lundi 26 septembre 2022

FLOU

 

FLOU


Version française — FLOU — Marco Valdo M.I. —2022


d’après la traduction italienne – Buio – Riccardo Venturi – 2022

d’une chanson grecque Θολούρα — Katerina Gogou / Κατερίνα Γώγου — 1978


Texte : Katerina Gogou

Musique : Sans musique ajoutée

"Τρία κλικ αριστερά », 1978




FLOU

Athènes 2022


Peut-être, qui sait, qu’un jour donné vers la fin des années 1970, Katerina Gogou a lu un fait-divers ; alors comme maintenant, parmi les tonnes de femmes (épouses, petites amies, mères, sœurs, amies, inconnues) assassinées par un homme, il y avait aussi de temps en temps un petit homme qui perdait sa peau de manière inattendue au sein même de la famille bourgeoise. Universalité et particularité : Quant à cette dernière, ce qui vient à l’esprit — du moins pour ceux qui l’ont un peu connue — cette classe moyenne athénienne qui a émergé des années de dictature, la famille “normale”, moyennement aisée, la femme qui, bien qu’elle soit incluse dans son rôle de maîtresse de maison aimante et attentive, après avoir préparé le petit déjeuner pour la petite famille, fait le ménage, secoué le tapis et astiqué le palier, au milieu des courses, « prit conscience » en achetant un livre féministe et des magazines dits “féminins”. Ainsi, lorsque son mari rentre à la maison pour le déjeuner et qu’elle accomplit avec diligence son devoir conjugal, presque comme si cela faisait partie de son rôle… eh bien, je ne veux pas divulguer la fin. Katerina Gogou aux prises avec la famille modèle (« comme elle l’avait vu dans une publicité »), avec la violence domestique mesquine et quotidienne (tout est normal), avec la rage réprimée qui explose presque tranquillement, avec la noirceur qui fait irruption dans un terrible éclair ; le tout assaisonné d’une forte dose d’humour noir comme la poix. [RV]









Elle s’est levée et leur a préparé le petit-déjeuner

Avec des gestes programmés.

Les a salués : Bonjour, je vous aime,

Ne tardez pas. Elle a balayé le plancher,

Secoué le tapis, lavé les tasses et les cendriers,

En se parlant à elle-même.

Elle a mis en route le repas et a changé l’eau des fleurs.

Elle a papoté dans l’épicerie,

Elle a souri gentiment au coiffeur.

Pour lui, elle a dévalisé la parfumerie

Et acheté « Être femme dans le monde des hommes :

Socialement informée, belle et intelligente. »

Elle venait de mettre la table

Quand on a sonné à la porte,

Le bébé était endormi,

Il lui a touché le cul, c’était son mari.

Comme dans la publicité, elle a souri

Et lui a dit d’une voix sensuelle : « Viens ici ».

Il l’a sautée, a joui et s’est endormi.

La femme s’est relevée, sans le réveiller,

Elle a fait la vaisselle, se parlant à elle-même,

Pour chasser la mauvaise odeur, ouvert les fenêtres.

Elle a allumé une cigarette, a lu dans son magazine :

« … seulement quand les femmes le demanderont fortement,

Il y aura un espoir de changement »,

Et plus bas, ce questionnement :

OUI, MA CHÈRE, QU’AVEZ-VOUS FAIT AUJOURD’HUI ?

QU’AVEZ-VOUS FAIT AUJOURD’HUI ?


Elle s’est levée et toute discrète,

Elle a pris le fil de la chaufferette,

Elle a serré le cou de son mari

Et en réponse à la question, a écrit :

LIQUIDÉ UN HOMME.

Puis elle a appelé les secours, et puis,

Dans son magazine, elle a lu son horoscope.


MA LIBERTÉ EST DANS MES SOULIERS

 

MA LIBERTÉ EST DANS MES SOULIERS


Version française — MA LIBERTÉ EST DANS MES SOULIERS — Marco Valdo M.I. — 2022

d’après la traduction italienne de Riccardo Venturi — La mia libertà sta nelle suole — 2022

d’une chanson grecque — Η ελευθερία μου είναι στις σόλεςKaterina Gogou / Κατερίνα Γώγου — 1978


Texte : Katerina Gogou
Musi
que : Sans musique ajoutée
"Τρία κλικ αριστερά », 1978







LES SOULIERS

Vincent Van Gogh — 1886



Autrefois on disait : « Chaussures cassées, et pourtant il faut y aller » ; cela faisait partie de la panoplie de la Résistance, non ? Maintenant, à y bien repenser, Katerina Gogou a dû être l’une des dernières non seulement à le dire et à l’écrire, mais aussi à le revendiquer : des chaussures cassées, trouées, défoncées, comme mètre de la Liberté (ce mot qui, en grec, figure aussi dans l'« hymne national » et sur lequel on peut mettre l’accent où l’on veut, eleftherìa, eleftherià, lefterià…). Il s’agit de la liberté essentielle : celle d’aller, tout simplement. Que ce soit « de haut en bas de Patissìon » ou à l’autre bout du monde. Seul celui qui va, qui erre, qui se meut, qui n’a pas de « poste fixe », qui ne reconnaît pas d’obligations et de devoirs, peut être vraiment libre ; et il n’y rien qui peut l’arrêter, pas même les clous jetés sur la route. Dans cet authentique (et en même temps arrogant et émouvant) manuel de l’anarchisme, Katerina Gogou se révèle extrêmement lucide, notamment en ce qui concerne les nombreux — “camarades” ou “renégats” (ce qui, en grec, se dit religieusement “apostats” ; Le grec, Il serait bien de se le rappeler toujours, est une langue d’essence profondément sacrée) — qui ont, en effet, ciré et verni leurs chaussures de diverses façons et couleurs variées, sans que ce vernissage n’ait pris et, surtout, en continuant à jacasser sur les chaussures cassées et la Résistance avec de belles chaussures de grand luxe aux pieds, des chaussures italiennes souvent. Ce qui reste, c’est notre rouge, rouge et maintenant indigne, déshonorant, fané et, plus que tout, extérieur. Une patine de peinture qui s’écaille avec le temps. Un rouge que rend encore plus précis le « rétablissement du noir ». [RV]




Ma liberté est dans les semelles

De mes galoches vagabondes.

Je dévergonde tout le monde,

Je balade mes souliers

À volonté.

Quand vous mettez votre dentier

Dans le verre avant de vous coucher,

Quand vous vous déshabillez,

Quand vous vous démenez

Pour vos héritiers

Dans votre entreprise,

Quand on enfonce l’idée dans votre calebasse,

Que vous mangez de la mayonnaise

Alors que c’est une bouffe dégueulasse,

Je marche dans mes godasses

Au-dessus de vos toits,

— Mais non, mon enfant, pas comme ça,

Pas comme Mary Poppins, cette idiote avec son balai —

Et ne peuvent recevoir ma chaîne,

Seulement ceux qui ont le même relais.

Pour vous, petits merdeux, j’ai de la peine,

Mais je ne peux me perdre avec vous,

Je ne veux rien savoir de vous.

Votre liberté est dissimulée

Dans les semelles de mes chaussures usées.

Le temps viendra où vous les lécherez,

Où « Miracle, miracle ! », vous crierez,

Ces chaussures ne sont jamais fatiguées,

Ces chaussures ne sont jamais pressées.


Quand je serai partie de là,

Paul, Myrtle, Myrto, même pointure, ils les porteront

Les clous que vous jetez dans la rue, ne les percent pas,

Dans votre glorieuse patrie, elles vous battront.

Compagnons de route et apostats,

Désespérés, votre temps viendra,

De peindre les vôtres,

Mais la peinture

Ne prendra pas, quoi que vous fassiez,

Quoi que vous donniez,

Ce rouge si rouge,

Ce rouge insolent est notre rouge.