dimanche 28 septembre 2014

Les Rupins

Les Rupins


Chanson française – Les Rupins – Léo Ferré - 1961





Depuis ce temps-là, ils n'ont pas changé


















Voici donc, mon cher Lucien l'âne mon ami, cette chanson de Léo Ferré que je t'avais promise l'autre jour. Cette chanson pour laquelle j'avais fait une digression sur le sens du mot qui en est le titre : « rupin ». Je te rappelle, non que je pense que tu as peu de mémoire et que tu ne t'en souviennes pas, mais car cela a son importance, que j'avais fait cette digression en devisant avec toi d'une canzone italienne dont j'avais intitulé la version française «  ROME EST FAITE POUR LES RUPINS » [[48219]]. Ces deux canzones se répondent et se complètent. Toutes les deux se situent dans une capitale : Rome et Paris. Celle de Rome, on le sait, décrit très exactement la situation de misère qui est faite aux pauvres ; celle de Paris, décrit très exactement les « rupins ». Très exactement et au picrate. Résultat : elle fut interdite… En fait, ce fut tout le disque qui subit le même sort… 




En fait, comme tu dis, c'est assez dans le style de la censure de ne pas trop faire le détail…, dit Lucien l'âne légèrement sentencieux. Mais, pour en revenir à la chanson « Les Rupins », j'ai un peu l'impression que si on la sort de son contexte « parisien », elle décrit tout simplement ce que l'on appelle maintenant la « jet-set » et plus classiquement, la haute bourgeoisie…




Oui, la « haute » tout court, celle que l'on trouvait déjà dans la chanson d'Erich Kästner « Wintersport » [[43751]]. On est bien dans ce monde en escalier de Claudio Lolli [[48142]], mais en haut. Comme aurait Nizan, il faut connaître ses ennemis… de l'intérieur, comme une introspection. Avec précision.




Bref, c'est en quelque sorte un éclairage, un coup de projecteur sur le camp des riches qui s'active dans la Guerre de Cent Mille Ans que les riches (précisément) mènent contre les pauvres afin de les domestiquer, de les réduire à rien ou presque, de les exploiter afin de renforcer leurs privilèges, d'accroître leur domination, de multiplier leurs richesses. Ainsi nous faisons notre tâche en tissant le linceul de ce vieux monde riche, trop riche, rupin, requin et cacochyme.






Heureusement !






Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane










Le chapeau sur l’œil,
Le reste à Auteuil,
Ils ont trente-six mains,
Les rupins.

Aux Galeries La Farfouillette,
Ils farfouillent et font leurs emplettes ;
Aux Galeries Saint-Honoré,
Ils se foutent un gâteau dans le cornet.

La serviette au col,
Le pif sur le bol,
Ils ont le bec fin,
Les rupins.

Leur couteau comme un stylographe,
Ils découpent et font des paraphes
En regardant sur le mur blanc
Pendre l'assiette en vieux Rouen.

Mille hectares de bois,
Un hectare au Bois,
C'est très parisien,
Les rupins.

Le fric, c'est comme les parchemins,
Ça se met en tas dans un petit coin ;
C'est pas méchant, ça ne fait pas de bruit,
Pas même quand ça fait ses petits.

Madame allongée,
Le plumard anglais,
Ils font ça très bien,
Les rupins.

Quand on est deux, c'est pour la vie ;
Quand on est trois, c'est plus gentil ;
Quand on est quatre, c'est plus carré ;
Suffit de savoir s'y retrouver.

Mademoiselle est là,
Le ventre aux abois ;
C'est pas des lapins,
Les rupins.

Voyages en Suisse, produits anglais :
Faut voir comme ils sont informés,
Faut pas ternir les vieux blasons,
Faut que tout soit propre à la maison.

Faut la Mercedes,
Bizness is bizness,
Ça n'est pas chauvin,
Les rupins.

On part au ski bridger un brin ;
On part à Cannes, quand on revient ;
Si partir, c'est mourir un peu,
Les rupins, ça ne doit pas se faire vieux.

La révolution,
C'est une opinion ;
Ça ne mange pas que du pain,
Les rupins.

On coupe une tête par-ci par-là,
Vingt ans après, tiens, les revoilà !
Les rupins, c'est comme la chienlit :
Plus on l'arrache, plus ça se reproduit !



samedi 27 septembre 2014

AUX BARRICADES


AUX BARRICADES

Version française – AUX BARRICADES – Marco Valdo M.I. – 2014
d'après la version italienne de Krzysiek Wrona d'une
Chanson polonaise – Na barykady – Włochaty2005
Texte de Jeż et Wichru
Musique de Jeż
Album "Miłość i bunt" (Amour et révolte)






Varsovie 1944





















La rébellion du dedans
Dit sur nous toute la vérité 

C'est notre jeunesse foutue qui crie 
C'est notre futur volé qui appelle 
Au lieu de la destruction – la création
La nécessité de chercher notre route 
Au milieu de toute cette folie, nous ne sommes pas capables de grand chose
Excepté les mots de la réflexion


Lutte, domination, $ous, joie,
Tourments, hauts, bas, désespoir,
Euphorie, passion, froideur, préjugés, tolérance.
Repousser
L'impuissance acquise
L'accoutumance à l'obéissance
La soumission aux autorités
Le libre cours à l'ignorance
Le chauvinisme révélé


Notre réalité
Nous a cassé les couilles
Nous la connaissons trop bien
Pourtant nous vivons en elle depuis des années
Le monde n'a pas de sens
C'est à toi de lui donner
Compromis ? Pas à tout prix
La lutte pour soi-même à outrance


Ce monde fonctionne ainsi
Car nous sommes insipides
C'est l'heure et le lieu
De se réveiller de ce cauchemar
Que nous ont créé les autres
Avant qu'ils ne nous prennent, ne nous anéantissent
Quand nous n'y serons plus – notre révolte restera
Avant qu'ils ne nous prennent, ne nous anéantissent


Tu as un cerveau, alors raisonne
Tu as des mains, alors agis
Ne me demande pas quoi faire
Ne me demande pas quoi penser
C'est ta vie
Commence – MAINTENANT !

vendredi 26 septembre 2014

ROME EST FAITE POUR LES RUPINS

ROME EST FAITE POUR LES RUPINS

Version française – ROME EST FAITE POUR LES RUPINS – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson romanesque (italienne) – Roma è fatta pei ricchi signori – anonimo - 1970




Chantier à Rome - Carlo Levi - 1949

On comprend ici pourquoi Rocco Scotellaro, venu à Rome sans chaussettes (ainsi que le racontait Linuccia Saba, l'amie de Carlo Levi, lorsque Rocco était arrivé chez eux de Matera), n'a pu rester dans cette ville, ogresse tentaculaire. Il le racontait dans Passaggio alla città - Passage vers la ville [[48207]]. Et je vais te dire que j'ai un peu galéré en ce qui concerne le titre de la canzone. 


Tu as galéré ? Et pourquoi ? Je ne vois vraiment pas où est le problème et ce qui a pu t'arrêter, dit Lucien l'âne en ouvrant des yeux et si noirs qu'on aurait dit des lacs de haute montagne à la tombée du jour et en dressant ses oreilles en points d’interrogation…


Sans doute, vu de l'extérieur, c'est simple, mais… J'aurais, vois-tu Lucien l'âne mon ami, j'aurais dû traduire (et si on traduit, c'est évidemment la bonne solution) « Roma è fatta pei ricchi signori » par quelque chose comme : « Rome est faite pour les riches messieurs »… Mais çà, crois-moi, ça ne tient pas la route en français.


Oh oui, dit Lucien l'âne, je le sens bien… Ça ne va vraiment pas. Il vaudrait mieux, si tu permets, il eût mieux valu – car je vois bien que tu ne reviendras pas sur ton titre… il eût mieux valu dire : « Rome est faite pour les gens riches », ce que raconte très bien « La dolce vita » de Fellini.


Et c'est bien comme ça que je l'avais traduit une première fois. Le sens est exact et la formule est bonne. Mais je l'ai abandonné aussi cette traduction ; ça disait bien ce que ça voulait dire, mais il manquait quelque chose, un je ne sais quoi d'ironique… C'est ça, il manquait un peu d'acide ironique, un peu de crème de mépris pour ces « gens-là » ; pour cette caste. Alors, il m'est revenu ce mot de rupin. D'où vient-il ? Si j'en crois les dictionnaires, c'est un mot ancien, on le trouverait déjà au XVIième siècle… Mais pour moi, il m'est revenu de Léo Ferré qui l'avait repêché dans l'argot parisien ; il en a d'ailleurs fait une chanson, que je vais m'empresser de te faire connaître – et nous en discuterons ensemble. Mais pour résumer la chose et en clair, les « rupins », ce sont les riches, les richetons…


Rome est faite pour les riches… Mais toutes les grandes villes, toutes les capitales… sont faites pour les riches et dans toutes, le destin des pauvres est bien celui décrit ici… Misère et compagnie. Et même si la chanson date de 1970, on dirait une description, une histoire d'aujourd'hui…


Alors, Marco Valdo M.I. mon ami, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde méprisant, méprisable, condescendant, rampant et cacochyme.



Heureusement !




Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





Nous avons du temps à chômer
Nous avons du temps pour flâner
Avec ces sous qu'ils nous ont donnés
On ne peut s'en tirer.

Les prix montent, montent
Et toujours descend le salaire
Dis-moi comment on fait à Rome
Dis-moi comment on fait à Rome

Rome est faite pour les rupins
Pour les grands requins
Et nous nous n'avons rien

Quand on mange, on ne s'habille pas
Quand on s'habille, on ne mange pas
Quand on doit payer un loyer
On va au mont de piété

L'autre soir, ma femme m'a déclaré
Avec cette misère qu'ils nous donnent, on ne peut aller bien loin
Et ainsi l'ouvrier est obligé
De se jeter dans le fleuve, il n'y a plus de saints.




jeudi 25 septembre 2014

L'AUBE EST TOUJOURS NEUVE

L'AUBE EST TOUJOURS NEUVE

Version française - L'AUBE EST TOUJOURS NEUVE – Marco Valdo M.I. – 2014

Chanson italienne – Sempre nuova è l'albaRocco Scotellaro – 1948




Derrière Grassano - Carlo Levi - 1935













Dans la préface au recueil « È fatto giorno » de 1954, Carlo Levi définit ces vers du poète de Tricarico comme la « Marseillaise du mouvement paysan »... 

J'ajouterais, dit Marco Valdo M.I., car c'est indispensable ici, ce que Rocco Scotellaro écrivait de Carlo Levi dans son roman inachevé « L'uva putannella » où il met en scène Carlo Levi, « torinese del sud », comme disait Gigliola Di Donato, et lucanien d'adoption depuis le Christ s'est arrêté à Eboli. On verra ici que Carlo Levi était pour Rocco Scotellaro bien plus qu'un ami, ce qui les a unis était au-delà même de la fraternité, ce fut quelque chose que j'appellerais « fratellance », une commune reconnaissance de fraternité, une sorte de parenté du cœur et de l'esprit, un engagement sans retour pour l'humanité de l'humaine nation.
Mais écoute le récit de Rocco Scotellaro (le « io » de l'histoire, le je du récit) – en italien et en français, dans ma version immédiate :
« A che vale leggere per noi, ve lo dice questo libro, che spiega pure quando e come e perchè uno scrive, io dissi. - Io ho avuto la fortuna di conoscere l’uomo che l'ha scritto, non è veramente mio amico, non è nemmeno, vi avverto, un vostro amico. Ha scritto questo che è il più appassionato e crudo memoriale dei nostri paesi. Ci sono parole e fatti da fare schiattare le molli pancie dei signori nel sonno, meccanicamente, per la forza di verità. Ci sono morti e lamenti da fare impallidire i santi màrtiri per la forza di verità. E le nostre terre si muovono da parere fiumi e i morti, tutti i morti i bambini e i vecchi vivono sulle nude terre tremanti e nei boschi. E i vivi... Leggiamo ora.
Però vi dicevo, dello scrittore, che non è un amico.
Non è un amico, come non può esserlo il padre, la madre, il fratello. Amico è l'avvocato, il medico, il testimone, il deputato, il prete. Quest’uomo è un fratellastro, mio, nostro, che abbiamo un giorno incontrato per avventura. Ciò che ci lega a lui è la fiducia reciproca per un fatto accaduto a lui e a noi e un amore della propria somiglianza. Eccolo qui, alla prima pagina, comincia, sentite. E' stato anche lui in galera e va dicendo che ognuno dal presidente al cancelliere, dal miliardario al pezzente, dovrebbe andarci una volta.
« ... Chiuso in una stanza, e un mondo chiuso, mi è grato riandare con la memoria a quell'altro mondo, serrato nel dolore e negli usi, negato alla Storia e allo Stato, eternamente paziente; a quella mia terra senza conforto e dolcezza, dove il contadino vive, nella miseria e nella lontananza, la sua immobile civiltà, su un suolo arido, alla presenza della morte »

« Quel intérêt pour nous de lire, c'est ce que vous dit ce livre, qui explique aussi qui, comment et pourquoi quelqu'un écrit, dis-je. J'ai eu la chance de connaître l'homme qui l'a écrit, ce n'est pas vraiment mon ami, et encore moins, je vous préviens, votre ami. Il a écrit ce qui est sans doute la plus passionnante et la plus crue des chroniques de nos villages. Ce sont des mots et des faits à faire crver les grossses panses de messieurs dans leur sommeil, mécaniquement, par la force de la vérité. Ce sont des morts et des lamentations à faire blêmir les saints martyrs à force de vérité. Et nos terres se meuvent comme des fleuves et les morts, tous les morts les enfants et les vieux vivent tremblants sur les terres nues et dans les bois. Et les vivants… À présent, lisons…
Mais avant, je vous disais, à propos de l'écrivain, que ce n'était pas un ami.
Ce n'est pas un ami comme peut l'être le père, la mère, le frère. Ami est l'avocat, le médecin, le témoin, le député, le prêtre. Cet homme est un frère de sang , mien, nôtre, que nous avons un jour rencontré par hasard. Ce qui nous lie à lui, c'est la confiance réciproque née d'un fait arrivé à lui et à nous et d'un amour de notre ressemblance. Voilà, il commence ainsi, écoutez. Lui aussi est allé en prison et il dit que chacun du président au greffier, du milliardaire au mendiant, devrait y aller une fois.
« … Enfermé dans une chambre, et un monde clos [ à Florence, dans la clandestinité, chez Anna Maria Ichino – piazza Pitti, 14 ], il me plaît de revenir par la mémoire à cet autre monde, enserré dans la douleur et les usages, nié par l'Histoire et l'État, éternellement patient ; à cette terre mienne, sans confort et sans douceur, où le paysan vit, dans la misère et l'éloignement, sa civilisation immobile, sur un sol aride, en présence de la mort. »
J'ai même entendu raconter que lorsque Rocco Scotellaro avait été mis en prison, il faisait des lectures du « Christ s'est arrêté à Eboli » aux prisonniers assemblés…


Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.




L'aube est toujours neuve
Ne me criez plus
en dedans, Ne soufflez pas en mon cœur Vos souffles chauds, paysans.

Buvons ensemble une tasse emplie de vin !
Quand au temps hilare du soir
S'apaise notre vent désespéré.

Pointent aux poteaux encore
Les têtes des brigands, et la caverne –
L'oasis verte de la triste espérance –
Conserve impeccable un oreiller de pierre….


Mais sur nos sentiers, on ne revient pas en arrière.
D'autres ailes fuiront
Des pailles du nid,
Car au long de l'agonie des temps
L'aube est neuve, est neuve.

mercredi 24 septembre 2014

O GORIZIA, SOIS MAUDITE

O GORIZIA, SOIS MAUDITE


Version française – O GORIZIA, SOIS MAUDITE – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson italienne – O Gorizia, tu sei maledetta – anonimo - 1916
Voir aussi : https://www.youtube.com/watch?v=HbFINI9pxuU




Messieurs les officiers traîtres

C'est vous qui avez voulu la guerre !
Vous les égorgeurs de chair à vendre
Et ruine de la jeunesse.


















La bataille de Gorizia (9-10 août 1916) coûta, selon des données officielles, la vie à 1.759 officiers et 50.000 soldats environ, du côté italien ; du côté autrichien à 862 officiers et 40.000 soldats environ.
Ce fut un des massacres les plus fous d'une guerre complètement folle.

« O GORIZIA, SOIS MAUDITE » est une chanson « dans » la guerre, qui fait toujours fait partie de la tradition anarchiste et antimilitariste.

On dit que celui qui était surpris à chanter cette chanson pendant la guerre était accusé de défaitisme et pouvait être fusillé.

La version originale fut recueillie par Cesare Bermani, à Novare, d'un témoin qui affirma l'avoir entendue des fantassins qui conquirent Gorizia le 10 août 1916.

1964 : scandale national au « Festival des Deux Mondes » de Spoleto.

En 1964, elle fut présentée au Festival des Deux Mondes de Spoleto par le Nuovo Canzoniere Italiano dans le spectacle « Bella ciao», en suscitant la colère des bien-pensants. Lorsque Michele L. Straniero et Fausto Amodei commencèrent à chanter « Gorizia », il se produisit des incidents dans la salle ; la droite chercha à empêcher les représentations ; Straniero, Leydi, Crivelli et Bosio furent dénoncés pour outrage aux Forces Armées.

[Michele Straniero],
remplaçant pour l'interprétation de O Gorizia tu sei maledetta Sandra Mantovani, victime d'une extinction de voix, chanta en effet une strophe imprévue (Officiers traîtres/qui avez voulu la guerre / égorgeurs de chair à vendre/et ruine de la jeunesse) qui suscita dans la salle la réaction d'un officier et de dames en fourrures, tandis que lors des soirées suivantes, le spectacle a été constamment perturbé par des groupes de fascistes. Ce scandale au centre de l'intérêt journalistique pendant plus d'une semaine sera par ailleurs le meilleur lancement pour les Dischi del Sole (Disques du Soleil), qui renforcent ainsi leur présence politico-culturelle dans le pays.
(Cesare Bermani,
de A - rivista anarchica)

« Finalement nous sommes en scène face à une salle comble. Nous commençons à chanter. Silence mortel : tous sont curieux de ces chants, à commencer par Bella Ciao de Giovanna Daffini. À mesure qu'on avance, s'enflent les commentaires, murmurés, parfois même dits à haute voix. À la strophe de Sandra Mantovani « … et dans les stalles nous ne voulons plus mourir… » une voix de femme hurle : « Je possède deux cents âmes et aucune d'elles n'est morte dans les stalles ! ». Suivent une série de « Bouh » du poulailler.

Finalement se lève Michele Straniero et entonne Gorizia. À la strophe « Messieurs les officiers traîtres /qui avez voulu la guerre / égorgeurs de chair à vendre/cette guerre nous enseigne à punir » se déchaîne la colère de Dieu. Une voix se lève du parterre : « Hourra les officiers », suivie de choeurs « Hourra l'Italie ». Du poulailler arrive une réponse immédiate et on lance une chaise sur le parterre, pendant qu'on entonne Bandiera Rossa (Drapeau rouge). Du bas, ils répondent avec Facetta Nera (chanson fétiche des fascistes italiens). Bousculades à droite et à gauche. Tout autour, les gens continuent à discuter avec toujours plus d'« animation ». En somme, ils se cognent. »

(
récit de Giovanna Marini)

La strophe « 
Messieurs les officiertraîtres» n'est pas présente dans toutes les versions et a été certainement ajoutée par la suite. À l'origine, elle provient de « O Venezia », sur la mélodie de laquelle, parfaitement adaptable, est parfois chantée « O Gorizia ». Entre les deux chansons existe certainement une corrélation très étroite.
Outre celle de Joe Fallisi, nous signalons aussi la très belle interprétation, pour voix féminine, de la part du groupe « Les Anarchistes » dans l'album «Figli di origine oscura - Enfants d'origine obscure » (2003) et celle de Suso dans l'album « Danni Collaterali », édité par Il Manifesto. Les versions plus classiques pour voix féminine, cependant, sont sans doute celles de Giovanna Marini et de Sandra Mantovani.





Mon cher ami Lucien l'âne, si j'ai pris la peine d'en faire de ces derniers jours des versions françaises (plus exactement, en langue française, vu que comme tu le sais, nous ne sommes pas en France, ni d'ailleurs originaires de ce pays et que moi, personnellement – comme disent en flamand les ministres, les burgmeesters et les coureurs cyclistes de ce pays : « Ik, persoonlijk... »…


Les derniers, plus optimistes, ajoutent généralement – en français, cette fois : « je ferai mieux la prochaine fois... »…


Tu as raison, mon ami l'âne Lucien, je ferai pareil pour mes versions… Cela dit, j'ai fait toutes ces versions françaises à destination d'un public qui n'a – dans le meilleur des cas – qu'une connaissance très très vague de ces épouvantables massacres qui eurent lieu entre 1915 et 1918 aux confins de l'Autriche et de l'Italie, afin de lui faire connaître ces événements absurdes et malheureux – quel que soit le côté où l'on se place.En ce qui concerne la seule Italie, cette guerre tua 650.000 militaires et environ la même quantité de civils, soit environ et pur la seule Italie, environ 1.300.000 morts. Sachant évidemment, que la plus grande partie des militaires tués étaient eux aussi des civils qu'on avait obligés – sous peine de sanctions pouvant aller jusqu'à la mort – à faire une guerre contre d'autres civils, mis dans les mêmes conditions…


Ah, si les guerres ne tuaient que les militaires, ce serait logique et cohérent, car c'est leur vocation, en quelque sorte ! Bref, les militaires avaient pris les gens (ouvriers, paysans, bourgeois, intellectuels, étudiants, jeunes...) en otages… C'était d'ailleurs le cas dans tous les camps adverses… Je te cite quand même un chiffre rassurant… En Italie, pour cette seule guerre, il y eut plus de 200.000 déserteurs.



S'ils n'ont pas été repris et fusillés, ceux-là au moins ont survécu… Mais revenons aux massacres de Gorizia. Pour information, Gorizia en italien , Gurize en friulano standard, Guriza in friulano goriziano, Gorica en sloveno, Görz en allemand est une commune italienne d'environ 35.000 habitants, située sur l'Isonzo (Nord-Est de l'Italie). Elle se situe au point de rencontre entre les mondes latin, slave et germanique. Donc, les massacres firent des dizaines de milliers de morts, parmi des gens qui n'avaient aucun goût pour la guerre – d'où le « Sois maudite Gorizia ».




Et j'espère bien qu'elle le reste… dit Lucien l'âne, même si un lieu ne peut être tenu responsable de ce qui s'y est passé. En fait, il s'agit de ne plus recommencer, ce qui – l'échelle humaine – est sans doute un vœu pieux. Du moins tant que durera cette foutue Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font systématiquement et obstinément aux pauvres afin d’accroître leur propre domination, leurs richesses, leurs privilèges et de conserver et de renforcer leur droit d’exploiter d'autres êtres humains (et pas seulement). Alors, Marco Valdo M.I. mon ami, en mémoire de tous ceux-là de Gorizia et d'ailleurs qui y ont laissé leur peau, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde absurde, idiot, militaire, massacreur et cacochyme.




Heureusement !




Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Le cinq août au matin
Partaient les troupes italiennes
Pour Gorizia, terres lointaines
Et chacun partit sans entrain


Sous l'eau qui tombait à verse
Les balles ennemies tombaient à grêle
Sur ces montagnes, ces collines et grands vallons
On mourait en se disant au fond :

O Gorizia sois maudite
Pour le coeur qui écoute sa conscience
L'aller pesait lourd
Et souvent, était sans retour


O lâches vous qui vous pouvez vous tenir
Avec vos femmes dans votre lit de laine
Offenseurs de nous autres chair humaine
Cette guerre nous enseigne à punir


Vous appelez champ d'honneur
Cette terre au-delà des frontières
Ici on meurt en criant assassins
Vous serez maudits un matin.


Chère femme qui ne peut m'entendre
Je demande à mes camarades survivants
De veiller sur nos enfants
Je meurs avec ton nom dans mon coeur


Messieurs les officiers traîtres
C'est vous qui avez voulu la guerre !
Vous les
égorgeurs de chair à vendre
Et ruine de la jeunesse.

O Gorizia sois maudite
Pour le coeur qui écoute sa conscienceL'aller pesait lourd
Et souvent, était sans retour.