LA
BERLOQUE
Scène
de guerre – Rêve de Peur
Chanson
française – LA BERLOQUE – Marco Valdo M.I. – 2014
Au loin, sonne une trompette.
La flammèche vient droit sur ma tête,
La mèche entre dans ma bouche,
Mon ventre est bourré de cheddite.
Toc, toc, toc !
Dehors, on bat la berloque.
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La
Berloque…
La
breloque !
Non,
la berloque, comme je te le dis.
Sûr ?
Sûr
et certain, que je suis. Je te l'accorde : berloque et breloque
sont deux mots très proches et aisément confondus. Il n'empêche
que c'est bien de berloque qu'il est question. Et de plus, il faut
l'entendre aux sens propre et figuré.
Moi,
je veux bien, dit Lucien l'âne un peu éberlué, mais je ne sais
rien ni de l'un, ni de l'autre.
Alors,
je t'explique. Berloque n'est pas un mot d'usage courant… Au point
que les dictionnaires les plus usités n'en disent mot. Cependant,
quand on cherche, on trouve. Ainsi, berloque est attesté par Littré,
ce qui – en soi – est une référence et aussi, par le
dictionnaire de l'Académie française, référence redoutable, s'il
en est.
Ça
ne me dit toujours pas de quoi il s'agit, dit Lucien l'âne dépité.
Alors,
voici ce qu'en dit Littré et puis l'Académie.
Donc,
Littré : « Terme militaire. Batterie de tambour
pour les repas, les distributions. Battre la berloque. On dit aussi,
et plus souvent, breloque.
Fig. Battre la berloque : divaguer et ne savoir où donner de la tête. »
Fig. Battre la berloque : divaguer et ne savoir où donner de la tête. »
Et
l'Académie : « n. f. Batterie de tambour ou sonnerie de
clairon qui donne au soldat la permission de rompre les rangs. »
Dès
lors, ici les deux sens s'appliquent également et créent ainsi une
atmosphère amphibologique. Comme disait Victor Hugo : « J'écris
avec intention cette phrase amphibologique, parce que les deux
sens en sont vrais. »
D'accord,
mais foin de littérature, venons-en à la chanson. De quoi qu'elle
cause ?
Eh
bien, c'est un rêve – étrange et pénétrant – que fait un
soldat blessé, entouré d'autres grands blessés, de mourants,
d'amputés... couché dans un poste de secours quelque part sur le
front vers 1916 du côté du Chemin des Dames. Il délire et c'est ce
délire que l'on entend. Ce soldat n'est autre que l'auteur du roman
Clochemerle.
Gabriel
Chevallier ?, demande Lucien l'âne tout interloqué.
C'est
bien lui, mais dans un autre de ses romans, intitulé tout simplement
« La Peur ». Un livre comme tu vas pouvoir en juger ici
plein de terreur et de bruits, qui relate en direct son expérience
de « poilu », qui se résume principalement à la peur,
la peur, la peur ; jour et nuit, la peur… pendant des années,
la peur du soir au matin et du matin au soir. En dormant, éveillé,
en mangeant, en pissant, en chiant : la peur. Pour être
tout-à-fait complet, j'ajoute que ce rêve est relaté dans le roman
La Peur- édition de poche PUF 1951 aux pages 117 à 119.
Sans
aucun doute, « La Peur » est le meilleur titre pour un
roman sur la guerre, celle qu'il raconte et toutes les autres
possibles et inimaginables. Et certainement pas, toutes les
« turlutaines » qu'on serine généralement :
gloire, courage, héroïsme… et autres billevesées.
De
ce titre redoutable, Chevallier disait : « … Il y aurait
improbité à parler de la peur de ses camarades sans parler de la
sienne. C'est pourquoi il décida de prendre la peur à son compte,
d'abord à son compte. Quant à parler de la guerre de la guerre sans
parler de la peur, sans la mettre au premier plan, c'eût été de la
fumisterie. On ne vit pas aux lieux où l'on peut être à tout
instant dépecé à vif sans connaître une certaine appréhension. »
Et cette conclusion finale à la sortie de l'enfer :
« Soldats,
je vous félicite, vous avez atteint votre objectif : la Fuite.
Vive la Fuite ! »
et
un peu plus loin encore :
« Mon
cher général, je viens vous informer que désormais nous nous
passerons de vos services et que nous laisserons à la providence le
soin de remplir les cimetières. Nous vous informons que, notre vie
durant, nous aimerions ne plus entendre parler de vous ni de vos
estimables collègues. Nous voulons qu'on nous foute la Paix, la
Paix, la Paix ! Rompez, général ! »
On
ne peut mieux dire… Saluons Gabriel Chevallier et reprenons notre
modeste tâche qui consiste à tisser jour après jour le linceul de
ce vieux monde indécent, imbécile, incongru, incendiaire, insensé
et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Avec
le soir, les cris redoublent,
Le
délire s'empare des hommes.
Là-dedans,
l'air est irrespirable ;
La
température est insupportable ;
Le
climat est effroyable ;
Ça
sent le pus là-dedans,
Les
pansements et le sang
Et
puis, les excréments.
Toc,
toc, toc !
Dehors,
on bat la berloque
La
tête me tourne, la fièvre me prend ;
On
étouffe doucement.
Je
tremble, j'hallucine.
Dans
mes yeux, un bûcher fulgurant ;
Debout,
disloqués, grimaçants,
Des
soldats bleus, des soldats gris s'assassinent
Un
peu décapités, sanguinolents
Sans
gencives, sans dents.
Toc,
toc, toc !
Dehors,
on bat la berloque
Bleus,
gris, c'est le massacre ;
Ils
se démènent, ils s'acharnent.
Hommes
et rats partagent le champ.
Leurs
mâchoires ricanent.
Le
crâne ouvert ballotte,
Une
main s'enfonce et sort en riant
Une
bouillie aux vermicelles,
L'amas
gluant de la cervelle.
Toc,
toc, toc !
Dehors,
on bat la berloque
Alors,
tranquille, indifférent,
Il
gobe son œil qui pend,
Puis,
ouvre sa capote,
Déroule
ses intestins dégoulinants,
En
fait un nœud coulant.
D'un
geste sûr, il enserre
Le
cou de l'Allemand.
La
langue sort lentement.
Toc,
toc, toc !
Dehors,
on bat la berloque
Une
femme vient qui allaite
Un
enfant ;
Elle
le pose doucement
Sur
la barricade en flammes ;
Il
remue en pleurant ;
La
mère émue part en gémissant.
Cochon
de lait à la broche,
L'enfant
grésille.
Toc,
toc, toc !
Dehors,
on bat la berloque
On
emplit les seaux de sang ;
On
récupère le rôti d'enfant
Qu'on
emporte pour la popote
Du
haut commandement.
Là,
on prend l'apéritif en observant
De
loin, à la lunette,
Vainqueurs,
vaincus également,
Les
cadavres indifférents.
Toc,
toc, toc !
Dehors,
on bat la berloque
En
première ligne, tout à l'avant,
Je
sers la mitrailleuse,
Cette
tueuse bégayeuse.
Un
papillon s'en va voltigeant
Dessus
la côte crayeuse ;
Au
pied coule la Meuse.
Tuez
ce papillon, dit le commandant
Mais
ce papillon, c'est mon cœur volant.
Toc,
toc, toc !
Dehors,
on bat la berloque.
Mon
ennemi le colonel descend
D'une
auto et craque une allumette.
Sur
la boue, les rats sont à la fête.
Une
petit lueur avance en bondissant ;
Au
loin, sonne une trompette.
La
flammèche vient droit sur ma tête,
La
mèche entre dans ma bouche,
Mon
ventre est bourré de cheddite.
Toc,
toc, toc !
Dehors,
on bat la berloque.