jeudi 5 novembre 2015

La Cigogne et la Prostituée

La Cigogne et la Prostituée

Chanson française – La Cigogne et la Prostituée – Marco Valdo M.I. – 2015

Ulenspiegel le Gueux – 10

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).

(Ulenspiegel – I, LI)
Cette numérotation particulière : (Ulenspiegel – I, I), signifie très exactement ceci :
Ulenspiegel :
La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).


(Ulenspiegel – I, LI)

Le premier chiffre romain correspond au numéro du Livre – le roman comporte 5 livres et le deuxième chiffre romain renvoie au chapitre d'où a été tirée la chanson. Ainsi, on peut – si le cœur vous en dit – retrouver le texte originel et plein de détails qui ne figurent pas ici.


Il n'est habile à toi qu'on aime, cigogne m'amie,
De planer dans le ciel comme l'épervier qu'on maudit.

Nous voici, Lucien l’âne mon ami, à la dixième canzone de l’histoire de Till le Gueux. Les neuf premières étaient, je te le rappelle :


01 Katheline la bonne sorcière  (Ulenspiegel – I, I)
02 Till et Philippe  (Ulenspiegel – (Ulenspiegel – I, V)
03. La Guenon Hérétique  (Ulenspiegel – I, XXII)
04. Gand, la Dame  (Ulenspiegel – I, XXVIII)
05. Coupez les pieds !  (Ulenspiegel – I, XXX)
06. Exil de Till  (Ulenspiegel – I, XXXII)
07. En ce temps-là, Till (Ulenspiegel – I, XXXIV)
08. Katheline suppliciée (Ulenspiegel – I, XXXVIII)
09. Till, le roi Philippe et l'âne (Ulenspiegel – I, XXXIX)


Oh, dit Lucien l'âne en balançant les oreilles en guise d'interrogation, voilà un bien étrange titre, du genre de ceux que tu as l'usage de faire rien que pour intriguer le lecteur, j'imagine. Que viennent donc faire ici ces deux étranges personnages dans cette histoire ? Et surtout, qui sont-elles, cette cigogne et cette Prostituée ?


J'y viens tout de suite. Je vais commencer par cadrer ces deux personnes, à la manière des photographes sur les plaques de l'ancien temps. Je dis ces deux personnes, remarque-le bien, car ce sont deux personnes, mais ce ne sont pas des êtres humains. La première dont je vais t’entretenir, c'est la cigogne. Comme tu le sais sans doute et même, ce qui est probable, comme tu l'as déjà vu, c'est un grand oiseau aux longues pattes et au long bec. Mais, c'est aussi dans les traditions de nos pays, l'oiseau qui apporte le bonheur, l'oiseau qui apporte l'enfant à sa naissance.


Et dans son bec, encore bien, dit Lucien l'âne.


En effet et je conseille de tenir toutes ces caractéristiques dans un coin de ta mémoire d'âne. Quant à la Prostituée, je te ferai d'abord remarquer la majuscule et le qualificatif : la Grande Prostituée. Ils ont leur importance, comme tu vas le voir. Car il ne s'agit pas de n'importe quelle prostituée, d'une de ces prostituées anonymes, d'une femme de rencontre, que sais-je encore… même si elle se vend à tous ceux qui lui proposent de l'argent… ou de l'or. Cette Grande Prostituée, ainsi nommée par les Réformés, c'est l'Église catholique, apostolique et romaine (ÉCAR) ; celle des Papes de Rome.


Voilà le pourquoi de ce titre, mais il reste que tu ne m'as pas encore dit ce qu'elles venaient faire dans cette chanson…


Ce sont des personnages complexes. Et d'abord, la cigogne. La chanson raconte son arrivée dans le ciel, puis dans la maison de Claes et Soetkin, les parents de Till. En fait, cette cigogne va devenir un membre de la famille, vivre dans la maison, accompagner l'homme au champ et la femme à la cuisine… et son rôle d'oiseau de bon augure va se révéler dans la seconde partie de la canzone quand Claes, ruiné, va voir venir une fortune, qui lui est envoyée par son frère Josse. Et c'est ici qu'on distingue en fond de toile l'ombre de la Grande Prostituée… Josse l'ermite est devenu luthérien, s'est réfugié en Allemagne et ne pouvant venir lui-même, il a dépêché un messager – à l'allure tellement sévère que Soetkin l'appelle : votre Mélancolie.


C'est assez joli, dit Lucien l'âne…


Et votre Mélancolie est bien évidemment un Bonhomme ; là, c'est moi qui lui ai donné ce joli nom en référence aux Cathares et autres réformateurs des siècles antérieurs : Pauvres de Lyon, Vaudois [[8805]], Béguins, Patarins, Tisserands… Et c'est avec l'arrivée de ce Messager mélancolique que se noue le drame terrible qui conduit à la mort Claes. Ainsi annoncé par le dernier vers de la canzone :
« On va nous brûler tertous ; Bonhomme, ne parlez pas si haut ! », phrase prémonitoire que lance la prudente Soetkin.


Si tu veux bien, Marco Valdo M.I. mon ami, cette chanson met en place les personnages et les événements futurs… C'est une sorte de Cassandre… De ce fait, il nous faudra patienter comme dans les feuilletons, comme dans les grands romans et en attendant, reprenons notre tâche et tissons, comme les Canuts, ces pauvres tisserands de Lyon, le suaire de ce vieux monde prostitué, croyant, conformiste et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Claes avait reçu en paiement
L'arbalète d'un sergent.
Il avait des pigeons et les aimait.
De son arbalète, sur les buses, il tirait.

Un grand oiseau tournoyait dans le ciel du soir
Claes ne voyait là-haut qu'un point noir.
Il lâcha le carreau et dans sa cour, la cigogne tomba.
Méchant, tu as tué l'oiseau porte-bonheur et Soetkin pleura.

Il n'est habile à toi qu'on aime, cigogne m'amie,
De planer dans le ciel comme l'épervier qu'on maudit.
Laisse-toi guérir par nos mains amies.
Ainsi, doucement choyée, la cigogne se remit.

Et le grand oiseau mangeait tant et plus
Et le poisson du canal pêché pour elle.
Elle suivait Claes comme un chien fidèle
Et touchait de son bec, de Soetkin le ventre dodu.

Les mauvais jours étaient revenus.
Sur une patte, soignant son aile,
La cigogne les regardait manger les fèves.
Alors, arriva le messager inconnu.

Béni soit votre Mélancolie, mon homme est au champ.
Sans pain, elle l'attendait ; Claes arriva chantant.
Vive mon frère Josse le bon ermite !
La cigogne a dit vrai, je t'invite.

Voilà du pain, du beurre, de la bière et du vin.
Voilà des jambons, des pâtés, et voilà du boudin.
Nelle et Katheline ont été dire à Josse mon frère
Nos tracas, nos tourments, notre grande misère.

Et le Bonhomme messager m'a dit tantôt :
Le Pape est avide d'or et vend les choses sacrées.
Les hérétiques suivent la Grande Prostituée,
On va nous brûler tertous ; Bonhomme, ne parlez pas si haut !