mardi 19 juin 2018

Le Guet-apens

Le Guet-apens


Chanson française – Le Guet-apens – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 58
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XXII)



Sais-tu, Lucien l’âne mon ami, ce qu’est un guet-apens, puisque tel est le titre de la canzone ?

Et comment que je le sais, dit Lucien l’âne en secouant ses oreilles noires comme le basalte, c’est une embuscade, un piège, un traquenard tendus sur la route de quelqu’un, de quelques uns, de plusieurs, de groupes, de troupes et même, d’armées entières ; voilà ce que c’est un guet-apens ou alors, je me trompe du tout au tout.

Non, non, Lucien l’âne mon ami, répond Marco Valdo M.I., tu ne te trompes absolument pas. C’est bien ça. Ainsi, tu sais ce dont la canzone va raconter : l’histoire d’une embûche que nos deux amis Till et Lamme vont tendre à ces maudits (faux) prédicants qui préparent un attentat contre le Taiseux. Mais enfin, ce que font là Till et Lamme est un acte de guerre, mais de bonne guerre puisque guerre il y a et qu’ils sont bien forcés de la faire.

Comment ça, dit Lucien l’âne, ils sont bien forcés de la faire, de bonne guerre ?

Souviens-toi, Lucien l’âne mon ami, Till et Lamme étaient de pacifiques et gentils garçons qui étaient venus au monde pour vivre et qui n’avaient en tête que le goût et le plaisir de vivre et qui à part quelques niches, ne faisaient jamais de tort à personne. Souviens-toi, sous prétexte d’Inquisition, on a fait mourir Claes, le père de Till, sur le bûcher après l’avoir méchamment torturé. On a torturé Soetkin sa femme et la mère de Till et Till lui-même. Et des scènes similaires se sont répétées à l’infini dans tout le pays avec en plus des massacres, des sacs, des saccages, des ravages, d’odieuses persécutions. Et Till qui ne songeait qu’à vivre sa vie, qu’à vivre en liberté s’est trouvé contraint à prendre la fuite, à vivre en exil permanent et à se faire gueux parmi les Gueux. C’est le thème de la Légende que cette marche vers la liberté : liberté de vie, liberté de choix, liberté de paroles, liberté de conscience, liberté de circulation, liberté d’alimentation, liberté d’opinion, liberté de pensée. Toutes ces libertés imposaient une lutte longue et difficile pour la libération de l’être humain vis-à-vis des tutelles et des dominations.

En somme, dit Lucien l’âne, la liberté de l’individu dans un monde sans frontières. Si j’applaudis des quatre petits sabots à cette revendication libertaire, laisse-moi te dire qu’on est encore loin d’y satisfaire. Il y a encore des religions, des églises, des partis, des pouvoirs, des frontières, des armées et plein d’autres choses aussi absurdes et aussi détestables. Cela dit, je comprends la révolte de Till et à sa place, j’aurais fait pareil, car comme disait le Taiseux : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », surtout en matière de liberté où les obstacles et les ennemis sont impitoyables, puissants et nombreux. J’aurais comme lui organisé ce guet-apens dont parle la canzone. Car, ce n’est pas faire la guerre que de s’en défendre. C’est même souvent le seul moyen de s’en débarrasser. Ainsi, dans la Guerre de Cent Mille Ans, par exemple, il faut insister sur le fait que ce sont les riches et les puissants qui font la guerre aux pauvres et aux faibles afin de maintenir leur domination, de conserver ou d’accroître leurs privilèges, d’augmenter leurs richesses et ainsi de suite. Que les pauvres soient contraints de s’en défendre pour pouvoir vivre leur vie, y compris par les armes, la rébellion et tous autres moyens, n’est que de la légitime défense. Mais dis-moi deux mots de la chanson dont jusqu’à présent je ne connais que le titre.

Oh, la canzone décrit de manière assez détaillée le guet-apens et tellement que je te laisse le plaisir de découvrir ces détails, car on a dit l’essentiel.

Bien, je vais de ce pas examiner les détails et pour l’heure, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde traître, vénal, dominateur, dogmatique, religieux et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Lamme dit : Ces prédicants traîtres. Honte sur eux !
Ils sont trois, nous sommes deux.
Ces assassins veulent tuer le Taiseux.
Allons les attendre sur le chemin. Malheur à eux !

Patience et silence encore un moment !
À l’écart, préparons le guet-apens.
Assis sur le talus, je serai mendiant,
Dit Till, je les retiendrai en parlant.

Lamme, avec mon arquebuse, va te cacher
Là dans le taillis entre les rochers.
Quand comme le corbeau, je croasserai,
Il te faudra tirer, recharger et tirer.

Quand viennent les prédicants,
Till tend son chapeau suppliant.
Messires, je suis carrier, j’ai le dos cassé,
Le patron ne veut rien me donner.

Messires, dit Till, il fait froid,
Quand criera le freux ,
Un vent d’acier vous frappera,
Un vent de Gueux, je suis Gueux !

Les trois avancent aussitôt
Sortant leur bragmart.
Alors, Till sort son couteau
Et recule dans le noir.

Till dit : le vent de plomb va souffler,
Canailles, votre crevaille va venir.
Till croasse et Lamme tire.
Deux fois, l’arquebuse a parlé.

Une fumée bleue monte de la broussaille,
Deux prédicants sont tombés,
Le troisième continue la bataille
Un dernier tir vient l’arrêter.

Tu es blessé, mon ami doux, dit Lamme
Dis quelque chose, Till ! Parle !
Ils sont tous morts les prédicants.
Tu ne mourras pas, j’essuie ton sang.

Ces assassins ont des bedaines de florins,
Lamme prend l’argent et jette les corps.
Ce Vent d’acier ne soufflera pas la mort.
Et vers Huy, les ânes reprennent leur chemin.

Les trois Prédicants


Les trois Prédicants


Chanson française – Les trois Prédicants – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 57
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XXII)





Mon ami Lucien l’âne, il te souviendra que Till et Lamme s’étaient retrouvés près de Namur, où Lamme avait abouti toujours en quête de sa femme et pêchait en Meuse le sandre et le gardon. Après avoir croisé une espionne, réelle ou supposée, les deux compères s’étaient acheté deux ânes : Jef et Jean, afin de reprendre leur pérégrination vers Maestricht, où Till devait pénétrer afin de porter les messages du Taiseux.

Certes, dit Lucien l’âne. On en était là de l’histoire.

Cette fois, reprend Marco Valdo M.I., Till et Lamme continuent à longer le fleuve et s’arrêtent en fin de journée dans une auberge à l’enseigne « Chez Marlaire ». Pour ta gouverne, je signale que Marlaire est un prénom, même si à présent, il est plus usité comme nom de famille. En fait d’auberge, il faut se souvenir qu’il en est de toutes sortes. Ici, disons, c’est une halte sur le bord du chemin, tenue par une seule personne.

Sans doute le dénommé Marlaire lui-même, dit Lucien l’âne. Je me souviens très bien, moi qui ai parcouru tant de chemins depuis tant de temps, je me souviens très bien à quoi peuvent ressembler ce genre d’endroits. La plupart du temps, il s’agit d’une seule pièce où le voyageur ou le passant peut se faire servir à boire et à manger et se poser un peu à l’abri. Ça n’a rien de ce qu’on appelle aujourd’hui une auberge ; ça tient plus de la gargote ou du boui-boui. Ainsi donc, nous voici à nouveau dans une auberge et peut-être même, y trouvera-t-on un espion ?

Exactement, Lucien l’âne mon ami, il y a un espion et cette fois-ci, un vrai de vrai, un agent au service du duc (d’Albe), un papiste acharné qui va tenter de tirer les vers du nez de Till et de Lamme. Ces derniers, malheureusement pour l’espion, ne sont pas nés de la dernière pluie et vont aisément retourner la situation en trinquant avec le patron. C’est ainsi qu’ils vont découvrir un complot hispano-catholique, à l’évocateur nom de code « Vent d’Acier », qui a comme but d’assassiner le Prince d’Orange et qu’ils vont repérer le commando chargé de cette mission, composé de « Trois Prédicants », de vrais catholiques se faisant passer pour des réformés. Voilà toute l’affaire.

Ce n’est pas rien, dit Lucien l’âne. Ce qui me stupéfie un peu, c’est pourrait imaginer une affaire du genre actuellement.

Oh, dit Marco Valdo M.I., tu as parfaitement raison et il circule d’ailleurs toute une littérature à ce sujet et la presse raffole de telles nouvelles.

Et même, dit Lucien l’âne péremptoire, de tels complots existaient déjà dans la plus haute Antiquité. On s’y assassinait à tours de bras. En fait, dès qu’il y a du pouvoir, il y a des conflits qui s’installent et des complots qui s’élaborent. Songe seulement à la mort de Pompée et à celle de Jules César. Pour le reste, il nous faut reprendre notre tâche et tisser le linceul de ce vieux monde méfiant, complotant, espionnant, mentant et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



À l’enseigne « Chez Marlaire », un lieu convenable
Ayant bu maint flacon,
Mangé force poissons,
Till et Lamme s’attardent à table.

L’hôte est bavard comme une pie,
Bon catholique, papiste en diable,
Maudit les rebelles et l’hérésie,
Espion pour sûr, mouche véritable.

Il trinque, il questionne
Il ruse, il demande à voir ;
Les passes signés du duc l’impressionnent.
L’hôte dit : Buvons au duc, notre espoir.

En quoi prend-on le rat, le mulot ?
En ratière, en mulotière.
Et qui est le rat, qui est le mulot ?
Orange l’hérétique, le prince de l’Enfer.

Trois beaux prédicants
Réformés, de forts soudards
Des bonshommes vaillants
Vont venir un peu plus tard.

Dieu est à nos côtés ;
Trois beaux prédicants réformés
Viennent par la route de Huy
Pour eux, je verse, je cuis.

Vrai catholique et faux Gueux,
Vent d’Acier tranchera au nom de Dieu
Le cou du merle de Nassau ;
Il l’empêchera de siffler encore bientôt.

Et Till trinque et l’hôte boit.
Je bois au roi et au duc, santé !
Je bois aux prédicants et à Vent d’Acier !
Je bois au vin, je bois à moi, je bois à toi !

Alors, enfin fin soûl, l’hôte s’endort.
Et Till dit : Lamme, filons dehors
Attendre ces vilains oiseaux-là,
Ces noirs corbeaux du roi.

Ils viennent de Marche-les-Dames,
Le long des rochers au bord de Meuse.
Tendons un piège aux truands,
Il nous faut occire ces prédicants.