vendredi 17 avril 2015

UNE QUESTION

UNE QUESTION


Version française – UNE QUESTION – Marco Valdo M.I. – 2015

Chanson allemande – Eine Frage – Kurt Tucholsky – 1931

Texte de Kurt Tucholsky, publié sous le pseudonyme de Theobald Tiger dans Die Weltbühne du 27 janvier 1931
Musique de Leon Boden et Bernd Klinzmann dans “Tucholsky in Rock” - 1984
Elle a été aussi mise en musique et chantée par l'artiste néerlandais Robert Kreis.






La chaîne de montagne continue à produire
Des marchandises pour des clients qui n'existent pas.
Vous avez détruit votre propre clientèle, comme ça.
Par les licenciements et les diminutions de salaire 


Une chanson écrite à la veille de l’avènement du nazisme, dans la phase plus aiguë de la crise de 29 et de l'agonie de la République de Weimar, mais je crois qu'il parle un peu même de nos temps…



Mon ami Lucien l'âne, je suis toujours étonné, stupéfait et parfois même, pantois de constater la lucidité de certaines chansons et évidemment, de leurs auteurs.


Voilà bien une étrange déclaration que tu aurais pu faire depuis longtemps et à propos de nombreuses chansons et dès lors, de nombreux auteurs, spécialement dans les Chansons contre la Guerre.


Oui et non. De façon globale, tu as certainement raison. Mais quand même, si toutes les chansons et tous les auteurs sont égaux ; il en est de plus égaux que d'autres. Parmi tous ceux-là, cette fois, je distingue Tucholsky et particulièrement, dans sa façon de faire surgir dans l'air et en quelques vers, claire et transparente comme du verre, la manière dont les riches entendent traiter les pauvres, la façon dont les propriétaires des entreprises entendent réduire ce qu'ils appellent les frais, c'est-à-dire la part des travailleurs. Car c'est de cela qu'il est question dans la chanson. Et ce que Tucholsky disait clairement en 1931 s'applique tout autant aujourd'hui et si on continue à laisser faire les riches et leurs sectateurs, cela continuera. En fait, il met le doigt sur le processus indigne de l'exploitation, qui se répète de génération en génération.


Mais ce que tu dis pour cette canzone, pour Tucholsky, pourrait être étendu à d'autres…


Oui, sans aucun doute et à bien des autres et dans diverses langues. C'est aussi au caractère de révélateur – au sens où on l'entend en photographie, par exemple – de la canzone, telle qu'elle est conçue dans les Chansons contre la Guerre, que j'entends faire allusion. À la chanson comme un art particulier, créateur et diffuseur de pensée, créateur et diffuseur d'histoires.


Oh, la chose n'est pas neuve…, dit Lucien l'âne. Et Homère, par exemple, n'est pas sorti tout armé de la tête d'Apollon. Il est lui-même, au travers de ses grands chants que sont l'Iliade et l'Odyssée, le continuateur de poètes et chanteurs inconnus. L'histoire de la chanson se confond avec celle des hommes.


Cependant, j'aimerais insister sur le point, qui me paraît essentiel, c'est qu'elle est porteuse de la parole… et qu'elle le fait avec une souplesse, une malléabilité, une ductilité qui lui sont particulières. Elle peut être courte, longue, bruyante, quasiment susurrée, hurlante ou sans voix, portée par la foule ou fredonnée en cachette. Elle a beaucoup de défauts, mais elle supporte mal les flonflons, les flagorneries et les fanfares. Son principal mérite est sans doute de dire ce qui ne peut plus être dit ailleurs, de faire courir la parole par mille bouches et de la faire parvenir jusqu'aux confins les plus réservés ou de l'en faire sortir.


Arrêtons-nous là. Je sais que tu pourrais encore en dire, mais il nous faut conclure ici sans pour autant négliger de tisser le linceul de ce vieux monde avide, trop avide, ambitieux, trop ambitieux, exploiteur, trop exploiteur, et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Devant les contremaîtres – homme face à hommes.
Le directeur leur parle et les regarde :
« Il paraît qu'il y a ici un syndicat !
Il paraît qu'il y a des plaintes et quoi ?
Il faut travailler beaucoup plus, ici !
Faire tourner les rouages ! Augmenter la production !»
Juste une petite question :
Pour qui ?

Il dit : Les machines doivent tourner.
Qui donc va acheter votre marchandise ?
Vos employés ? Ceux dont vous avez déjà
Réduit le salaire au plus bas .
Et malgré tout, les marchandises
Ne sont pas devenues moins chères
Et toujours les rouages doivent tourner ici…
Pour qui ?

Pour qui les publicités et les affiches ?
Pour qui les tableaux et les voitures ?
Pour qui les cravates ? Les coupes en verre ?
Vos travailleurs ne peuvent pas payer ça.
Pour les autres, peut-être ? Dans ce cas,
Vous avez vos trusts et vos cartels, quand même !
Il dit : C'est l'économie qui commande.
Une belle économie !
Pour qui ? Pour qui ?

La chaîne de montagne continue à produire
Des marchandises pour des clients qui n'existent pas.
Vous avez détruit votre propre clientèle, comme ça.
Par les licenciements et les diminutions de salaire
Car l'Allemagne existe par les travailleurs et les employés !
Les millionnaires sont une rareté –
Et votre bilan tout d'un coup présente
Un solde catastrophique.


Tandis que les millions qui vont pointer.
Eux savent pour qui.