lundi 31 mars 2014

L’leup et l’bèdot

L’leup et l’bèdot

Fable carolorégienne (Wallon) – L’leup et l’bèdot – Horace Piérard – 1892 (publication)





Dji m’fous d’toutes tes grimasses,
Ti m’as manquè y faut qu’ty passes. »





Ah, Lucien l'âne mon ami, me voici à nouveau avec une version wallonne cette fois du Loup et l'Agneau.

En wallon, en wallon... Certes, dit Lucien l'âne en souriant doucement, certes, mais en quel wallon ? Tu sais comme moi qu'il y en a toute une tapée et que d'ailleurs, ta première proposition « El loup et el lemmeke » était en marollien, c'est-à-dire en wallon de Bruxelles, pour ainsi dire.


Celle-ci ? Celle-ci, mon bon Lucien l'âne, mon ami, est en carolorégien, c'est-à-dire comme tu le sais, en wallon du Pays de Charleroi. J'ajoute immédiatement tel qu'il était à la fin du dix-neuvième siècle... Mais enfin, pour ce qui me concerne, je comprends à peu près tout (toi aussi, d'ailleurs, je le vois à ton œil rieur) et si nos amis le veulent, je pourrais même en faire une traduction en français. Mais j'avoue cependant qu'à première vue, comme ça, je me demandais de quelle langue il pouvait bien s'agir. Je me souviens d'ailleurs avoir eu la même sensation en lisant une histoire de Tif et Tondu perdus dans je ne sais quelle jungle et qui se demandaient à leur tour quelle langue parlaient les indigènes... C'était du wallon, là aussi. Je ne sais d'ailleurs plus trop si c'était du carolo ou du liégeois.

À propos d'étrangeté, as-tu vu, Marco Valdo M.I. mon ami, la version polonaise du Loup et l'Agneau, insérée à la suite du Loup et le Lemmeke par Krzysiek Wrona. Mais qui donc est l'auteur de la version carolo que tu présentes aujourdh'ui ?


Bonne question... Il s'agit d'un notaire, il s'appelait Horace Piérard et passait ses loisirs en écrivant des fables en carolorégien ; ce n'égtaient pas des traductions d'Ésope ou de La fontaine, mais bien plutôt des fables originales, même s'il empruntait parfois – comme ici pour le Loup et l'Agneau, la même trame. Horace Piérard, membre actif de la Société Paléontologique et Archéologique de l'arrondissement de Charleroi, était notaire à Gilly comme le dit précisément Wiki : « Horace Pierard a skepyî e 1816 et mori e 1878. C' est l' prumî scrijheu d' fåves do payis d' Tchålerwè. Ele fourît eplaideyes après s' moirt, e 1892, pa Jules Lemoine, dizo l' tite "Horace Piérard, fabuliste et chansonnier wallon, sa biographie et son oeuvre". Di s' mestî, il esteut notåre a Djilî. »


Ainsi devisaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Dins n’in richot
In p’tit bèdot
S’irlaveut ;
Arrive in Leup.
Ell’biess, qu’aveu lonttimps fai d’jenne,
Areu d’ja sti contenne
D’awoè pou s’rassasi enn’ crouss’ ou in mitchot,
Et v’là qui s’n’ange gardien li èvoïe in bèdot !
«  Eh bé ! pou çà, dist-i, suchons humain !
Causons honnêtremaint !
Eh ! p’tit sint mwai, carogne,
Dirass’ pu long grawer tes rognes !
Ess’ qui t’va croëre
Qui ti m’fra boëre
Tes manestés ?
Allons ! hue, rotes,
Va ! fé tes crottes
Hors du fossé. »
El’Bèdot, tou saisi, in trianant respond :
«  N’wèyez né bé qui d’j’seus dins l’fond ?
Si dj’fèïeu même des incongruités
Çà n’direut né pa vos costé !
Suchez bé seur, dji n’ai fait nu pet, nu vesse
Et ré d’contraire all’ politesse !  »
« T’ess’t’in blagueux, »
Dit l’Leup furieux.
«  Ti n’sé qué mau dir’ di mi ;
L’année passée ti m’a co dispriji !  »
« L’année passée ? Dji n’ai né co chix loës,
Dji les arai aux Rpës ! »
« Si c’nest né t’même, c’est ien d’tes frères ! »
« Vos v’let m’cherchi misère,
Dji n’ai pont d’frères ! Dji seut bédot unique,
Et dins m’famie i gna pu qu’mi qui vique. »
« Dji m’fous d’tous tes ramages
Sacrè p’tit d’Jean potage !
Dji m’fous d’toutes tes grimasses,
Ti m’as manquè y faut qu’ty passes. »

Là d’sus no Leup li strône, s’sauve dins l’bos Lombu,
Avou l’champette à s’cu.