Surtout,
pas de mélancolie
Chanson
léviane – Surtout, pas de mélancolie – Marco Valdo M.I. –
2019
Lettre
de prison 10
13
avril 1934
Surtout,
pas de mélancolie !
Je
vous en prie.
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Dialogue
Maïeutique
Comme
tu le vois, Lucien l’âne mon ami, cette chanson s’intitule
« Surtout pas de mélancolie » et c’est tout un
programme.
Moi,
Marco Valdo M.I. mon ami, j’ai toujours pensé que la mélancolie
était la meilleure compagne des solitaires et qu’elle gagnait
souvent le cœur du prisonnier ou de celle, celui ou ceux qu’il
laissait au-dehors.
Ce
n’est pas faux, Lucien l’âne mon ami. C’est la raison pour
laquelle le prisonnier dit :
« Surtout,
pas de mélancolie !
Je
vous en prie.
Moi,
ici, je suis content,
Je
passe les journées en chantant,
Je
marche, je bouge en rêvant. »,
pourtant,
on sent bien que cela tient plus de la formule conjuratoire plus que
de l’affirmation d’un fait. Ce qui se passe est que Carlo
Levi, qui est en prison depuis un mois, s’inquiète pour les siens.
Cette inquiétude pour sa famille, mais aussi pour les femmes de sa
vie, l’accompagnera tout au long de ses séjours en prison, en
relégation, en exil ou dans la résistance
clandestine. Il gardera ses attaches familiales et elles le
garderont.
Mais
au fait, dit Lucien l’âne, à quoi pense-t-il exactement quand il
évoque ainsi la mélancolie ?
Tu as
raison de poser cette question, Lucien l’âne. Mélancolie est un
mot qui demande éclaircissement. Bien qu’il soit médecin et qu’il
prend la peine de décrire son état et son comportement quotidien de
façon à écarter toute idée de mélancolie, il ne faut sans doute
pas lire ce mot en ayant à l’esprit le sens qu’un médecin peut
lui donné – la mélancolie comme maladie, la mélancolie comme
dépression, mais au sens courant de tristesse vague et envahissante.
On peut résumer le propos par : Pas de tristesse, tout va bien,
ne vous mettez pas martel en tête. Si mélancolie, il craint, c’est
chez sa mère.
Qu’une
mère se fasse du souci pour ses fils en prison, il n’y a là rien
là que de normal, dit Lucien l’âne. Quant au reste, cette lettre,
que dit-elle ?
Pour
le reste, le prisonnier revient à ses arguments de défense et cette
incessante mise en cause de son arrestation et des raisons apparentes
de son incarcération. Il invoque les droits « naturels »
du citoyen et de l’homme : « On a quand même le droit »
et il ajoute avec l’air le plus innocent de « connaître des
gens connus » ; l’ennui, c’est que ces « gens
connus » sont des opposants au régime et seraient en effet
pour le régime une bonne raison de le suspecter. Il faut aussi voir
qu’il fait connaître de cette manière les motifs et l’ampleur
de l’attaque contre le mouvement clandestin et dans le fond, en
procédant ainsi la police politique du régime fasciste ne se trompe
pas : c’est bien dans les milieux intellectuels et cultivés
des villes que se trouve le cœur de la résistance clandestine au
fascisme.
Il
n’y a rien là d’étonnant, dit Lucien l’âne, que des gens
intelligents et cultivés, qui de surcroît se connaissent presque
tous directement, fassent front face à la bêtise et l’étouffement
progressif, puis brutal, de la conscience et de la dignité ; si
à cela le régime ajoute à la discrimination politique, celles pour
cause religieuse, raciale ou d’homosexualité, il provoque et
alimente la création et le développement d’une opposition
irréductible. Cependant, je pense qu’il y a d’autres choses dans
cette chanson qui ne paraît pas une chanson mélancolique.
Tu as
raison, Lucien l’âne mon ami, même si j’avais eu un moment
l’idée de l’intitulé chanson mélancolique – ce qui aurait
été un beau titre, j’ai dû y renoncer, car elle ne l’est pas
du tout. La fin de la chanson, passé le commentaire climatique
primesautier, les deux derniers quintains sont plus nettement
humoristiques et solidement ironiques et ils demandent une lecture
attentive, l’un servant à dire en négatif le caractère de
l’autre. Je donne cet exemple : quand la chanson dit :
« Au
seizième, en Angleterre, pays civilisé
Et
respectueux de la légalité, »
elle
n’entend pas faire une leçon d’histoire carcérale. Que dit-elle
exactement ? Elle parle de l’Italie mussolinienne qui n’est
plus au seizième siècle, n’est plus un pays civilisé et
respectueux de la légalité.
On
dirait, dit Lucien l’âne, qu’il parle aussi de l’Italie
d’aujourd’hui… D’après ce qu’on entend de tous côtés,
c’est la même atmosphère, même si les acteurs ont changé.
Peut-être
bien, dit Marco Valdo M.I. ; en tout cas, ça y ressemble fort ;
d’où l’intérêt de relire attentivement ces lettres de Carlo
Levi. Pour la chanson, je te laisse la surprise de la fin.
Alors,
dit Lucien l’âne, tissons le linceul de ce vieux monde bégayant,
indécent, incorrect et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Déjà
tout un mois
En
prison, sans savoir pourquoi.
On
a quand même encore le droit
De
connaître des gens connus dans le pays,
D’être
peintre et d’aller à Paris.
Ainsi,
mon nom, mes origines, mes connaissances
Sont
causes de défiance.
Mais
patience,
J’en
sortirai, j’ai confiance.
On
ne peut rien contre l’innocence.
Surtout,
pas de mélancolie !
Je
vous en prie.
Moi,
ici, je suis content,
Je
passe les journées en chantant,
Je
marche, je bouge en rêvant.
D’un
coup, le beau temps est venu ;
Soudain,
on a changé de saison.
Les
oiseaux, les coccinelles, les papillons,
Les
araignées, les lézards ont reparu.
Ils
apportent la joie en prison.
Au
seizième, en Angleterre, pays civilisé
Et
respectueux de la légalité,
On
était écartelé, décapité,
Pendu,
noyé, brûlé vif, éventré
On
vous coupait les oreilles, la langue ou le nez.
Ainsi,
j’ai la chance d’être né
En
ce siècle inventif
Où
il peut arriver
D’être
mis en prison sans motif,
Mais
on y est bien traités.