BOLOGNE
Version française – BOLOGNE – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson
italienne – Bologna
– Francesco Guccini – 1980
Bologne, pour moi provincial, un petit Paris débonnaire: Marchés en plein air, bistrots, une odeur de « rive gauche » |
Francesco
Guccini, Bologne et le 2 Août, ce train manqué il y a 35 ans pour
un concert annulé sans préavis. Et encore, la déception
d'aujourd'hui : « Je ne crois pas on arrivera à la vérité ».
(Francesco
Guccini interviewé
par
Ilaria Venturi, La
Repubblica del 3 agosto 2015)
Tout
en ayant raconté Bologne nombre de fois et de moult façons, vous
n'avez jamais voulu écrire à propos du massacre du Deux août
pourquoi ?
«Au
débotté, il était impossible de le faire. Et même après, cela
m'a toujours été difficile, le risque était de tomber dans la
rhétorique. Et je ne voulais pas le courir. Mais j'ai inséré un
vers dans la chanson Bologne ».
"Bologna
capace d'amore, capace di morte: quella mattina è tutta in questa
frase".Ce matin-là, vous deviez prendre un train
à Bologne.
« J'avais
eu un concert à Imola le premier d'août. Le jour après je devais
rentrer. Une extinction de voix m'empêcha de jouer. Mais le fait
n'est pas que j'aie échappé au massacre ; de toute façon, le
2 août, je ne serais pas parti le matin, peut-être plus tard ».
« À peine se répandit la nouvelle, je pensai mon frère qui travaillait à la Poste de la gare. Il réussit à nous appeler, il était bien ».
« La ville a changé, mais pas seulement pour la bombe. » Les membres de la famille des victimes réclament au gouvernement les promesses jusqu'à aujourd'hui manquées. « Je signerai leur pétition »
« Je ne crois pas, comme pour tant d'autres massacres en Italie. Je pense à Ustica ou à la place de la Loggia, dont la sentence de condamnation est sortie maintenant, 41 ans après ».
« Un
petit peu peut-être oui. Mais de toute façon, il ne faut pas
accepter l'oubli. Le 2 août a été une grande blessure. Impossible
à oublier ».
Lucien
l'âne mon ami, je suppose que tu connais cette bonne ville de
Bologne là-bas en Italie coincée entre le Pô et les Apennins au
cœur de l'Émilie-Romagne.
Certes,
Marco Valdo M.I., mon ami et j'y suis même passé de nombreuses fois
au cours des siècles de pérégrination que j'ai vécus depuis bien
avant le temps où Apulée raconta mon histoire métamorphique.
Encore que là comme pour d'autres, c'est pure affabulation. La seule
certitude est que je suis là pour te parler…
Ho,
ho, arrête là sinon nous n'en sortirons pas aujourd’hui – déjà
qu'on est en retard. Mais s'agissant de Bologne, te souviens-tu de ce
qui l'a marquée le 2 août 1980, te souviens-tu de la gare éventrée,
de tous ces morts, tous ces blessés.
C'était
un jour d'été…
Eh
bien, on n'a toujours pas trouvé les « mandants »,
c'est-à-dire ceux qui avaient conçu et ordonné cet attentat.
Bologne… Une grande ville, une ville ancienne qui longtemps vécu
des campagnes… On y reviendra. Ce qui est le début de la chanson.
Et
puis…, dit Lucien l'âne tout ouïe, redressant les oreilles en
signe de profonde attention…
C'est
aussi une chanson, l'air de rien, une chanson contre l'oubli et
nettement une de ces chansons de paix dont nous avons tous deux
conclu qu'elles étaient les plus véridiques chansons contre la
guerre… C'est plus vrai encore su le long terme car elles
persistent à vouloir la vie meilleure et à la chanter.
Chanter
la ville, chanter la vie, raconter les gens, ne pas laisser tomber
les rideaux de l'oubli sur les crimes politiques, sur ces actes de
guerre aux civils qui sont des épisodes violents et crapuleux de
cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres afin –
par la peur – de leur faire accepter leur domination sans regimber,
afin d'assurer de cette honteuse manière leur pouvoir, leurs
privilèges, leurs richesses, leurs profits et leurs systèmes
d'exploitation.
Francesco
Guccini passa sa jeunesse à Bologne et il en a gardé la nostalgie
de cette Bologne parisienne rêvée. Car, mais peut-être le sais-tu,
c'est une question d’époque, Paris fut un temps un miroir aux
alouettes de tout ce qui se voulait artiste… ou voulait vivre ou
singer la vie d'artiste. On vivait à Bologne (et Guccini aussi)
comme si c'était Paris, on vivait la bohème à Bologne songeant aux
années (disons entre 1945 et 1960) où sur la rive gauche de la
Seine s'agitait un petit monde qui créait, créait notamment de la
chanson française. Après le « Ach, Paris ! Petites
demoiselles... », il y eut une époque où un chanteur danois
décrivait un Paris
bohème de carte postale, une peinture naïve (faussement) telle
que pouvaient en faire les besogneux peintres montmartrois. Mais
stop. On n'est pas là pour faire une conférence ou un cours…
Quoique Guccini, comme poète contemporain, y a passé son existence
d’enseignant. Mais restop. Juste deux mots, deux phrases… Enfin
encore quelques réflexions pour le plaisir…
À
quoi tu penses encore ?, hoquette Lucien en riant à pleine
gorge.
Et
bien voilà… On
dit qu'Alphonse Allais faisait dire au Captain Cap : « Il faut
bâtir les villes à la campagne » ; excellente idée,
mais n'aurait-elle pas
germé
plutôt et plus tôt
dans le cerveau de Monnier, à moins
d'attribuer cette génialité vague à Pierre Leroux, qui dès 1848,
dans Le
Pamphlet provisoire illustré
émettait la
considération suivante :
« Mais,
mon bon monsieur Cabet, puisque vous aimez tant la paix des champs,
il faut bâtir les villes à la campagne. »
Ceci
en français, mais sans doute trouve-t-on
des réflexions similaires dans d'autres langues et d'ailleurs, dès
la plus haute Antiquité s'était-on aperçu de la chose. Et
de fait, c'est le cas de Bologne, qui
selon
Guccini fut
d'abord une campagnarde :
« Bologne
est une riche dame qui fut paysanne... »
De
fait et on en termine ici, moi qui ai tant pérégriné, j'ai vu bien
des campagnes se transformer en villes.
Juste
encore une dernière remarque à ce sujet. Carlo Levi disait dans
Peur de la Liberté : « Les
villes croissent par des proliférations périphériques, comme les
organismes unicellulaires, se propagent par les campagnes comme un
liquide informe. »
Bonne
définition du phénomène de l'urbanisation du
monde. On connaîtra peut-être un jour le phénomène inverse… Il
faudra d'ailleurs bien si l'on veut garder un peu d'air et continuer
à exister. En attendant, tissons le linceul de ce vieux monde aux
villes tentaculaires, pauvre Terrien menacé d'asphyxie, écrasé
sous le poids des choses multipliés et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Bologne est une vieille dame aux flancs un peu molsLe sein sur la plaine du Pô et le cul sur les cols,
Bologne arrogante et papale, Bologne la rouge et foetale,
Bologne la grasse et l'humaine déjà un peu Romagne, au parfum de Toscane…
Bologne, pour moi provincial, un petit Paris débonnaire:
Marchés en plein air, bistrots, une odeur de « rive gauche »
Sartre pontifiait, Baudelaire chantait sous l'absinthe
Et moi, vulgaire Modenais, à transpirer d'amour, fut-il ancillaire.
Et pourtant quelle Bohême confortable passée entre maison et tavernes
Quand chaque verre bouleverse les philosophies…
Oh combien nous étions poétiques, mais sans pudeur et sans peur
Et les vieux poivrots semblaient être littérature…
Oh combien nous étions tous artistiques, mais sans honte ou sans pudeur
Bercés entre les cuisses monumentales de maman Bologne…
Bologne est une femme d'Émilie aux pommettes fortes,
Bologne capable d'amour, capable de mort,
Qui sait ce qui compte et qui vaut, qui connaît le goût,
Qui calcule le juste, la vie et qui même frappée, sait tenir debout…
Bologne
est une riche dame qui fut paysanne :
Bien-être, villas, bijoux… et salamis en vitrine,
Qui sait que l'odeur de misère à éliminer est chose sérieuse
Et veut se sentir sûre malgré ce qui lui tombe dessus, car elle est courageuse.
Bien-être, villas, bijoux… et salamis en vitrine,
Qui sait que l'odeur de misère à éliminer est chose sérieuse
Et veut se sentir sûre malgré ce qui lui tombe dessus, car elle est courageuse.
Tu gâches ton parfum de bien-être avec l'étrange binôme
Devant ton Santo Petronio, des morts pour des rêves
Et tes Bolonais, s'ils existent, y sont-ils encore ou se sont-ils perdus
Mêlés et liés à des milliers de mondes différents ?
Oh combien de paroles te chantent, ressassant les clichés des gens,
Chantant des chansons qui ne sont que du vent…
Bologne dame étrange, vulgaire matrone,
Bologne bonne enfant, « ribaude » Bologne,
Bologne nombril de tout, tu me pousses à sangloter et à roter,
J'ai le regret de ce que tu m'as donné, qui est presque un souvenir, au parfum de passé…