eau douce sous le soleil,
Les fermiers l’ont captée.
Ils ont vidé la source de vie
Qui meurt d’asphyxie
Sous au moins 8 états.
Ogalla, Ogallala !

Ogallala, l’eau douce,
Mille et mille pompes
Sucent ton sang clair
Plus encore aujourd’hui
Qu’hier,
Creusent de nouveaux puits
Et créent lentement un désert :
Texas, Kansas, Colorado, Oklahoma.
Ogalla, Ogallala !

Oh, dit le fermier,
Il n’y a plus assez d’eau à pomper.
Ah, dit le banquier,
Il faut quand même rembourser.
Oh, dit le fermier,
Il ne reste qu’à m’en aller :
Kansas, Texas et cetera.
Ogalla, Ogallala !

Chez toi, Ogallala,
La guerre de l’eau n’aura pas lieu ;
La poussière brune couvrira
Les champs longtemps luxurieux,
Les foreuses rouillées
Et les maisons au sable abandonnées :
Nouveau-Mexique, Wyoming, en triste état.
Ogalla, Ogallala !

Sur les paysages désolés des Grandes Plaines,
Pour retrouver une vie sereine,
Il te faudra six mille ans seulement
De pluies et de ruissellements
Pour te remplir à ras bords.
Les hommes seront peut-être morts
Et pour toi, la vie continuera.
Ogalla, Ogallala !

samedi 27 janvier 2018

CHANSON ITALIENNE

CHANSON ITALIENNE

Version française – CHANSON ITALIENNE – Marco Valdo M.I. – 2018



« Qui va là ? », je hurle. Il me répond : « Je suis Joachim Ringelnatz, je suis Allemand, mais antifasciste ! Ne tirez pas ! »… Je le fais passer. Nous nous embrassons. C’est pas plus mal que chez eux tous ne sont pas des « nazis schmazi »…

Joachim Ringelnatz était un écrivain, un carbarettiste, un poète, et il peignait aussi. Il inventa un personnage littéraire, le matelot Kuddel Daddeldu, qui était un peu son alter ego, anarchiste et anti-autoritaire. Il mourut peu après la venue du nazisme, mais dans les temps pour se voir qualifié d’artiste « dégénéré ». Beaucoup de sa production fut détruite dans les années qui suivirent sa disparition.
Cette poésie-chanson sur l’Italie fasciste est datée de 1926 et c’est un véritable instantané de ces années, celles de l’assassinat de Matteotti, de l’institution des Tribunaux spéciaux, de la nomination des podestàs à la place des maires élus, du mystérieux attentat manqué de Bologne qui servit au duce pour briser toute opposition (l’arrestation d’Antonio Gramsci date de ces jours) et toute liberté…



Dialogue maïeutique

Lucien l’âne mon ami, te souviens-tu de Joachim Ringelnatz ? Nous l’avons déjà rencontré et nous en avons déjà causé ensemble.

Évidemment, Marco Valdo M.I. mon ami. J’ai beau être un âne, je n’en suis pas un. Je ne suis pas plus un crabe ou un kangourou et je n’ai l’intention ni de me marier, ni de me pendre par le cou à la façade de l’hôtel de ville, devant la porte sur la grand-place, pour faire la nique aux fonctionnaires idiots et bornés.

e vois, Lucien l’âne mon ami, que tu es en pleine forme et que tu te souviens parfaitement de cette circonstance où nous avons devisé de Joachim Ringelnatz et de son fabuleux texte « Ein Taschenkrebs und ein Känguruh » – « Le Crabe et le Kangourou ». C’était une histoire assez dada, en apparence, mais universelle dans sa visée. Celle d’aujourd’hui a des visées plus focalisées sur l’Italie, comme d’ailleurs son titre l’indique. Pour le contexte politique italien, je te renvoie au commentaire de Bernart Bartleby, dont j’ai pris la peine de traduire l’essentiel à ton attention. Pour parler de l’Italie contemporaine, Ringelnatz use d’une ironie cinglante, tout à fait dans le ton de dérision acide qu’il emploie habituellement. C’est une chanson d’une lucidité rare ; dans la même veine, on peut se souvenir de Karl Valentin, d’Erika Mann et son Prince de Menterie, d’Erich Kästner et Poirier sur la Lorelei, de Kurt Tucholsky et son Tambour du Régiment de la Garde, de Walter Mehring et son Hop là, nous vivons !d’Hugo Ball et sa Danse de Mort 1916, d’Elsa Laura Seemann et sa Danse Macabre en Flandre, de Bertolt Brecht et sa Légende du Soldat mort et sans aucun doute, bien d’autres encore.

Moi, dit Lucien l’âne, j’ajouterais à cette liste, ce que ta modestie t’a empêché de citer, je veux dire ton Holà, nous vivons !Mais restons-en là et reprenons notre tâche et tissons comme tous ceux-là le linceul de ce vieux monde aseptisé, vain, triste, ennuyeux et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



L’Italie était auparavant malpropre !
L’Italie est maintenant propre,
Elle est couverte d’or et de vermeil.
Qui remercier d’une telle merveille ?

Le petit Mussolini qui lève son petit bras,
Bonne à tout faire, sergent-major
Qui, né tardivement, vit encore
Grâce à beaucoup de petits attentats.

L’Italie qui a déjà remporté
Quelques batailles, triomphe aujourd’hui,
Chaque jour, chaque nuit
Au moins dix fois. Qui doit-elle remercier ?

Le petit Mussolini qui lève son petit bras,
Bonne à tout faire, sergent-major
Qui, né tardivement, vit encore
Grâce à beaucoup de petits attentats.


L’Italie, cette grande nation
Deviendra – grâce au génie
De Mussolini – une furie…
- (
Fin de la rédaction)
Fin
ie.

mardi 23 janvier 2018

Rotatives

Rotatives

Chanson française – RotativesGuy Béart – 1968

Dialogue maïeutique

Voici, Lucien l’âne mon ami, une chanson de Guy Béart, chanteur au répertoire polymorphe et gigantesque. Il a tenu la scène soixante ans et comme pour presque tous les chanteurs – à part Georges Brassens et Jacques Brel, bien de ses compositions et de ses interprétations sont méconnues. Si je dis ça, ce n’est pas que j’ai l’intention de te bassiner avec l’interminable énumération de ces chansons, ni même d’en tenter une docte classification par thèmes ; je dis ça, car j’ai un peu l’impression que Guy Béart est un de ces créateurs dont l’interlocuteur se contente de se rappeler l’une ou l’autre de ses chansons qui eurent du succès aux temps de sa jeunesse – à l’interlocuteur. « Ah, Guy Béart ! L’eau vive… Vive la Rose et tout ça… » 
Précisément, « Et tout ça … ». 
Mais la chanson n’a pas d’âge, et si le compositeur, le chanteur disparaît, elle reste. La chanson homérique, autrement l’Iliade et l’Odyssée, n’ont pas d’âge ou elles en ont un tellement plein de sons et de furie qu’on l’entendra encore avec passion dans les siècles des siècles. Il en est de plus secrètes, de plus discrètes que le temps a tenté d’effacer et qui d’un coup de cœur reviennent à l’oreille ou à la voix intérieure de l’un d’entre nous. Et c’est ainsi que les chansons vivent !

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, te voilà encore dans un vol planant au-dessus du marigot et des cagots et au passage, tu fais la peau aux ragots. Tout cela est fort bien, mais dis-nous quand même quelques mots de la chanson.

Lucien l’âne mon ami, si Guy Béart n’était vraiment pas un parigot, vu qu’il était venu du Caire en passant par le Mexique et le Liban, il a fait son chemin à Paris aussi. C’est fou d’ailleurs les chanteurs français qui ont fait leur chemin à Paris et qui sont des étrangers et pas seulement des chanteurs. Ça me rappelle cette phrase que Pierre Dac fait dire à De Gaulle : « Et si la France n’était pas la France, tous les Français seraient des étrangers ».

Oh, oh, Marco Valdo M.I., de la même façon, mais avec moins de prestance, l’actuel Président des Zétazunis pourrait déclarer dans un moment de lucidité : « Et si les Zétazunis étaient l’Amérique, tous les Zétazuniens (sauf les Indiens) seraient des étrangers ».

Très juste, il devrait le méditer, ajoute Marco Valdo M.I. Maintenant, revenons un instant à la chanson qui, en fait, ne demande pas beaucoup de commentaires, tant elle est précise dans son attaque. Quoique… Son sujet est la presse de cancans, centrées sur les stars ou sur les princesses anglaises… Lady machin et Sir truc ; les amants de l’une, les amants de l’autre. C’est encore d’actualité. Par exemple :

« Les princes des manchettes
Que l’on anoblira
Grâce à la caméra. »

Facile dit Lucien l’âne, ce devait être Grâce Kelly, une jolie actrice américaine, devenue princesse de Monaco.

Exact, Lucien l’âne mon ami. Il y en a eu de plus récentes de ces aventures rutilantes ou de ces romances de caniveau, pour lesquelles les rotatives – machines à tirer les grands tirages s’emballent. On ne citera pas de noms, il n’est pas dans nos habitudes de tirer sur les corbillards de ces messieurs qui dévergondaient les très jeunes demoiselles, même si les rotatives bénissaient leurs apparitions. On vend de la merde, mais ça cache le sang ; on vend de la princesse et du scandale aseptisé, ainsi on embrouille la réalité.

En effet, Marco Valdo M.I. mon ami, tournez, tournez rotatives, il faut rattraper les télés, qui décidément courent plus vite dépecer la charogne. Quant à nous, on se limitera à notre tâche et à tisser, tisser le linceul de ce monde nauséabond, puant, suant, odoriférant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Quand le soleil est sage,
Il nous faut des orages,
Du sang, des sensations
Et des superstitions.
Dans les hebdomadaires,
Vivants mais légendaires,
Renaissent les héros
Des contes de Perrault.
Le monde est un spectacle,
Il nous faut des miracles,
Des meurtres, des amants
Et des enterrements.
Chantons les marionnettes,
Les princes des manchettes
Que l’on anoblira
Grâce à la caméra.

Tournez, tournez rotatives
Pour les âmes sensitives
À tout cœur et à tout sang,
À la prochaine, je descends.
Le métro chante sa chanson grise,
Je n’ai pas trouvé de place assise.
Il me faut pour tenir le coup,
Une histoire à dormir debout.

Souffrez que je présente,
Une fille qui chante :
Voici la cendrillon de nos microsillons.
Elle n’a pas de souffle,
Mais gagne une pantoufle.
Qui va la remplacer,
C’est le petit Poucet.
Cette jeune starlette,
D’un seul coup de baguette
De son impresario,
A perdu son maillot,
Mais le bon photographe
A corrigé la gaffe
Avant que vienne un flic
Qui presse le déclic.

Tournez, tournez rotatives,
Pour les âmes sensitives !
À tout cœur et à tout sang
À la prochaine je descends
Le métro chante sa chanson grise
Je n’ai pas trouve de place assise
Il me faut pour tenir le coup
Une histoire à mourir debout.

La commère bavarde,
Mais c’est Shérazade.
Nous sommes tout autant
Ses lecteurs, ses sultans.
Qui a le vent en poupe ?
C’est Riquet à la Houppe
Qui malgré sa laideur
En amour est vainqueur.
C’est dans une clinique
Que la quenouille pique ;
La belle au bois dormant
Boit des médicaments
Ou bien, c’est pas de chance,
Elle attend la naissance
D’un rejeton royal
Pourvu qu’il soit normal
Et lorsque le sang coule
Sur les fous, sur les foules,
S’il va du bon côté,
Ça peut se raconter ;
Mais s’il peut faire tache,
De grâce qu’on le cache
Sous la soie des papiers
Des mariages princiers.
Si les sorciers nous mentent
Et si la vie augmente
Pourquoi crier : À bas
Le Marquis de Carabas !
Puisqu’à toutes les pages
De nos revues d’images,
Pour nous réconforter,
Il y a ces chats bottés.

Tournez, tournez rotatives !

lundi 22 janvier 2018

LA BALLADE DES CAMÉLÉONS

LA BALLADE DES CAMÉLÉONS

Version française – LA BALLADE DES CAMÉLÉONS – Marco Valdo M.I. – 2018
Chanson allemande – Die Ballade vom NachahmungstriebErich Kästner – 1931

Chanson écrite par Erich Kästner et publiée le 24 mars 1931 dans l’hebdomadaire Die Weltbühne, dirigé par Kurt Tucholsky en 1926 et 1927, et puis, par son ami Carl von Ossietzky jusqu’à son arrestation en 1933.






Les nazis arrêtèrent Carl von Ossietzky, avec des milliers d’opposants au lendemain du pseudo- « incendie du Reichstag ». Ce fut alors qu’ils commencèrent à jouer, à s’amuser sadiquement avec toutes ces vies réduites en captivité, vraiment comme le font les protagonistes de cette « Ballade de l’imitation » ; un groupe d’enfants, curieux de savoir ce qu’éprouvent les grands lorsqu’ils exécutent un criminel, décident de pendre par jeu l’un d’eux, Fritz Naumann, après l’avoir sommairement poursuivi en justice comme voleur… Lorsque un adulte s’aperçoit que le jeu s’est changé en tragédie, il est alors trop tard… La police, survenue sur le lieu de cette barbarie enfantine, questionne un gamin et celui-ci, un peu effrayé et un peu incrédule, dit : « Mais nous avons seulement fait comme font les grands ! »

Inévitablement, je me suis rappelé le chef-d’œuvre cinématographique « Das weiße Band – Eine deutsche Kindergeschichte » (« Le ruban blanc ») de Michael Haneke (2009).

1914, à la veille de la première guerre mondiale. Dans une petite communauté rurale allemande, l’âpreté de la vie quotidienne, du travail dans les champs s’accompagne de la mesquinerie des hommes, à peine cachée par la dureté implacable d’un système éducatif caractérisé par un protestantisme très rigide, bigot et féroce. Pendant que sur le fond de paysages très beaux, s’écoule la vie quotidienne, se succèdent des incidents et des délits obscurs et atroces qui semblent mus certains par un désir de vengeance, d’autres par pur sadisme à l’égard des plus faibles, des différents…
Seul l’instituteur du village, un étranger à la communauté, se rend doucement compte que toute cette violence quotidienne, toutes ces règles et punitions qu’il est impossible d’esquiver, tout le mensonge, la mesquinerie, la putrescence dont est imprégnée la vie de la communauté, ont fait des enfants non pas de sages et dociles créatures, pas des rebelles, mais plutôt de violents sadiques frustrés fort solidaires entre euxLe noyau de ces jeunes qui commencèrent à construire le cauchemar nazi dans l’entre-deux-guerres… Échos de « Scènes de chasse en Bavière » de Peter Fleischmann (1968), de « Le village des damnés » de Wolf Rilla (1960) et de « Le Seigneur des mouches » de Peter Brook (1963)…


Dialogue maïeutique

Dis-moi, Marco Valdo M.I. mon ami, que peut raconter une ballade des Caméléons, car je suppose que les caméléons – les vrais, ceux qui courent à quatre pattes et qui ressemblent à des lézards ou à de petits iguanes, ne chantent pas de ballades. Du mois, je n’en ai jamais entendu parler. Alors ?

Très juste, Lucien l’âne mon ami, les caméléons ne chantent pas de ballades, ni de chansons, ni rien du genre et c’est même le cas pour ceux qui sont évoqués dans la chanson. En fait, la confusion provient de l’ambivalence des mots. La Ballade des caméléons peut-être comprise de deux façons : celle dont tu l’as comprise où il s’agit de la ballade que chantent les caméléons ou diversement, celle où c’est une ballade qui chante les caméléons, où les caméléons sont acteurs de la chanson, mais n’en sont pas les interprètes. Reste évidemment à dire ce que viennent y faire les caméléons et à préciser de quels caméléons il s’agit et ce qu’ils font.

C’est précisément, Marco Valdo M.I. mon ami, ce que j’allais te demander, mais tu m’as ôté les mots de la bouche.

Dès lors, reprend Marco Valdo M.I., il faut préciser d’abord que ce titre de la version française est une pure invention de ma part, car en allemand, le titre est « Die Ballade vom Nachahmungstrieb » et peut se traduire, grosso mode, par « La Ballade de l’Imitation » ; et comme l’imitation est une des caractéristiques habituellement attribuée aux caméléons, j’ai trouvé plus agréable et pour tout dire, plus exotique d’attribuer ce titre à la chanson. En quelque sorte, c’est un titre plus coloré que j’ai utilisé pour faire ressortir cette idée que les enfants – souvent – ont tendance à imiter leurs aînés, qui est le leitmotiv de la chanson d’Erich Kästner.

Oh, dit Lucien l’âne, kil n’y a là rien de bien gênant à ce que les enfants apprennent par imitation ; c’est même un des mécanismes efficaces et fondamentaux de l’éducation de base.

Certes, Lucien l’âne mon ami, pour autant il devient désastreux si les enfants imitent les penchants les plus détestables des grands, des adultes, des anciens et c’est précisément le cas ici où ce sont des enfants qui vient en Allemagne des années 20-30, où depuis la fin de la guerre, se multiplient les morts violentes, les bastonnades, les guets-apens, les assassinats politiques. On peut rappeler par exemple le cas de Rathenau  ou l’histoire des Trois Frères de Barmberg, mais ce sont des crimes qui se comptent par milliers et qui sont l’œuvre de bandes armées qui sévissent dans tout le pays et qui sont plus ou moins directement liées aux partis politiques. Pêle-mêle : les Casques d’Acier, les SA, les groupes armés du SPD ou du KPD ; certains peuvent être considérés comme des groupes d’auto-défense dans une guerre civile larvée et se comportent généralement comme tels ; d’autres (Casques d’Acier et SA, qui conflueront dans la future SS) ont des penchants plus criminels et ont une pratique développée des tribunaux secrets. C’est contre cette forme d’organisations et d’actions « politiques » que met en garde Erich Kästner, qui comme journaliste à Leipzig, puis à Berlin, avait un témoignage direct sur ces événements. Cependant, il est clair que ces mises en garde et ses inquiétudes n’ont rien pu empêcher. Quelques années plus tard, l’Europe entière était envahie par les caméléons, tous atteints d’hitlérite aiguë.

Belle image, dit Lucien l’âne, mais ce n’est pas aimable, ni juste pour les caméléons…

Certes, mais ceux dont parle la chanson sont un groupe d’enfants qui va jouer au tribunal secret et appliquer sur un de leurs copains une sentence de pendaison. Voilà toute l’histoire qu’il convient aussi de rapprocher des faits de harcèlements scolaires, de quartier ou via internet dont on parle si souvent dans la presse. Il y a là un délitement social assez ignoble.

Ce sont des dérives nées de la bêtise et de sa reproduction sociale ; il faut – comme le faisait Kästner – en parler afin que nul n’en ignore ; car ce sont des gestes qui s’accomplissent dans l’ombre et prolifèrent dans la clandestinité. Comme quoi aussi, on le voit la Guerre de Cent Mille Ans se répercute partout, à tous les niveaux de la vie dans nos sociétés. Maintenant, restons-en là avant de pontifier exagérément, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde transformiste, caméléon, menteur, suiveur, harceleur et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




Véritablement, le poison agit rapidement !
L’homme,
même encore enfant,
Pour les vices de ce monde,
Se débrouille tôt et très vite apprend.
En février,
je ne sais quel jour,
Lors du harcèlement d’un garçon,
Des enfants qui jouaient dans l’arrière-cour,
Ont décidé de pendre Fritzchen Naumann.
Par les journaux, ils ont appris des histoires
De meurtres et de police
Et ils ont décidé d’exécuter Naumann,
Car, ont-ils dit, c’est un voleur.
Ils ont
passé sa tête dans un nœud.
Il se lamentait beaucoup, Karl qui faisait le curé
Lui dit, quand il commençait à trop crier,
Qu’il gâchait le jeu.
Fritz Naumann
protesta, il dit qu’il avait peur.
Les autres sérieux l’ont emmené.
Par-dessus la barre, la corde, ils ont jeté
Et alors,
ils ont commencé à le hisser.
Fritzchen
regimbait. Il était trop tard. Il planait.
Alors, ils
fixèrent la corde à un crochet.
Fritz a
tressailli, car il vivait encore.
Pour voir, une petite fille lui pinça la jambe.
Il gigotait tout à fait muet,
et à cet instant,
Le jeu d’enfant en meurtre s’est mué.
Comme
les sept petits chenapans
L’ont reconnu, ils ont fui effrayés.
Encore personne ne savait pour le pauvre enfant.
La cour
était silencieuse. Le ciel était rouge sang.
Le petit Naumann
balançait au vent.
Il n’a
vait rien remarqué. Car il était inconscient.
La veuve Zwickler, qui s’inquiétait,
Courut dans la rue et se mit à crier,
Même si elle ne pouvait pas pleurer.
Et la police
a interpellé les six suspects.
La mère est tombée évanouie devant le garçon
Et
tous deux ont été ramenés à la maison.
Karl, qu’on a arrêté, dit froidement : « Nous avons
Seulement fait comme les adultes font. »