jeudi 6 août 2020

LE TANGO DES CROQUE-MORTS



LE TANGO DES CROQUE-MORTS

Version française – LE TANGO DES CROQUE-MORTS – Marco Valdo M.I. – 2020
D’après la version italienne de Riccardo VenturiTANGO DEL BECCAMORTI
d’une chanson polonaiseTango truponoszówAleksander KulisiewiczSachsenhausen, 1943
Paroles : Aleksander Kulisiewicz
Musique : Wiktor Krupiński (“Po kieliszku”, Tadeusz Faliszewski, 1932)

 
 
Dessin d’Auguste Favier.

« La « ramasse » des morts dans le petit camp (Buchenwald) : 
une corvée de tous les jours »
« Ce disque compact se centre exclusivement sur le répertoire de « chansons de Sachsenhausen » de Kulisiewicz . Ces enregistrements, conservés sur des bandes magnétiques par Kulisiewicz après la guerre, sont de qualité variable, reflétant les conditions dans lesquelles ils ont été produits, des enregistrements à domicile aux productions en studio ou en salle de concert. Les sélections sont classées par ordre chronologique et visent à fournir à la fois un échantillon représentatif de la production artistique de Kulisiewicz et un aperçu de ses réactions personnelles aux réalités de la vie dans un camp de concentration nazi ».

1. Muzulman-Kippensammler
2. Mister C
3. Krakowiaczek 1940
4. Repeta !
5. Piosenka niezapomniana
6. Erika
7. Germania !
8. Olza
9. Czarny Böhm
10. Maminsynek w koncentraku
11. Heil, Sachsenhausen !
12. Pożegnanie Adolfa ze światem
13. Tango truponoszów
14. Sen o pokoju
15. Dicke Luft !
16. Zimno, panie !
17. Moja brama
18. Pieśń o Wandzie z Ravensbrücku
19. Czteroziestu czterech
20. Wielka wygrana !


Aleksander Kulisiewicz (1918-1982) était étudiant en droit en Pologne sous l’occupation allemande quand, en octobre 1939, la Gestapo l’a arrêté pour ses écrits antifascistes et l’a envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen près de Berlin. Kulisiewicz était un auteur-compositeur-interprète de talent : pendant ses cinq années de prison, il a composé 54 chansons. Après sa libération, il s’est souvenu non seulement de ses chansons, mais aussi de celles qu’il avait apprises de ses codétenus, et a dicté des centaines de pages à son infirmière dans un hôpital polonais. En tant que « trouvère du camp », Kulisiewicz préférait les ballades descriptives, utilisant un langage agressif et brutal pour reproduire les circonstances grotesques dans lesquelles il se trouvait avec les autres ; mais son répertoire comprenait aussi des ballades qui évoquaient souvent sa Pologne natale avec nostalgie et patriotisme. Ses chansons, interprétées lors de réunions secrètes, ont aidé les prisonniers à faire face à la faim et au désespoir, soutenant leur moral et leurs espoirs de survie. En plus de leur importance spirituelle et psychologique, Kulisiewicz pensait que les chants du camp étaient aussi une forme de documentation. « Dans le camp », écrit-il, « j’ai toujours essayé de créer des vers qui servaient de reportage poétique direct. J’ai utilisé ma mémoire comme une archive vivante. Des amis venaient me voir et me récitaient leurs chansons ». Presque obsédé par les sons et les images de Sachsenhausen, Kulisiewicz a commencé à rassembler une collection privée de musique, de poésie et d’œuvres d’art créées par des prisonniers. Dans les années 1960, il a rejoint les ethnographes polonais Józef Ligęza et Jan Tacina dans un projet visant à recueillir des entretiens écrits et enregistrés avec d’anciens prisonniers sur la musique dans les camps de concentration. Il a également commencé à organiser une série de spectacles, d’émissions de radio et d’enregistrements de son répertoire de chansons de prison, qui s’est élargi pour inclure du matériel provenant d’au moins une douzaine de camps. L’énorme étude de Kulisiewicz sur la vie culturelle dans les camps et le rôle décisif que la musique y jouait comme outil de survie pour de nombreux prisonniers sont restés inédits jusqu’à sa mort. Les archives qu’il a créées, la plus grande collection existante de musique composée dans les camps de concentration, font maintenant partie des archives du Musée mémorial de l’Holocauste des États-Unis à Washington.

Mis en quarantaine dans son baraquement pendant une épidémie de typhus, Kulisiewicz conçoit le « tango des croque-morts », une réplique macabre à ceux qui, dans son public, réclament une « musique joyeuse ». Le décor de la chanson est la morgue de Sachsenhausen, royaume des Sonderkommandos, des prisonniers dont le « détail spécial » était de ramasser et de disposer des corps des nombreux morts du camp. Pour bien comprendre la nature tragiquement parodique de cette chanson », a noté Kulisiewicz, « il faut se rappeler l’atmosphère du détail « cellule à cadavres », où le porteur de cadavres, lui-même souvent proche de la mort, faisait une sieste de 10 à 15 minutes à côté des tas de corps nus et malodorants ». Kulisiewicz a emprunté la mélodie de sa chanson à « Po kieliszku » (Après le premier verre), un succès d’avant-guerre popularisé par le « Polonais Al Jolson », Tadeusz Faliszewski (1898-1961). En 1940, Faliszewski était lui-même prisonnier au camp de Mauthausen-Gusen, dans le centre-nord de l’Autriche, où il était souvent appelé à divertir les détenus avec ses chansons les plus populaires, dont « Po kieliszku ».





Maudite chienne des enfers, Germania
Nous torture depuis quatre ans déjà.
Dans le crématorium, fait rôtir nos cadavres.
Pour eux, il y fait chaud et tendre.
Il y a un humain ni boulanger, ni boucher
Mais il en fait rôtir tant d’autres.
Alors, mon gars, hop là, au four sans broncher !
Toujours tranquille, toujours calme, toujours allègre !


On se sent mieux après les premiers coups.
On reçoit un gnon au visage, et on rit beaucoup.
Le troisième coup de pied fait vraiment mal,
Au quatrième, on se chie dessus, c’est normal.
Cinq salauds frappent alors dans les reins,
Frère, on crache six dents quand même ;
La botte s’enfonce dans le ventre, au septième
Et c’est alors qu’on se sent vraiment bien !


Tout va très bien, Madame la Mort !
Elle est toute seule, la vieille nounou !
Depuis qu’elle a jeté son regard sur vous,
De ses yeux avides, elle vous dévore !
À la morgue vous lui offrez votre corps,
Et en un rien de temps, vous êtes mort.
Bientôt, cher ami, vous puerez la chair cuite,
Dans un tendre et cadavérique tête-à-tête !

Une minute et vous voilà en l’air, frère,
Avec deux beignets chauds sur la figure
Et caressé par trois petits anges tout nus,
Qui crient en allemand : « Quel adorable cul ! »
Le quatrième ange, ma chère petite Annie,
S’envoie cinq verres dans sa stupide gorge.
Berceuse, berceuse, avec dix doux anges,
Dors, dors mon petit. C’est la vie !