LA BALLADE DES SEPT FRÈRES
OU L’HISTOIRE DES FRÈRES CERVI
Version
française – LA
BALLADE DES SEPT FRÈRES OU L’HISTOIRE DES FRÈRES CERVI – Marco
Valdo M.I.
– 2019
d’après
la version italienne de Riccardo Gullotta – La ballata dei Fratelli
Cervi
(tiré
de « La paglia bruciata. Racconti in versi" , 1968)
Interprétée
par le conteur de Tano
Avanzato (à
15.35 du commencement du clip).
Depuis
la nuit des temps, la narration orale occupe une place de choix parmi
les formes d’art discursifs. Il suffit de penser à Homère, à
Hésiode, et à toute une multitude d’aèdes et de rhapsodes qui
ont fleuri à l’époque de la Grèce préclassique. D’autres
expériences de tradition orale ont été les bardes de la culture
celtique, les gawlo/djeli (en français « griot« ) encore
présents en Afrique subsaharienne, les chamans des cultures
orientales.
Dans
l’Empire romain aussi, la narration orale, confiée aux
« histrions », se répandit. Au Moyen Âge, les
troubadours et trouvères, à la cour des puissants, les ménestrels
et les bouffons, ces derniers plutôt errants, avaient un rôle
fondamental dans la narration des actes de chevalerie, puis dans la
diffusion des archétypes fonctionnels à la classe féodale, les
artistes à jouer un rôle pour une sorte de conte ante litteram. Ils
sont, d’une certaine manière, les précurseurs des
« Cantastorie ».
L’école
poétique sicilienne avec Ciullo d’Alcamo, XIVième
siècle, peut aussi être rattachée à cette veine. Les formes de
narration orale ou d’exécutions représentatives qui n’avaient
pas un caractère strictement sacré ont été découragées par
l’Église, puis interdites.
L’invention
de l’imprimerie a donné une forte impulsion à la circulation des
« feuilles volantes » qui ont facilité la diffusion des
histoires à raconter oralement. En Sicile, entre le XVIième
et le XVIIième siècle, il y avait une différence entre
les « cantastorie » et les « cuntastorie ».
Ces derniers sont basés sur la tradition des commissaires-priseurs
qui ont été engagés par les dirigeants pour la notification des
édits et la diffusion des nouvelles importantes. Plus tard, au
XIXième siècle, l’Opera dei Pupi s’est
imposé, un théâtre de marionnettes, avec des histoires tirées de
l’épopée chevaleresque, en particulier du cycle carolingien
(chanson de geste). En Sicile, l’héritage des Normands et des
Souabes est bien établi.
Les
différences entre Cantastorie, Cuntastorie et Opera dei Pupi ne sont
naturellement pas nettes. Chaque forme a emprunté à l’autre et
l’a à son tour influencée. S’il fallait marquer une différence,
on pourrait dire que dans l’opéra de marionnettes, la présence
des marionnettes et du marionnettiste est prédominante, alors que le
cuntastorie classique itinérant se réfère aux mêmes sujets, ou à
des sujets similaires, en utilisant une affiche. Le conteur,
également itinérant, présente des thèmes liés à l’actualité,
accompagnés par l’accordéon et/ou la guitare. Les représentations
ont toujours lieu à l’extérieur.
Au
XXième siècle, en Sicile, il y a eu une
évolution et une diversification des conteurs. Avec l’extension de
l’alphabétisation, le conteur distribue des feuilles de papier
volantes aux spectateurs moyennant des frais. Avec l’avènement des
disques et des cassettes, la Cantastorie s’oriente vers la vente de
ces derniers, jouant en play-back. Soit parce que la spontanéité
n’est pas forcément présente, soit parce que la diffusion de la
télévision envahit et absorbe tout espace multimédia natif,
nivelant (unifiant ?) les cultures et la weltanschauung, le
genre subit en fait un déclin, mais pas au point de disparaître ou
de rendre impossible la mémoire des artistes suivants (mes excuses à
tous ceux dont je ne parle pas par ignorance ou oubli) :
Orazio Strano da Riposto (m.1981), Paolo Garofalo da S.Cataldo (m.2016), Gaetano Grasso da Paternò (m.1979), Ciccio Busacca da Paternò (m.1989), Vito Santangelo da Paternò (m.2014)), Rosa Balistreri da Licata (m.1990), Antonio Tarantino da Palermo (m.2009), Peppino Castro da Dattilo, Rosita Caliò da Catania, Nonò Salamone da Sutera (n.1945), Fortunato Sindoni da Barcellona.
Ignazio
Buttitta était le poète de beaucoup d’entre eux.
Chansons
et poèmes à
propos des
frères Cervi :
La pianura dei sette fratelli (Gang)
Per i morti di Reggio Emilia (Fausto Amodei) (Sangue del nostro sangue, nervi dei nostri nervi, come fu quello dei Fratelli Cervi)
La ballata dei Fratelli Cervi (Ignazio Buttitta)
Compagni Fratelli Cervi (anonimo)
Papà Cervi raggiunge i sette figli (Eugenio Bargagli)
Sette fratelli (Mercanti di Liquore e Marco Paolini)
Campi rossi (La Casa del vento)
Ai fratelli Cervi, alla loro Italia (Salvatore Quasimodo)
Canzone per Delmo (Filippo Andreani), dedicata ad Adelmo Cervi
I Sette Cervi (anonimo)
Salmodia della speranza (David Maria Turoldo)
La pianura dei sette fratelli (Gang)
Per i morti di Reggio Emilia (Fausto Amodei) (Sangue del nostro sangue, nervi dei nostri nervi, come fu quello dei Fratelli Cervi)
La ballata dei Fratelli Cervi (Ignazio Buttitta)
Compagni Fratelli Cervi (anonimo)
Papà Cervi raggiunge i sette figli (Eugenio Bargagli)
Sette fratelli (Mercanti di Liquore e Marco Paolini)
Campi rossi (La Casa del vento)
Ai fratelli Cervi, alla loro Italia (Salvatore Quasimodo)
Canzone per Delmo (Filippo Andreani), dedicata ad Adelmo Cervi
I Sette Cervi (anonimo)
Salmodia della speranza (David Maria Turoldo)
Dialogue
Maïeutique
Mon
cher ami Lucien l’âne, pour une fois, ce n’est pas nous qui
parlerons de la chanson longue et de sa longue histoire; c’est
l’introduction faite ci-dessus par Riccardo Venturi. Par contre, je
vais faire une brève note historique à propos de cette famille
des Cervi. Et d’abord, dire qui ils furent ces sept-là :
Gelindo
(1901), Antenore (1906);
Aldo (1909); Ferdinando (1911); Agostino (1916); Ovidio (1918) et
Ettore (1921); c’étaient les
fils d’Alcide Cervi (1875-1970) et de Genoeffa Cocconi (1876-1944),
une famille de paysans antifascistes. À partir de septembre 1943,
ils entrèrent dans la Résistance, fait prisonniers par les
fascistes, ils furent torturés et ensuite, fusillés le 28 décembre
1943. Comme le dit la chanson à sa manière, le père Alcide, qui a
vécu jusque 95 ans, a toujours été hanté par leur présence et
porta leur souvenir jusqu’au bout. La mère ne supporta pas cette
tragédie et mourut quelques mois après d’un « mal de cœur »
– dans tous les sens du terme. Comme la chanson l’évoque peu, je
voudrais ici insérer en italien et en faire une version française,
l’épigraphe que Piero
Calamandrei
consacra à cette mère.
Epigrafe per la madre dei fratelli Cervi
di
Piero Calamandrei
Quando
la sera tornavano dai campi
Sette figli ed otto col padre,
Il suo sorriso attendeva sull’uscio
Per annunciare che il desco era pronto.
Sette figli ed otto col padre,
Il suo sorriso attendeva sull’uscio
Per annunciare che il desco era pronto.
Ma
quando in un unico sparo
Caddero in sette dinanzi a quel muro,
La madre disse:
“Non vi rimprovero o figli
D’avermi dato tanto dolore,
L’avete fatto per un’idea,
Perché mai più nel mondo altre madri
Debban soffrire la stessa mia pena.
Caddero in sette dinanzi a quel muro,
La madre disse:
“Non vi rimprovero o figli
D’avermi dato tanto dolore,
L’avete fatto per un’idea,
Perché mai più nel mondo altre madri
Debban soffrire la stessa mia pena.
Ma
che ci faccio qui sulla soglia,
Se più la sera non tornerete.
Il padre è forte e rincuora i nipot,
Dopo un raccolto ne viene un altro,
Ma io sono soltanto una mamma
O figli cari,
vengo con voi”.
Se più la sera non tornerete.
Il padre è forte e rincuora i nipot,
Dopo un raccolto ne viene un altro,
Ma io sono soltanto una mamma
O figli cari,
vengo con voi”.
ÉPIGRAPHE
POUR LA MÈRE DES FRÈRES CERVI.
Quand
le soir revenaient des champs,
Sept
fils et huit avec le père,
Son
sourire attendait sur le devant
Pour
annoncer que le souper était sur la table.
Quand
en un seul tir,
Les
sept tombèrent devant ce mur,
La
mère dit d’un murmure :
« Je
ne vous reprocherai pas, mes enfants,
De
m’avoir donné tant de douleur, ô tant,
Vous
l’avez fait pour une idée,
Pour
que jamais plus dans le monde d’autres mères
Ne
doivent souffrir de la même peine.
Mais
que fais-je, moi, sur ce devant
Si
le soir, je ne vois plus revenant.
Votre
père est fort, il élèvera vos enfants,
Après
une récolte envient une autre,
Mais
je suis seulement une maman,
Ô
mes chers enfants,
Je
viens avec vous, je suis la vôtre.
Je
suis heureux, Marco Valdo M.I. que tu aies repris
ici ce poème de Piero Calamandrei
et j’apprécie que tu en aies fait une version de ta main en notre
langue commune. À présent reprenons notre tâche – Ora
e sempre, Resistenza !
– et tissons le linceul de ce vieux monde sans cesse recommencé,
où reviennent en force la bêtise et la brutalité, vieux monde
barbare, éructant, tweetant et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Je
vous chante l’histoire des Frères Cervi, des sept frères paysans
tués par les fascistes à Reggio Emilia le 28 décembre 1943. Le
père avait
survécu,
la mère est morte de douleur, mais il y avait quatre veuves et onze
enfants. C’est la vérité, souvenez-vous
de
ça.
Je
vous chante l’histoire des frères Cervi,
De
sept frères paysans fusillés par les fascistes
À
Reggio Emilia, le 28 décembre 1943.
Le
père est toujours en vie, la mère est morte de douleur
Il
y avait quatre veuves et onze enfants. C’est la vérité,
rappelez-vous ça.
Les
fascistes les ont tués au polygone de tir de Reggio.
La
mémoire ne s’efface pas, ce fut un jour de sacrilège.
Un
prêtre hypocrite leur a dit juste avant leur mort :
« Confessez
vos péchés, car le Seigneur ouvre les portes »
Les
frères répondirent : « Notre foi, c’est la liberté,
Les
fascistes tuent ceux qui ont la foi ; allez donc les
confesser ! ».
Les
fascistes leur ont dit : « Si vous ne voulez pas mourir,
Embrassez
le fascio et reniez la liberté ! »
Ils
ont répondu avec indignation :
« Nous
sommes de sang émilien et nous ne voulons
Pas
nous salir le cœur, ni les mains.
Ils
aimaient la liberté, les Cervi, la terre, mère des humains,
Ils
la cultivaient avec amour et obstination.
Le
8 septembre 1943, la ferme devint un refuge pour les résistants :
Un
va-et-vient continu de ceux qui
Voulaient
la liberté pour l’Italie,
Ils
les accompagnaient en montagne pour la lutte des partisans.
Les
fascistes les ont découverts, ils ont encerclé la ferme,
Il
y avait un rideau de brouillard, la nuit était sombre,
Cette
nuit du 25 novembre.
Papa
Cervi, commandant du peuple, « Aux armes ! » a
crié :
La
ferme tire comme cent bouches de volcan.
Après
une heure de combat, les fascistes, gens répugnants,
Qui
ont la merde dans leur pantalon, la grange, ont incendié.
Le
vieil homme dit : « Je ne me rends pas, je mourrai dans
les flammes. »
Mais
son fils Aldo dit affolé :
« Papa,
reste pour les enfants et les femmes.
Je
préfère mourir, que toi, dans les flammes. »
En
se mordant les mains avec désespoir et colère,
Papa
Cervi ferme les yeux, pâle comme un mort.
Puis
tous se rendent – quelle douloureuse séparation ! -
Père,
mère, enfants et brus fortement se serraient.
« Ne
pleurez pas » – disaient-ils à leurs enfants et à leur mère
– « Nous reviendrons »
Et
ils savaient que jamais, ils ne reviendraient.
Elle
avait la peau sur les os, elle ne pouvait pas travailler,
Elle
embrassait ses petits-enfants et souriait pour ne pas pleurer.
Dès
qu’elle était seule dans sa chambre, elle fermait la porte.
Et
elle faisait et défaisait les lits de ses enfants.
Elle les faisait et les défaisait continuellement heure après heure,
Avec
un esprit étrange, des mains de mort-vivant.
Jusqu’à
la fin de ses jours, elle comptait tous les lits avec son doigt.
Et
elle répétait les noms de ses fils jusqu’au dernier :
Un :
Hector, deux : Ovide.... jusqu’à sept et chaque fois,
Commençait
et recommençait le compte sans s’arrêter.
Et
les enfants dans la pièce augmentaient de sept à la fois,
La
mamma, la mamma comptait ses sept fils, faisait une infinie addition,
Et
ses sept fils, ses sept fils au total sont mille,.... un million.
Tant
de morts, tant de sang, quel terrible drame !
(Imaginez
les Cervi, l’état de leur mère.
On
n’achète pas ses enfants aux enchères,
On
ne les pêche pas au fond de la mer,
La
peau et les os, elle n’était plus qu’un spectre étouffé,
C’était
elle, elle était la mère de sept fils tués.
Et
elle sentait les battements de son cœur écrasé.)
Avant
d’être fusillés, à l’heure de leur mort,
Ils
s’embrassaient, les mains liées au dos.
Pendant
le tir, à haute voix cria Aldo :
« Nous
ne mourons pas, nous ne mourons pas » et de fait, ils ne sont
pas morts.
Ils
sont morts pour ceux qui vivent comme des morts, ils sont vivants
pour ceux qui vivent.
Leur
foi et leur amour sont des lumières pour le monde.
Ils
sont vivants pour le père qui vécut 90 ans.
Et
il les voit grandir jour après jour.
La
nuit, pendant qu’il dort, devant lui, il les voit.
Et
il leur parle comme les dévots parlent toujours.
Le
matin, il se réveille et au-delà des murs et des toits,
Il
voit ses enfants dans les champs, tous les sept travaillant.
[Chez
lui, quelle douleur !
Sa
femme erre toujours ;
Sept
lames dans le cœur
Et
son sang s’encourt].