LE TANGO DES CROQUE-MORTS
Version
française – LE TANGO DES CROQUE-MORTS – Marco Valdo M.I. –
2020
D’après
la version italienne de Riccardo
Venturi
– TANGO
DEL BECCAMORTI
Paroles :
Aleksander Kulisiewicz
Musique :
Wiktor Krupiński (“Po kieliszku”, Tadeusz Faliszewski, 1932)
Dessin
d’Auguste Favier.
« La « ramasse » des morts dans le petit camp (Buchenwald) :
une corvée de tous les jours »
|
« Ce
disque compact se centre exclusivement sur le répertoire de
« chansons de Sachsenhausen » de Kulisiewicz . Ces
enregistrements, conservés sur des bandes magnétiques
par Kulisiewicz après la guerre, sont de qualité variable,
reflétant les conditions dans lesquelles ils ont été produits, des
enregistrements à domicile aux productions en studio ou en salle de
concert. Les sélections sont classées par ordre chronologique et
visent à fournir à la fois un échantillon représentatif de la
production artistique de Kulisiewicz et un aperçu de ses réactions
personnelles aux réalités de la vie dans un camp de concentration
nazi ».
1. Muzulman-Kippensammler
2. Mister C
3. Krakowiaczek 1940
4. Repeta !
5. Piosenka niezapomniana
6. Erika
7. Germania !
8. Olza
9. Czarny Böhm
10. Maminsynek w koncentraku
11. Heil, Sachsenhausen !
12. Pożegnanie Adolfa ze światem
13. Tango truponoszów
14. Sen o pokoju
15. Dicke Luft !
16. Zimno, panie !
17. Moja brama
18. Pieśń o Wandzie z Ravensbrücku
19. Czteroziestu czterech
20. Wielka wygrana !
Aleksander
Kulisiewicz (1918-1982) était étudiant en droit en Pologne sous
l’occupation allemande quand, en octobre 1939, la Gestapo l’a
arrêté pour ses écrits antifascistes et l’a envoyé au camp de
concentration de Sachsenhausen près de Berlin. Kulisiewicz était un
auteur-compositeur-interprète de talent : pendant ses cinq
années de prison, il a composé 54 chansons. Après sa libération,
il s’est souvenu non seulement de ses chansons, mais aussi de
celles qu’il avait apprises de ses codétenus, et a dicté des
centaines de pages à son infirmière dans un hôpital polonais. En
tant que « trouvère
du camp », Kulisiewicz préférait les ballades descriptives,
utilisant un langage agressif et brutal pour reproduire les
circonstances grotesques dans lesquelles il se trouvait avec les
autres ; mais son répertoire comprenait aussi des ballades qui
évoquaient souvent sa Pologne natale avec nostalgie et patriotisme.
Ses chansons, interprétées lors de réunions secrètes, ont aidé
les prisonniers à faire face à la faim et au désespoir, soutenant
leur moral et leurs espoirs de survie. En plus de leur importance
spirituelle et psychologique, Kulisiewicz pensait que les chants du
camp étaient aussi une forme de documentation. « Dans le
camp », écrit-il, « j’ai toujours essayé de créer
des vers qui servaient de reportage poétique direct. J’ai utilisé
ma mémoire comme une archive vivante. Des amis venaient me voir et
me récitaient leurs chansons ». Presque obsédé par les sons
et les images de Sachsenhausen, Kulisiewicz a commencé à rassembler
une collection privée de musique, de poésie et d’œuvres d’art
créées par des prisonniers. Dans les années 1960, il a rejoint les
ethnographes polonais Józef Ligęza et Jan Tacina dans un projet
visant à recueillir des entretiens écrits et enregistrés avec
d’anciens prisonniers sur la musique dans les camps de
concentration. Il a également commencé à organiser une série de
spectacles, d’émissions de radio et d’enregistrements de son
répertoire de chansons de prison, qui s’est élargi pour inclure
du matériel provenant d’au moins une douzaine de camps. L’énorme
étude de Kulisiewicz sur la vie culturelle dans les camps et le rôle
décisif que la musique y jouait comme outil de survie pour de
nombreux prisonniers sont restés inédits jusqu’à sa mort. Les
archives qu’il a créées, la plus grande collection existante de
musique composée dans les camps de concentration, font maintenant
partie des archives du Musée mémorial de l’Holocauste des
États-Unis à Washington.
Mis
en quarantaine dans son baraquement pendant une épidémie de typhus,
Kulisiewicz conçoit le « tango des croque-morts », une
réplique macabre à ceux qui, dans son public, réclament une
« musique joyeuse ». Le décor de la chanson est la
morgue de Sachsenhausen, royaume des Sonderkommandos, des prisonniers
dont le « détail spécial » était de ramasser et de
disposer des corps des nombreux morts du camp. Pour bien comprendre
la nature tragiquement parodique de cette chanson », a noté
Kulisiewicz, « il faut se rappeler l’atmosphère du détail
« cellule à cadavres », où le porteur de cadavres,
lui-même souvent proche de la mort, faisait une sieste de 10 à 15
minutes à côté des tas de corps nus et malodorants ».
Kulisiewicz a emprunté la mélodie de sa chanson à « Po
kieliszku » (Après le premier verre), un succès
d’avant-guerre popularisé par le « Polonais Al Jolson »,
Tadeusz Faliszewski (1898-1961). En 1940, Faliszewski était lui-même
prisonnier au camp de Mauthausen-Gusen, dans le centre-nord de
l’Autriche, où il était souvent appelé à divertir les détenus
avec ses chansons les plus populaires, dont « Po kieliszku ».
Maudite
chienne des enfers, Germania
Nous
torture depuis quatre ans déjà.
Dans
le crématorium, fait rôtir nos
cadavres.
Pour
eux, il y fait
chaud et tendre.
Il
y a là un humain
ni boulanger, ni boucher
Mais
il en fait rôtir
tant d’autres.
Alors,
mon gars, hop
là, au four sans
broncher !
Toujours
tranquille,
toujours calme, toujours allègre !
On
se sent mieux après les premiers coups.
On
reçoit un gnon au
visage, et on rit beaucoup.
Le
troisième coup de pied fait vraiment mal,
Au
quatrième, on
se chie dessus,
c’est normal.
Cinq
salauds frappent
alors dans les
reins,
Frère,
on crache six
dents quand même ;
La
botte s’enfonce dans
le ventre, au
septième
Et
c’est alors qu’on
se sent vraiment bien !
Tout
va très bien,
Madame la Mort !
Elle
est toute seule, la vieille
nounou !
Depuis
qu’elle a jeté son
regard sur vous,
De
ses yeux avides,
elle vous dévore !
À
la morgue vous
lui offrez votre corps,
Et
en un rien de temps,
vous êtes mort.
Bientôt,
cher ami, vous
puerez la chair
cuite,
Dans
un tendre et cadavérique
tête-à-tête !
Une minute et vous voilà en l’air, frère,
Une minute et vous voilà en l’air, frère,
Avec
deux beignets chauds sur
la figure
Et
caressé par trois
petits anges tout nus,
Qui
crient en
allemand :
« Quel
adorable cul ! »
Le
quatrième ange, ma
chère petite Annie,
S’envoie
cinq verres dans
sa stupide gorge.
Berceuse,
berceuse, avec dix doux anges,
Dors, dors
mon petit. C’est la vie !