dimanche 25 novembre 2018

LA BALANÇOIRE


LA BALANÇOIRE


Version française – LA BALANÇOIRE (2018) – Marco Valdo M.I. – 2008 (2018)
Chanson italienne – L’altalena – Radici nel cemento – 2008




Dialogue Maïeutique

In illo tempore, Lucien l’âne mon ami, au temps où j’avais écrit une première version de cette chanson italienne, j’en étais à mes premiers pas de blogueur et d’acteur banal des Chansons contre la Guerre, un site italien aux allures internationales que je découvrais assez éberlué de son envergure

Que dire aujourd’hui ?, rétorque Lucien l’âne. Si en 2008, il y a donc dix ans, le visiteur anonyme que tu étais en 2008 était éberlué par une collection de 8000 chansons, combien le serait-il aujourd’hui face à un inventaire sept fois plus grand ?

Certes, Lucien l’âne mon ami, mais la taille n’est pas tout, le nombre donne peut-être une appréciation chiffrée, mais que dit-il du contenu et de l’intérêt qu’il y a à consulter ce site plutôt que n’importe quel autre qui recense des chansons. Il y en a des tas sur le réseau, mais à mon sens, aucun n’atteint ce degré de qualité. Même si, comme on va le voir, il est très loin de ce qui pourrait se faire à de multiples points de vue. Mais, si je disais tout ça, c’était pour dire que la chanson que je présente avait déjà été mise en langue française par mes soins en 2008 et qu’elle avait besoin d’une réécriture, d’une illustration et d’un commentaire introductif – notre dialogue. C’est la version notée : (2018).

Et je pense que c’est une bonne chose, dit Lucien l’âne. La nouvelle version est bien meilleure.

Je voudrais, Lucien l’âne mon ami, profiter de cette remise à jour pour deux ou trios réflexions à son propos. À savoir principalement que cette chanson peut être classée, comme d’autres, dans une catégorie particulière, qui serait la « chanson philosophique », celle qui traite du sens de la vie, comme, par exemple, celle des Monty Pythons : « Always look on the bright Side of Life » – « REGARDEZ TOUJOURS DU CÔTÉ LUMINEUX DE LA VIE ! ».

Il en est sans doute d’autres, dit Lucien l’âne en riant.

Certainement, mais, reprend Marco Valdo M.I., ce n’est pas le moment de se lancer dans d’interminables énumérations, venons-en au fait, c’est-à-dire à cette « Balançoire » des Radici nel cemento, groupe musical et lyrique romain, né au siècle dernier et toujours en activité. Donc, je disais chanson philosophique et même, à bein y regarder, une chanson épicurienne, une chanson qu’aurait pu écrire le dénommé Lucrèce lui-même. Une chanson athée aussi, puisque même si elle parle d’éternité, elle n’y fait jamais référence à un Dieu quelconque.

En fait, dit Lucien l’âne, moi qui me suis frotté aux philosophes de l’Antiquité, et même assez familièrement, puisque j’en ai véhiculé plus d’un sur mon dos d’âne, je peux confirmer ton impression. Épicure, Lucrèce et même, Cyrano ont dit – chacun à sa manière – des choses fort semblables. Et pour ce qui est des dieux ou de Dieu, il n’y est même pas fait allusion et c’est fort bien ainsi. Je confirme donc moi aussi, le caractère athée de cette chanson. Pour le reste, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde religieux, crédule, croyant, idiot et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Rien ne dure dans l’éternité :
Ni la joie, ni l’amour,
Ni une vie d’enfer,
Ni la rage, ni la douleur.

Quand on monte, la vie est une balançoire ;
Quand descend, la vie est une balançoire ;
Quand on gagne, quand on perd, la vie est une balançoire
Et le jeu dure tant que tient la chaîne.

Chaque jour, la roue tourne,
Chaque jour peut changer la vie,
À chaque instant et à chaque moment,
Le vent peut changer de direction à l’improviste.
La vie est une balançoire,
Il n’y a pas d’échappatoire,
Pas d’issue de secours,
Il faut prendre la vie comme elle vient
Vivre jour après jour,
Prendre chaque instant comme il vient.
Quand on est certain que tout est en ordre,
Qu’il n’y a pas de problème,
À ce moment, il faut prendre garde ;
Tout peut changer tout autour.
Rien ne dure dans l’éternité
Ni l’argent, ni la carrière,
Ni le plus rude hiver,
Ni l’infortune, ni la misère.

Quand on monte, la vie est une balançoire ;
Quand descend, la vie est une balançoire ;
Quand on gagne, quand on perd, la vie est une balançoire
Et le jeu dure tant que tient la chaîne.

Quand on est proprement convaincu
Que tout est perdu à jamais et qu’il n’y a plus d’espoir,
C’est le moment de se lever car
Il ne tient qu’à nous de repartir.
La vie est une balançoire,
La vie est une balançoire,
La vie est une balançoire.


BOUCHE DE ROSE

BOUCHE DE ROSE

Version française – BOUCHE DE ROSE – Marco Valdo M.I. – 2008 (2018)

Chanson italienne – Bocca di RosaFabrizio De André – 1967




Une remarque d’abord avant d’aller plus loin. Donc, une remarque préliminaire. Je n’ai jamais compris pourquoi les CCG n’ont pas mis Bocca di Rosa parmi les Chansons contre la Guerre, alors qu’il existe par exemple, un « parcours » de la « guerre contre les femmes ». Je dis cela, car j’avais envoyé une traduction de Bocca di Rosa – Bouche de Rose, il y a bien longtemps. Je pense même que c’était la première ou une des premières que j’avais faites. Était-elle si mauvaise ? Je ne sais. D’ailleurs, je la représente aujourd’hui « telle quelle ». J’ai tout juste un peu plus nourri notre conversation.
Je le fais car notre bon Ventu vient d’insérer tout un texte de sa main à propos de Bocca di Rosa, dans les commentaires à une chanson de Brassens.

Cela dit, je tiens personnellement Bocca di Rosa pour une des plus belles chansons de Fabrizio De André et aussi, comme l’illustration de sa complicité avec Georges Brassens. Tout comme la Chanson de Marinelle – Canzone di Marinella.
Et je ne comprends pas pourquoi elles sont ainsi ostracisées, renvoyées dans les commentaires à une chanson de tonton Georges qui est tout aussi indirectement qu’elles, une chanson contre la guerre. Il me paraît de toute justice et de toute équité de les replacer comme chansons – canzoni à part entière dans cette formidable chantothèque.

Et puis, ce portrait d’une femme libre et légère, libertine (Ah ! Voltaire, Ah ! Diderot !) est un fameux pied de nez à toutes les bien-pensantes, à toutes les mégères, Mysogynie à part à toutes les emmerdeuses et aux emmerderesses itou. Cela dit, je ne leur fais pas la guerre à celles-là, je me contente de les écarter, de les ignorer et tout comme toi, de poursuivre mon chemin. Sauf bien évidemment, si comme pour Margoton, elles s’en prennent à mon chat – là, je leur enverrai mon fantôme pour les persécuter dans toute l’éternité.

J’insère donc ici la traduction du texte de Riccardo Venturi : BOCCA DI ROSA
di Riccardo Venturi(2001)

BOUCHE DE ROSE
Riccardo Venturi (2001)
(traduit de l’italien : Bocca di Rosa – Riccardo Venturi 2001)

Peut-être, peut-être celle-ci serait la « bonne page» pour mettre cette vieille histoire, écrite en son temps pour une mailing list. Une « Bocca di Rosa » légèrement adaptée aux « temps nouveaux », mais il y a quand même un peu de « Marinella », surtout à la fin. Je me rappelle qu’à l’époque, quelqu’un l’avait prise pour une vraie nouvelle ; on voit qu’elle était entièrement plausible. Mala tempora currunt. La « Gazette du Levant » et plus exactement, La Gazette du Levant n’existe pas ; ou mieux, elle existe partout. (rv)

Ils l’appelaient Bouche de Rose, qui était – ainsi dit la « La Gazette du Levant » la traduction exacte de son nom en langue yoruba ; Okôbwa Gblé. Débarquée clandestinement sur quelque improbable côte italienne, sortie de quelque camion roumain ou ukrainien, arrivée en avion du Nigeria avec quatre autres filles de même pas vingt ans, avec les billets payés par l’habituel « on ne sait pas qui ».

Que leurs avaient-ils dit ? Il suffit de dire peu à une fille qui vit dans une baraque de la périphérie de Lagos ; il suffit une promesse vague, un travail, quelque chose à gagner pour une mère et six frères et sœurs, dont quatre malades du SIDA. Une très belle fille, de celles qui font tourner la tête ; violée à onze ans et demi par un oncle petit « ras » (chef) du bidonville. Il n’y a pas de quoi s’étonner ; ça se passe aussi chez nous.

Et le travail, elle l’a trouvé, Bouche de Rose; accueillie un métis de ses compatriotes et d’« italiens », elle a été affectée à sa zone. Elle lui plaisait même relativement bien : un quartier de l’extrême périphérie du levant génois, de Sant’Ilario, qui un temps était un village et maintenant se confond avec les autres quartiers peuplés d’autoroutes au cinquième étage des maisons, de viaducs et d’anciens clochers coloriés qui paraissent vraiment des diamants dans le fumier.

Sur la nouvelle allée d’accès au quartier, obtenu après tant d’années grâce à la bataille de l’habituel comité civique (présidé par le notaire, chevalier. Tiberio Deogratias, et du principal du collège localje ne se rappelle pas de son nom, mais qui était connu, assez curieusement, comme « Moustache de Suif »), la fille nigériane Okôbwa Gblé – les accents ne sont pas mis là par hasard ; ils indiquent des « tons » précis de sa langue compliquéesemble avoir obtenu immédiatement un grand « succès ». Ensemble à d’autres compagnes de routesalbanaises, roumaines, sénégalaises – elle arrivait lorsque, d’été, il faisait encore jour. Un travail comme un autre, se disait-elle. Mieux que mourir de faim à la maison. Mieux que mourir du SIDA. Ici, tout au moins, tous sont bien propres et mettent le préservatif. Le « Mal d’Afrique », les blancs l’ont inventé, non ?

La « Gazette du Levant», comme tous les journaux locaux de ce monde, accorde beaucoup d’importance aux « faits divers »; on ne sait peut-être pas ceux qui sont authentiques et ceux inventés de toutes pièces, mais il faut faire bouillir la soupe, et il faut aussi survivre à la concurrence impitoyable de GQC (Grand Quotidien Citadin, de tendances philogouvernementales indépendamment du Gouvernement). Il semble donc que, pour passer une demi-heure avec Bouche de Rose, ils arrivaient même du centre et même de l’extrême ponant. De Voltri et d’Arenzano, en somme ; et, si vous connaissez Gênes, ça fait une belle trotte. Inutile de dire, ensuite, que la population masculine de Sant’Ilario formait souvent, entre onze heures et minuit, un petit engorgement sur le boulevard. Parfois, il y avait la régulière descente de la Police ou des Carabiniers, et puisque la fille était en attente d’un permis de séjour, un commissaire maigre, qui était connu pour séquestrer des valises de pendentifs, avait émises un permis provisoire. Mais Bouche de Rose, ensuite, devait retourner à son boulevard ; ceux de la bande pas étaient tendres avec celle qui traînait.

Cette histoire a une allure singulière ; quelqu’un, qui sait, pourrait un jour nous écrire une chanson dessus (même si, franchement, on ne voit pas actuellement qui pourrait). Sant’Ilario, comme nous avons dit (et comme, d’autre part, particulièrement la « Gazette du Levant ») est un village pas fort urbanisé ; le résultat est qu’il vit les problèmes de la grande ville et des périphéries dégradées sans avoir perdu les caractères et les défauts du village. Vu que maris, fiancés et amants de vingt à soixante ans démontraient aimer s’entretenir un peu trop avec cette « sale nègre » (ils e faisaient même depuis longtemps avec d’autres, mais on sent bien que Bouche de Rose devait être légèrement plus belle que la moyenne), les commères étaient compréhensiblement et visiblement préoccupées. « Et s’il me revient à la maison avec le SIDA, ce porc ? » « On devrait les rejeter toutes à la mer ! » « Maudites, qu’elles restent chez elles ! » « Mon mari, je ne le touche même plus avec un doigt ! Il est infecté ! » « Mais comment c’est possible que l’État et la Police ne fassent rien ? »

Que rapporta la « Gazette du Levant » ; voici un échantillon des phrases plus fréquentes qui s’entendirent à une assemblée publique enflammée convoquée au cinéma « Odéon » (ou « Métropolitan » ? « Gambrinus » ? Bof.). Il fallait faire quelque chose ; en dehors du cinéma, stationnait une petite foule, convoquée par la section de la Ligue d’Action Populaire (un mouvement qui commençait à avoir quelque succès même à niveau national). Il y avait des écriteaux jaunes avec lettres noires (le jaune et noir sont les « couleurs officielles » du mouvement) ; quelqu’un disait « Dehors Bouche de Rose », ou bien « Bocca de Rosa go home » ; quelqu’un plus audacieux que les autres, mais certain d’interpréter correctement les sentiments de la masse, s’était hasardé à écrire « Dehors la sale nègre de Sant’Ilario ».

(Bien entendu, diverses personnes qui manifestaient étaient habituellement vues – entre onze heures et minuit sur le boulevard ; mais sur ce détail, la « Gazette du Levant » glisse légèrement). Comme dans toutes les assemblées du genre, on n’arrivait cependant pas à une conclusion claire. Elle semblait être l’habituelle manifestation de muscles qui se termine en queue de poisson, lorsque, tout à coup, une vieille du quartier prit la parole. Jamais mariée, sans enfant et – de l’avis unanime, laide comme la faim [laide comme un pou, dit-on usuellement en français], elle parla peu. Il y en avait qui continuaient à invoquer la Police et l’État ; elle, par contre, dit simplement que « nous devons y penser tout seuls, et d’une manière définitive ». On la laissa partir avec des ovations, comme disait Brassens dans le Mécréant.

La nuit d’après – et ici la « Gazette du Levant» se fait vague, parce qu’il y a une enquête en cours et le procureur n’admet pas de fuites – il semble qu’une auto avec à bord trois hommes se soit rendue à l’endroit où Bouche de Rose avait coutume stationner en attente des clients. Enlevée avec la promesse d’une substantielle compensation, la fille nigériane Okôbwa Gblé de 19 ans, une clandestine en attente de régulariser son permis de séjour, est emmenée sur un viaduc de l’autre côté de la ville. Peut-être pressentit-elle quelque chose, peut-être non ; à un certain moment, elle sortit un couteau de cuisine. Il y eut, comme on lit toujours dans la gazette, un « bref corps-à-corps » ; et il était forcé qu’il soit bref. Une fille seule contre trois énergumènes. Elle en a même reconnu un ; c’était celui qui demandait toujours un « pissing ».
Ils la prennent de force. Elle est déjà assommée. Il est quatre heures du matin, il n’y a pas une âme alentour. Quatre-vingt
s mètres de vol ; et personne ne l’a vue voler.

L’a trouvée, à sept heures et demi du matin, un garçon qui allait à école ; il a tout raconté la police ; mais à la « Gazette du Levant», il ne voulut rien dire. Vous le comprendrez. Avez-vous jamais vu quelqu’un qui est balancé de la moitié ou du tiers de ces (80) mètres ? Moi oui, au moins une dizaine ; et je vous assure que c’est un spectacle auquel on ne s’habitue jamais. Plus on voit la mort, et moins on s’y habitue.

Donc, adieu Bouche de Rose. Quelqu’un t’a fait un enterrement de troisième catégorie, sans vierges aux premiers rangs. Tu as fini dans un cimetière quelconque, avec ton nom et ton âge. Pas de photo. La célèbre « pitié anonyme » de temps en temps dépose une fleur sur ta tombe, qui d’ailleurs se fane rapidement. Tu penses quelle affaire : un chanteur d’ici, tant d’années avant, sur un fait du genre, nous avait vraiment écrit une chanson. À propos d’une qui « s’était envolée au ciel sur une étoile ». Malheureusement, ce chanteur est mort, il y a quelques années ; pour toi aucune chanson, aucune étoile. Tu ne t’es pas envolée au ciel, mais seulement d’un viaduc dans une nuit sans lune.

Dialogue Maïeutique


Ah, Lucien l’âne mon ami toujours très porté sur les choses de l’amour, tu vas aimer cette chanson. C’est une chanson d’amour, c’est évident, mais une chanson qui relate un épisode de guerre, tout aussi clair. Elle s’intitule Bouche de Rose.

Oh, oh !, dit Lucien l’âne en rougissant du bout des lèvres, voilà qui me paraît passionnant et tout à fait dans mes préoccupations, moi qui, comme tu le sais, suis ensorcelé et je ne pourrai retrouver mon apparence originelle que si j’arrive à manger certaine rose. Peut-être, vais-je enfin la rencontrer ? Mais que raconte au juste cette chanson et de qui est-elle ?

Dans l’ordre : c’est une chanson de Fabrizio De André, grand auteur-compositeur-interprète italien. On lui connaît plus d’une centaine de chansons. Il est aussi connu comme celui qui a fait connaître Georges Brassens au public italien. Cette chanson-ci, Bouche de Rose est d’ailleurs à mon sens une chanson qui irait très bien dans l’univers de Tonton Georges. Une sorte de variante de Margoton, mais en plus explicite cependant. Je suis même à peu près sûr de la filiation : on y retrouve les gendarmes, tous les hommes de la commune, les femmes coalisées, jalouses et rancunières contre la jeune et jolie bergère, qui plaît tant aux hommes. C’est quasiment un archétype. D’ailleurs, va lire À l’Est d’Eden du bon Steinbeck. Dans un certain sens, c’est une critique féroce du groupisme, du panurgisme et du « Il faut être comme tout le monde », qui est le fondement de tout fascisme. Car à quoi crois-tu que sert la mode ? Bien sûr, à développer le chiffre d’affaires de commerçants, mais aussi et je pense même surtout à tenir le troupeau.

Nous les ânes, on n’est pas trop portés sur le troupeau et moi qui te parle, Marco Valdo M.I. mon ami, moi qui te parle, je serais plutôt partisan de la mauvaise herbe.

Je sais, je sais, je te connais assez, Lucien l’âne mon ami, pour savoir que tu as – comme moi d’ailleurs et tonton Georges et Fabrizio et Riccardo et Bouche de Rose et des millions d’autres (heureusement !) « mauvaise réputation ».

Comme aurait dit Michel Simon à propos de sa gueule et il en avait une fameuse et laide avec ça : « Mieux vaut avoir mauvaise réputation que pas de réputation du tout ».

Donc, je te disais une histoire de guerre, une dénonciation d’une forme de guerre sournoise que les femmes de bien mènent contre les femmes qui répandent le bien. Une guerre féroce, parfois même carrément atroce dans laquelle on retrouve les pires coups tordus, jusque et y compris le meurtre. La femme libre – tout comme l’homme libre, d’ailleurs – est souvent mise au ban, reléguée en quarantaine, écartée, puis, poursuivie, chassée – c’est le cas de Bouche de Rose ou franchement poussée à la mort, c’est le cas de Clara la pazza, celle qui ne pouvait dire que Houhou !.

Alors, dit Lucien l’âne, il n’y a pas que les hommes à être d’aussi exécrables tueurs.


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



On l’appelait Bouche de Rose,

Elle mettait l’amour au-dessus de tout.
On l’appelait Bouche de rose,
Elle mettait l’amour par-dessus tout.

Dès son arrivée à la gare
Du village de Saint Hilaire,
Tous s’aperçurent d’un regard
Qu’elle n’avait rien d’un missionnaire.

Y en a qui font l’amour par ennui,
Y en a qui en font une profession,
Bouche de Rose ni l’un ni l’autre :
Elle le faisait par passion.

Car la passion souvent conduit
À satisfaire ses propres envies
Sans chercher si le bien-aimé
A le cœur libre ou est marié.

Il fallut que cela un jour advienne
Bouche de Rose s’attira
La colère funeste des chiennes
Auxquelles elle avait piqué leur plat.

Mais les commères du village
Ne brillaient pas par l’initiative ;
Leurs répliques à cet outrage
Se limitèrent à l’invective.

On sait que les gens donnent de bons conseils
Discourant comme Jésus au Temple ;
On sait que les gens donnent de bons conseils
Quand ils ne peuvent donner le mauvais exemple.

Ainsi une vieille jamais mariée
Sans enfant et sans désir,
S’efforça avec plaisir,
De donner à toutes le conseil approprié.

S’adressant à ces cornues, elle dit
Sur un ton sans réplique :
« Le vol d’amour doit être puni
par les autorités publiques ».
Elles s’en allèrent trouver le commandant
Et lui dirent sans barguigner :
« Cette salope a déjà plus de clients
Que tout un supermarché »

On envoya quatre gendarmes
Avec leur plumet, avec leur plumet,
On envoya quatre gendarmes
Avec leurs armes et leur plumet.

Le cœur tendre n’est pas du métier
Que pratiquent les carabiniers,
Mais cette fois au train
Ils l’emmenèrent sans trop d’entrain

Cette nouvelle originale
N’eut besoin d’aucun journal.
Comme une flèche décochée,
Partout, elle s’est envolée.

A la gare, tous étaient là
Du commandant au sacristain
À la gare, tous étaient là
Les yeux rouges, le chapeau à la main.

Pour saluer celle qui
Sans aucune prétention,
Pour saluer celle qui
Importa l’amour dans le canton.

Sur le quai, on voyait une pancarte jaune
Avec un écrit au mitant
Qui disait : « Adieu Bouche de Rose
Avec toi, s’en va le printemps ».
Et à l’arrêt suivant, dans la gare
L’attendaient plus de gens qu’à son départ
Celui-ci lançait un baiser, celui-là une fleur
Ce dernier la réservait pour deux heures.

Jusqu’au curé qui ne déteste pas
Entre un miserere et un Ave-maria
La beauté sans concession
Qui la voulut dans sa procession.

On promena l’un menant l’autre, dans tout le pays,
Les deux amours : le sacré et le mécréant.
Bouche de Rose en surplis
Et la Vierge au premier rang.