mercredi 12 août 2020

ERIKA

 
ERIKA

Version française – ERIKA – Marco Valdo M.I. – 2020
d’après la version italienne (lazial romanesque) de Riccardo Venturi
d’une chanson polonaise – ErikaAleksander Kulisiewicz – Sachsenhausen – 1941
Paroles : Aleksander Kulisiewicz
Musique : Karel Vacek (“U našich kasáren”, 1937)


Plage de Noordwijk - 1908
Max Liebermann



« Erika a vraiment existé », écrit Kulisiewicz. C’était la fille adolescente d’un officier SS de haut rang ; « Elle se tenait au milieu du camp, son uniforme du Bund Deutscher Mädel repassé à la perfection, et regardait, inexpressive, nous autres, les prisonniers, qui revenions du travail en portant les cadavres de nos camarades morts. » Kulisiewicz a tiré la mélodie de cette chanson d’une marche populaire tchèque, U našich kasáren (« A notre caserne »), écrite par Karel Vacek en 1938 à l’occasion de la mobilisation générale avant l’annexion de la Tchécoslovaquie par Hitler :
Le vers final d’“Erika” (répété), quant à lui, est une parodie sarcastique d’une chanson nazie homonyme, écrite par le « roi des marches » allemand, Herms Niel. [trad./ad. RV]



Dialogue Maïeutique

« Erika ? », dit Lucien l’âne, on dirait un prénom de femme ou de fille d’un pays du Nord.

Oui, dit Marco Valdo M.I., c’en est un. Ce fut, je te le rappelle, aussi celui d’un pétrolier (pourri) qui, en 1999, lâcha sur les côtes de Bretagne sa cargaison et en deux morceaux, sa carcasse brisée. Cela dit, ici, la chanson est intitulée du prénom d’une jeune allemande, fille d’un haut gradé de la SS, affecté au camp de Sachsenhausen ; celui où mourut en 1934 sous la torture Erich Mühsam, dont j’avais remémoré la personne dans ma chanson : Erich Mühsam, poète, anarchiste et assassiné. Erika était-elle sa vraie identité, on ne le sait, car la chanson reprenait volontairement ce titre pour parodier un chant de la Wehrmacht dans lequel une jeune fille prénommée Erika est comparée par un soldat nostalgique, loin de chez lui, à la fleur de bruyère – Erica – de la lande voisine ? Un chant de marche que les soldats de la SS entonnaient avec une enthousiaste mélancolie ; un chant que les prisonniers reconnaissaient très bien.

Voilà pour la base, dit Lucien l’âne. Je vois de quoi il s’agit : un chant de soldat sur le schéma typique de la séparation, dont Lili Marleen [Lied eines jungen Wachtpostens] est certainement la plus célèbre figure. Sans doute, est aussi une sorte d’Adèle sirupeuse.

Eh bien, Lucien l’âne mon ami, comme tu connais Kulisiewicz dont on a déjà parlé plusieurs fois à propos de différentes chansons de sa composition, dont on a fait déjà quelques versions françaises : Bergen-Belsen moje (Bergen-Belsen), Czardasz Birkenau (La Czardas de Birkenau), Chorał z piekła dna (Chœur du fond de l’enfer), Das Todestango (Le Tango de la mort), Dziesięć milionów (Dix Millions), Hekatomba 1941 (Hécatombe 1941), Hymne, Im Walde von Sachsenhausen (Dans la forêt de Sachsenhausen), Kartoszki (Patates), Konzentrak (Le Camp), Maminsynek w koncentraku (Le fils à maman au camp), Mister C, Szymon Ohm (Simon Ohm), Tango truponoszów (Le tango des Croque-morts), je ne dirai pas grand-chose de lui, sauf – et tu en seras d’accord – que c’est véritablement un « trouvère des camps », un aède moderne qui a su donner un éclat particulier à cet univers sombre perdu dans l’ombre de l’histoire. Ainsi, pour en revenir à Erika, il s’agit d’une chanson à l’acide parodique de la plus haute concentration. Elle fait le récit de l’histoire d’un groupe de prisonniers (symbolisant tous les groupes de prisonniers de ces camps) qui sortent du camp pour aller au travail forcé et à cette occasion passent devant Erika (autrement dit la jeunesse allemande qui du coup, ne pouvait prétendre ignorer le destin de ces gens réduits en esclaves) et au retour, présentent à la jeune fille les cadavres de leurs compagnons battus à mort ; cadavres que les gardes les obligent à ramener au camp.

« Et un cadavre,
Et dix cadavres !
On les ramène tous et bien rangés
Pour les montrer à la charmante enfant ! »

Pauvre destin que celui d’Erika ; alors qu’elle aurait pu connaître une vie paisible et de longues vacances au bord de mer.

Oh, dit Lucien l’âne, je me souviens fort bien de Kulisiewicz. Même si je ne me souvenais pas d’avoir déjà connu tant de ses chansons, j’avais en tête l’humour amer avec lequel il narrait l’épouvantable. À présent, tissons le linceul de ce vieux monde brutal, odieux, amer, acide et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I.






Et boum badaboum, et boum badaboum
Et boum, boumboum et boum badaboum
Ils nous font la peau et badaboum.

Les SS nous cassent nos gueules,
Dès la sortie de notre camp merveilleux.
Il leur faut le faire, ils le doivent !
Frère, n’est-ce pas prodigieux ?

Et boum badaboum, et badaboum boum !
Alors n’hésite pas, mets-toi à l’abri, planque-toi !
Après une marche de plusieurs kilomètres,
Là-bas, il y a – Erika ! Erika !
Et tout ça va, tout ça va disparaître.

Venez, fraulein, venez avec nous,
Il faut vous distraire !
Les prisonniers tels des mouches, pour vous,
S’agitent en un spectacle et s’affairent !
Par-devant, un petit coup,
Un petit coup, par-derrière.
Vous en aurez des choses à raconter,
Pour un jour, un mois, la vie, toute l’éternité.

Et un cadavre,
Et dix cadavres !
On les ramène tous et bien rangés
Pour les montrer à la charmante enfant !
On les ramène tous et bien rangés
Pour les montrer à la charmante enfant !
Qui s’appelle Erika,
Qui s’appelait Erika.