Version
française – CHANSON
DE L’ATTENTE – Marco
Valdo M.I. – 2016
Chanson
allemande – Lied
vom Warten – Erich
Kästner – 1947
Une
chanson qu’Erich Kästner présenta au Cabaret Schaubude à Munich
en 1947, interprétée par Ursula
Herking.
Lorsque l’Allemagne, en décombres, devint une énorme salle d’attente de gare, avec millions de femmes qui espéraient le retour de leurs hommes prisonniers… Le nombre de soldats allemands prisonniers des Alliés et des Soviétiques à la fin de la seconde guerre mondiale est controversé. Encore plus controversé est le nombre de ceux qui moururent en captivité, mais furent indiscutablement très nombreux ceux qui ne revinrent jamais.
Tu
vois, Lucien l’âne mon ami, c’est une chanson extraordinaire et
elle l’est forcément, vu les circonstances. L’homme qui l’écrit,
la chose est essentielle à comprendre, n’est pas prisonnier, ne
l’a pas été ni par les Soviétiques, ni par les Alliés. Et pour
cause, puisque Erich Kästner avait été du début à la fin un
ennemi affirmé du régime nazi et cela se savait. Opposé aux nazis
et vivant en Allemagne, il avait subi la Gestapo et ses humiliantes
séances d’interrogations, on avait brûlé ses livres en place
publique, on l’avait insulté, on l’avait malmené. Il faut avoir
ça en tête pour bien comprendre toute la portée de sa chanson :
Erich Kästner ne peut en aucun cas être suspecté de complaisance
envers les nazis et pour comprendre ce que je vais dire, moi qui suis
fils de résistant mort des suites des tortures infligées par les
nazis allemands.
J’entends
tout cela, Marco Valdo M.I. mon ami. Je le savais, évidemment, mais
je pense bien que ce rappel ici était nécessaire et j’imagine
pourquoi. Mais je te le laisse dire toi-même, car j’en vois bien
toute l’importance.
Comme
tu le comprends, Lucien l’âne mon ami, la chose est délicate et
il me faut avancer sur l’extrême pointe des pieds. D’un côté,
je n’ai aucunement l’intention de faire le moindre cadeau aux
crapules nazies, ni leur pardonner quoi que ce soit : c’étaient
des crapules odieuses et il fallait assurément s’en débarrasser,
les mettre hors d’état de nuire et disons le mot, au besoin et il
y avait ce besoin, les assassiner, les pendre, les décapiter ou les
tenir en prison jusqu’à ce que mort s’ensuive – je pense même
que c’eût été la meilleure solution ; ils auraient eu le
temps de se morfondre ; en fait, la mort était un cadeau qu’on
leur faisait.
À
mon sens, dit Lucien l’âne en pointant ses deux oreilles vers
l’avant, les garder à vivre avec eux-mêmes me paraît être la
meilleure manière de régler ce dilemme. Bien sûr, cela nécessitait
de leur rappeler chaque jour leur indignité et ce pourquoi on les
tenait là. Voilà pour cette engeance.
Mais
pour les autres, pour ceux qu’ils emmenèrent jusqu’au plus
profond de l’ignominie, ceux qu’ils forcèrent à tuer, ceux
qu’ils forcèrent à massacrer, ceux qu’ils rabaissèrent à leur
niveau (par l’usage de la terreur, du mensonge, du chantage, de la
nécessité quotidienne), je suis plus circonspect.
C’est
d’ailleurs ce qu’ont découvert les juges et les responsables
politiques d’après guerre. On ne peut condamner tout un peuple ou
presque ; on ne peut le tenir en prison ou dans les camps ;
cela ne peut se faire longtemps. C’est d’une certaine façon
injuste, car il s’agit d’une punition collective excessive et
d’autre part, c’est impraticable. Alors, pour ceux-là, dont
l’engagement et la responsabilité dans la mésaventure nazie
étaient réduits, une certaine mansuétude a été considérée
possible et selon les cas, au cas par cas, une amnistie s’est
imposée.
C’est
la base morale sur laquelle se fonde la chanson d’Erich Kästner.
Mais cela a pris du temps. Et comme tu le verras, deux ans sont déjà
passés et des millions d’hommes sont encore dans les camps. Cela
tenait à la difficulté de faire le tri, de débusquer les vrais
nazis, afin de pouvoir laisser les autres retourner à une vie civile
et civilisée. Pendant ce temps, les femmes – qui souvent savaient
à quoi s’en tenir, mais je te l’accorde pas toujours –
attendaient le retour de leur homme avec plus ou moins de bonne
conscience. Deux ans de camp, qui viennent après des années de
guerre, c’est long. Voilà ce que raconte cette chanson, une sorte
de supplique des femmes allemandes.
Il
me reste à insister sur le fait que cette chanson est conçue dans
le cadre d’un cabaret littéraire et par conséquent, politique et
qu’elle vise à relayer directement le message des femmes face aux
autorités et à la communauté internationale.
Eh
bien, Marco Valdo M.I. mon ami, regardons cette chanson, lisons-la,
écoutons-la et puis, reprenons notre tâche et tissons le linceul de
ce vieux monde toujours compliqué, pitoyable, mortel et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
En
mai, ça fera deux ans passés
Que mon homme est prisonnier.
Il est en prison et moi, je suis en liberté.
L’espoir nous a oubliés.
Il est en prison et moi, je suis en liberté.
L’espoir nous a oubliés.
L’espoir a passé son tour.
La même blême angoisse de l’attente
Se pose partout comme un vautour
Et nous tient dans ses serres.
Dans les villes brumeuses, dans les vallées lointaines,
Toute l’Allemagne est une salle d’attente
Où millions de femmes,
Nous nous demandons muettes,
Quand le monde en pitié nous prendra.
Renvoyez-nous les donc à la maison.
Renvoyez-nous les enfin la maison,