dimanche 17 février 2019

Surtout, pas de mélancolie


Surtout, pas de mélancolie


Chanson léviane – Surtout, pas de mélancolie – Marco Valdo M.I. – 2019

Lettre de prison 10

13 avril 1934



Surtout, pas de mélancolie !
Je vous en prie.





Dialogue Maïeutique


Comme tu le vois, Lucien l’âne mon ami, cette chanson s’intitule « Surtout pas de mélancolie » et c’est tout un programme.

Moi, Marco Valdo M.I. mon ami, j’ai toujours pensé que la mélancolie était la meilleure compagne des solitaires et qu’elle gagnait souvent le cœur du prisonnier ou de celle, celui ou ceux qu’il laissait au-dehors.

Ce n’est pas faux, Lucien l’âne mon ami. C’est la raison pour laquelle le prisonnier dit :

« Surtout, pas de mélancolie !
Je vous en prie.
Moi, ici, je suis content,
Je passe les journées en chantant,
Je marche, je bouge en rêvant. »,

pourtant, on sent bien que cela tient plus de la formule conjuratoire plus que de l’affirmation d’un fait. Ce qui se passe est que Carlo Levi, qui est en prison depuis un mois, s’inquiète pour les siens. Cette inquiétude pour sa famille, mais aussi pour les femmes de sa vie, l’accompagnera tout au long de ses séjours en prison, en relégation, en exil ou dans la résistance clandestine. Il gardera ses attaches familiales et elles le garderont.

Mais au fait, dit Lucien l’âne, à quoi pense-t-il exactement quand il évoque ainsi la mélancolie ?

Tu as raison de poser cette question, Lucien l’âne. Mélancolie est un mot qui demande éclaircissement. Bien qu’il soit médecin et qu’il prend la peine de décrire son état et son comportement quotidien de façon à écarter toute idée de mélancolie, il ne faut sans doute pas lire ce mot en ayant à l’esprit le sens qu’un médecin peut lui donné – la mélancolie comme maladie, la mélancolie comme dépression, mais au sens courant de tristesse vague et envahissante. On peut résumer le propos par : Pas de tristesse, tout va bien, ne vous mettez pas martel en tête. Si mélancolie, il craint, c’est chez sa mère.

Qu’une mère se fasse du souci pour ses fils en prison, il n’y a là rien là que de normal, dit Lucien l’âne. Quant au reste, cette lettre, que dit-elle ?

Pour le reste, le prisonnier revient à ses arguments de défense et cette incessante mise en cause de son arrestation et des raisons apparentes de son incarcération. Il invoque les droits « naturels » du citoyen et de l’homme : « On a quand même le droit » et il ajoute avec l’air le plus innocent de « connaître des gens connus » ; l’ennui, c’est que ces « gens connus » sont des opposants au régime et seraient en effet pour le régime une bonne raison de le suspecter. Il faut aussi voir qu’il fait connaître de cette manière les motifs et l’ampleur de l’attaque contre le mouvement clandestin et dans le fond, en procédant ainsi la police politique du régime fasciste ne se trompe pas : c’est bien dans les milieux intellectuels et cultivés des villes que se trouve le cœur de la résistance clandestine au fascisme.

Il n’y a rien là d’étonnant, dit Lucien l’âne, que des gens intelligents et cultivés, qui de surcroît se connaissent presque tous directement, fassent front face à la bêtise et l’étouffement progressif, puis brutal, de la conscience et de la dignité ; si à cela le régime ajoute à la discrimination politique, celles pour cause religieuse, raciale ou d’homosexualité, il provoque et alimente la création et le développement d’une opposition irréductible. Cependant, je pense qu’il y a d’autres choses dans cette chanson qui ne paraît pas une chanson mélancolique.

Tu as raison, Lucien l’âne mon ami, même si j’avais eu un moment l’idée de l’intitulé chanson mélancolique – ce qui aurait été un beau titre, j’ai dû y renoncer, car elle ne l’est pas du tout. La fin de la chanson, passé le commentaire climatique primesautier, les deux derniers quintains sont plus nettement humoristiques et solidement ironiques et ils demandent une lecture attentive, l’un servant à dire en négatif le caractère de l’autre. Je donne cet exemple : quand la chanson dit :

« Au seizième, en Angleterre, pays civilisé
Et respectueux de la légalité, »

elle n’entend pas faire une leçon d’histoire carcérale. Que dit-elle exactement ? Elle parle de l’Italie mussolinienne qui n’est plus au seizième siècle, n’est plus un pays civilisé et respectueux de la légalité.

On dirait, dit Lucien l’âne, qu’il parle aussi de l’Italie d’aujourd’hui… D’après ce qu’on entend de tous côtés, c’est la même atmosphère, même si les acteurs ont changé.

Peut-être bien, dit Marco Valdo M.I. ; en tout cas, ça y ressemble fort ; d’où l’intérêt de relire attentivement ces lettres de Carlo Levi. Pour la chanson, je te laisse la surprise de la fin.

Alors, dit Lucien l’âne, tissons le linceul de ce vieux monde bégayant, indécent, incorrect et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Déjà tout un mois
En prison, sans savoir pourquoi.
On a quand même encore le droit
De connaître des gens connus dans le pays,
D’être peintre et d’aller à Paris.

Ainsi, mon nom, mes origines, mes connaissances
Sont causes de défiance.
Mais patience,
J’en sortirai, j’ai confiance.
On ne peut rien contre l’innocence.

Surtout, pas de mélancolie !
Je vous en prie.
Moi, ici, je suis content,
Je passe les journées en chantant,
Je marche, je bouge en rêvant.

D’un coup, le beau temps est venu ;
Soudain, on a changé de saison.
Les oiseaux, les coccinelles, les papillons,
Les araignées, les lézards ont reparu.
Ils apportent la joie en prison.

Au seizième, en Angleterre, pays civilisé
Et respectueux de la légalité,
On était écartelé, décapité,
Pendu, noyé, brûlé vif, éventré
On vous coupait les oreilles, la langue ou le nez.

Ainsi, j’ai la chance d’être né
En ce siècle inventif
Où il peut arriver
D’être mis en prison sans motif,
Mais on y est bien traités.