UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE
Version
française – UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE – Marco Valdo M.I. –
2018
Dans
« Une Journée particulière », chanson interprétée en
duo par Federico Marchioro et Luca Bassanese, un chant décharné,
sec, rigoureux, dépourvu de virtuosités, mais extrêmement direct
de Marchioro, la force, la présence scénique et la théâtralité
innée de Bassanese, confèrent à la pièce le caractère d’une
« narration civique », du récit d’une défaite
collective, d’un profond sens d’appartenance, d’un rêve commun
brisé.
Dans
une Italie, à la conscience civique « lobotomisée » par
les grands moyens de communication, devenus moyens de contrôle et
d’élaboration d’une vérité à l’usage et le profit d’une
toute-puissante oligarchie, d’un « Grand Frère »,
d’une orwelliennne mémoire, est venu le moment de célébrer dans
cette « journée particulière », qui entrera dans les
livres d’histoire, pour la mémoire des générations à venir, la
« mort de la gauche » et la victoire d’un « Nouvel
Ordre » basé sur la haine, la violence, l’intolérance
raciale et le mépris pour toute forme de libre expression
culturelle, considérée comme « art dégénéré ». « Où
on brûle les livres, on brûlera les hommes », écrivait le
poète allemand Heinrich Heine. Et telle est l’histoire qui,
tragique et inéluctable, se répète.
Dans
une violente et rageuse nuit de pluie, pour les rares survivants de
l’extermination planifiée d’un idéal, restés seuls dans ce
« Blade Runner », c’est le temps du regret et du
désespoir, d’une douloureuse remise des comptes, flux de
conscience devant le tribunal de l’Histoire.
La
grande épopée du Parti Communiste Italien, capable d’unir des
générations entières autour de son orgueilleux drapeau, de
l’incarnation de grands rêves et des espoirs, est finie, les
larmes mêlées à la pluie qui descend du ciel sont du sang versé
pour la trahison envers les martyrs de la Résistance.
Dialogue
Maïeutique
Moi,
dit Lucien l’âne, « Une Journée particulière », qui
est le titre de cette chanson que tu viens de mettre en langue
française, me rappelle furieusement un film qui portait le même
titre. Un film d’on j’avais entendu parler bien des fois et qui
si j’ai bon souvenir rassemblait en contre-emploi deux grands
acteurs du cinéma. Autant que je m’en souvienne, cette « journée
particulière » était celle d’un moment d’apogée du
régime fasciste – le 8 mai 1938, on n’y pense pas souvent quand
on fête le 8 mai, celui de 1945 – le jour de la venue à Rome du
Nazi Maximus, A. H. ; cérémonial auquel les personnages –
Sophia Loren en mère de famille au foyer et Marcello Mastroianni en
journaliste licencié pour cause d’homosexualité et destiné au
bagne de Carbonia en Sardaigne – n’assisteront pas.
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, ta mémoire ne te trompe pas et mieux,
elle t’a indiqué sans erreur aucune ce qui se trouve en
arrière-plan de son propre récit, car, comme tu le sais, une
chanson est (presque) toujours un récit. Le film que tu évoques
racontait une Italie écrasée, hypnotisée par la verroterie
glorieuse, soumise. Un temps où on pouvait à juste titre comme le
commentaire introductif dire :
« le
moment … qui entrera dans les livres d’histoire, pour la mémoire
des générations à venir… basé sur la haine, la violence,
l’intolérance raciale et le mépris pour toute forme de libre
expression culturelle, considérée comme « art dégénéré ».
« Où on brûle les livres, on brûlera les hommes »,
écrivait le poète allemand Heinrich Heine. Et telle est l’histoire
qui, tragique et inéluctable, se répète. »
Le
réalisateur du film, Ettore Scola disait :
« L’idée
était de mettre en scène une histoire actuelle de deux solitudes
qui se rencontrent »
et
c’est le même schéma qu’on retrouve dans la chanson, celui de
la conversation particulière, du dialogue intime, confidentiel,
presque clandestin et celui de la réflexion au plus profond de la
dépression.
Certes,
dit Lucien l’âne, j’ai bien saisi tout ça, mais dis-moi quand
même quelques mots de la façon dont la chanson décrit cette
journée et en quoi elle se distingue de la précédente.
Ce
que décrit cette « Journée particulière », ce n’est
pas un moment triomphal, ce n’est pas un instant historique, c’est
une réalité quotidienne. Ce qu’elle révèle, ce sont les
septante ans d’autodissolution progressive de la « gauche
italienne », phénomène qui se passe à l’intérieur du
champ politique et qui pourrait se résorber par de nouvelles
configurations politiques, mais il y a plus grave, plus lourd, plus
profond et finalement plus important, c’est la déréliction de ce
peuple qui au travers de la Résistance, par sa force morale était
(presque) venu à bout de la honte du fascisme. Et ce que dit la
chanson, c’est que l’auteur de cette dégradation est le Parti
Communiste Italien. Et après, me diras-tu que faire ?
Arrête-toi
là, Marco Valdo M.I. mon ami, le reste coule de source et chacun
sait que cette décrépitude est toujours en cours et on ne sait ni
où, ni quand elle atteindra le bout de sa destinée. En attendant,
maintenant, c’est une Italie désemparée, une Italie
trahie et
lentement désabusée qui se regarde
avec effroi et ironie. Mais bien évidemment, l’Italie, ce n’est
que l’entité abstraite, une sorte de globalité nationale qui se
tient dans les limites géographiques plus ou moins solidement
établies et cette entité-là,
pour l’instant, n’est pas atteinte ; ce sont les gens qui
subissent de plein fouet les effets de cette autodestruction de
l’être ; c’est un moment de la Guerre
de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font
aux pauvres pour perpétuer leur pouvoir, maintenir leur domination,
ancrer leurs privilèges et multiplier leurs prébendes et leurs
profits.
Face
à cela, il faut reprendre le chemin de la résistance (d’autres
l’avaient pris à Marzabotto, par exemple, rappelle la chanson) et à chacun des pas,
pour ne pas oublier et pour trouver la force d’ouvrir d’autres
voies, d’autres manières de faire le monde, se répéter à
mi-voix « Ora e sempre : Resistenza ! ».
Quant
à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux
monde arrogant, cupide, stupide, dérisoire, autosatisfait,
malfaisant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane