ERIKA
Version
française – ERIKA – Marco Valdo M.I. – 2020
d’après
la version italienne (lazial romanesque) de Riccardo Venturi
Paroles :
Aleksander Kulisiewicz
Plage de Noordwijk - 1908
Max Liebermann
« Erika
a vraiment existé », écrit Kulisiewicz. C’était la fille
adolescente d’un officier SS de haut rang ; « Elle se
tenait au milieu du camp, son uniforme du Bund Deutscher Mädel
repassé à la perfection, et regardait, inexpressive, nous autres,
les prisonniers, qui revenions du travail en portant les cadavres de
nos camarades morts. » Kulisiewicz a tiré la mélodie de cette
chanson d’une marche populaire tchèque, U našich kasáren (« A
notre caserne »), écrite par Karel Vacek en 1938 à l’occasion
de la mobilisation générale avant l’annexion de la
Tchécoslovaquie par Hitler :
Le
vers final d’“Erika” (répété), quant à lui, est une parodie
sarcastique d’une chanson nazie homonyme, écrite par le « roi
des marches » allemand, Herms Niel. [trad./ad. RV]
Dialogue
Maïeutique
« Erika ? »,
dit Lucien l’âne, on dirait un prénom de femme ou de fille d’un
pays du Nord.
Oui,
dit Marco Valdo M.I., c’en est un. Ce fut, je te le rappelle, aussi
celui d’un pétrolier (pourri) qui, en 1999, lâcha sur les côtes
de Bretagne sa cargaison et en deux morceaux, sa carcasse brisée.
Cela dit, ici, la chanson est intitulée du prénom d’une jeune
allemande, fille d’un haut gradé de la SS, affecté au camp de
Sachsenhausen ; celui
où mourut en 1934 sous la torture Erich Mühsam,
dont
j’avais remémoré la personne dans ma chanson : Erich
Mühsam, poète, anarchiste et assassiné.
Erika
était-elle sa vraie identité, on ne le sait, car la chanson
reprenait volontairement ce titre pour
parodier un chant de la Wehrmacht dans lequel une jeune fille
prénommée Erika est comparée par un soldat nostalgique, loin de
chez lui, à la fleur de bruyère – Erica – de la lande voisine ?
Un chant de marche que les soldats de la SS entonnaient avec une
enthousiaste mélancolie ; un chant que les prisonniers
reconnaissaient très bien.
Voilà
pour la base, dit Lucien l’âne. Je vois de quoi il s’agit :
un chant de soldat sur le schéma typique de la séparation, dont
Lili
Marleen [Lied eines jungen Wachtpostens]
est
certainement la plus célèbre figure. Sans
doute, est aussi une sorte d’Adèle
sirupeuse.
Eh
bien, Lucien l’âne mon ami, comme tu connais Kulisiewicz dont on a
déjà parlé plusieurs fois à propos de différentes chansons de sa
composition, dont on a fait déjà quelques versions françaises :
Bergen-Belsen
moje (Bergen-Belsen),
Czardasz
Birkenau (La
Czardas de Birkenau),
Chorał
z piekła dna (Chœur
du fond de l’enfer), Das
Todestango (Le
Tango de la mort), Dziesięć
milionów (Dix Millions), Hekatomba
1941 (Hécatombe 1941), Hymne,
Im
Walde von Sachsenhausen (Dans la forêt de Sachsenhausen),
Kartoszki
(Patates), Konzentrak
(Le Camp), Maminsynek
w koncentraku (Le fils à maman au camp), Mister
C, Szymon
Ohm (Simon Ohm), Tango
truponoszów (Le tango des Croque-morts), je ne dirai pas
grand-chose de lui, sauf – et tu en seras d’accord – que c’est
véritablement un « trouvère des camps », un aède
moderne qui a su donner un éclat particulier à cet univers sombre
perdu dans l’ombre de l’histoire. Ainsi, pour en revenir à
Erika, il s’agit d’une chanson à l’acide parodique de la plus
haute concentration. Elle fait le récit de l’histoire d’un
groupe de prisonniers (symbolisant tous les groupes de prisonniers de
ces camps) qui sortent du camp pour aller au travail forcé et à
cette occasion passent devant Erika (autrement dit la jeunesse
allemande qui du coup, ne pouvait prétendre ignorer le destin de ces
gens réduits en esclaves) et au retour, présentent à la jeune
fille les cadavres de leurs compagnons battus à mort ; cadavres
que les gardes les obligent à ramener au camp.
« Et
un cadavre,
Et
dix cadavres !
On
les ramène tous et bien rangés
Pour
les montrer à la charmante enfant ! »
Pauvre
destin que celui d’Erika ; alors qu’elle aurait pu connaître
une vie paisible et de longues vacances au bord de mer.
Oh,
dit Lucien l’âne, je me souviens fort bien de Kulisiewicz.
Même
si je ne me souvenais pas d’avoir déjà connu tant de ses
chansons, j’avais en tête l’humour amer avec lequel il narrait
l’épouvantable. À présent, tissons le linceul de ce vieux monde
brutal, odieux, amer, acide et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I.
Et
boum badaboum, et
boum badaboum
Et
boum, boumboum et
boum badaboum
Ils
nous font la peau et badaboum.
Les
SS nous cassent nos gueules,
Dès
la sortie de
notre camp merveilleux.
Il
leur faut le faire, ils le doivent !
Frère,
n’est-ce pas prodigieux ?
Et
boum badaboum, et
badaboum boum !
Alors
n’hésite pas,
mets-toi à l’abri, planque-toi !
Après
une marche de plusieurs kilomètres,
Là-bas,
il y a – Erika ! Erika !
Et
tout ça va, tout ça va disparaître.
Venez,
fraulein, venez avec nous,
Il
faut vous distraire !
Les
prisonniers tels des mouches, pour vous,
S’agitent
en un spectacle et s’affairent !
Par-devant,
un petit coup,
Un
petit coup, par-derrière.
Vous
en aurez des choses à raconter,
Pour
un jour, un mois, la vie, toute l’éternité.
Et
un cadavre,
Et
dix cadavres !
On
les ramène tous et bien rangés
Pour
les montrer à la charmante enfant !
On
les ramène tous et bien rangés
Pour
les montrer à la charmante enfant !
Qui
s’appelle Erika,
Qui
s’appelait Erika.