mercredi 24 octobre 2018

Vieillir


Vieillir


Chanson française – Vieillir – Jacques Brel – 1977


Cloué à la Grande Ourse,
Cracher sa dernière dent



Petit complément à la Douce Mort de Katheline, car c’est en dialoguant à propos de cette aimable sorcière et du sort imbécile qu’on lui faisait qu’il m’est revenu à l’idée que Barbara chantait « À mourir pour mourir », que j’avais insérée il y a déjà plus de 4000 chansons et que Jacques Brel avait chanté « Mourir cela n’est rien, Mourir la belle affaire… ». Sauf que cette chanson-là n’était pas dans les Chansons contre la Guerre malgré son premier quatrain :

Mourir en rougissant
Suivant la guerre qu’il fait,
Du fait des Allemands,
À cause des Anglais.

Quatrain qui à lui seul justifierait sa présence.

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.


Mourir en rougissant
Suivant la guerre qu’il fait,
Du fait des Allemands,
À cause des Anglais.

Mourir baiseur intègre
Entre les seins d’une grosse,
Contre les os d’une maigre,
Dans un cul de basse-fosse.

Mourir de frissonner,
Mourir de se dissoudre,
De se racrapoter,
Mourir de se découdre

Ou terminer sa course
La nuit de ses cent ans,
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes.
Cloué à la Grande Ourse,
Cracher sa dernière dent
En chantant « Amsterdam ».

Mourir cela n’est rien,
Mourir la belle affaire,
Mais vieillir…
Ô vieillir !

Mourir, mourir de rire,
C’est possiblement vrai.
D’ailleurs, la preuve en est
Qu’ils n’osent plus trop rire.

Mourir de faire le pitre
Pour dérider le désert ;
Mourir face au cancer
Par arrêt de l’arbitre.

Mourir sous le manteau,
Tellement anonyme,
Tellement incognito
Que meurt un synonyme.

Ou terminer sa course
La nuit de ses cent ans,
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes.
Cloué à la Grande Ourse,
Cracher sa dernière dent
En chantant « Amsterdam ».

Mourir cela n’est rien,
Mourir la belle affaire,
Mais vieillir…
Ô vieillir !

Mourir couvert d’honneur
Et ruisselant d’argent ;
Asphyxié sous les fleurs
Mourir en monument.

Mourir au bout d’une blonde,
Là où rien ne se passe,
Où le temps nous dépasse,
Où le lit tombe en tombe.

Mourir insignifiant
Au fond d’une tisane,
Entre un médicament
Et un fruit qui se fane.

Ou terminer sa course
La nuit de ses cent ans,
Vieillard tonitruant
Soulevé par quelques femmes.
Cloué à la Grande Ourse,
Cracher sa dernière dent
En chantant « Amsterdam ».

Mourir cela n’est rien,
Mourir la belle affaire,
Mais vieillir…
Ô vieillir !

La douce Mort de Katheline


La douce Mort de Katheline


Chanson française – La douce Mort de Katheline – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
101
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
IV, VI)





Dialogue Maïeutique

La mort douce ? La douce mort ? Comment une mort peut-elle être douce ?, demande Lucien l’âne. Personnellement, moi qui suis immortel, je n’ai pas fait l’expérience de la mort et je ne la ferai pas. Et puis, même, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui l’aurait faite. Je veux dire quelqu’un de vivant.


C’est assez normal, dit Marco Valdo M.I. ; souviens-toi que pour l’humain moyen et je suppose qu’il en va de même de façon générale pour l’animal, la mort est le but de la vie et chacun s’efforce d’y arriver. C’est même elle qui donne son sens à la vie. Reste à savoir dans quel état et dans quelles conditions on y parvient.

Une mort douce est paradoxale, cependant, reprend Lucien l’âne. Enfin, tout dépend de ce qu’on appelle la mort. Est-ce l’acte de passer de la vie au néant, l’action de ce passage ? Ou l’entend-on comme l’état dans lequel on se trouve par disparition ou par absence de vie ?

Ça, Lucien l’âne mon ami, c’est un peu ce qu’en pensait Alphonse Allais, qui disait : « La mort est un manque de savoir-vivre » et remarque également que pour le commun des mortels, ne pas mourir le serait aussi. Cela dit, revenons à la chanson qui raconte la mort douce de Katheline la bonne sorcière. Donc, étant soupçonnée d’être sorcière, elle est condamnée avec certains remords et bien des regrets par le tribunal, qui s’en tient à « Dura lex, sed lex », au destin des sorcières. Un destin absurde, comme bien tu le penses. On la soumet à l’épreuve de l’eau : si elle en sort, elle est réputée sorcière et brûlée vive ; si elle coule et se noie, elle sera considérée comme une bonne chrétienne et enterrée dans le jardin de Dieu, qui est le cimetière autour de l’église.

C’est évidemment absurde, dit Lucien l’âne. Voilà où mènent les croyances religieuses. Mais au long de mes pèlerinages dans les sociétés majoritaires religieuses, j’ai u constater que les sorcières, plus encore que les sorciers, sont l’objet de la vindicte de diverses professions : les curés, les religieux en général et les médecins. Ça se comprend, car ce sont de dangereuses concurrentes ; généralement plus appréciées par les populations en raison du fait qu’elles sont plus compétentes dans leurs domaines respectifs.

Donc, Lucien l’âne mon ami, la bonne Katheline doit être soumise au supplice de l’eau et le bourreau l’emmène à la tête de toute une immense procession des « officiels » et de tout le peuple, jusqu’au canal pour y être précipitée. Ce qui est fait dans les règles. Mais surgit alors un événement insolite, un geste merveilleux de solidarité et d’amour : les villageois plongent dans le canal à sa suite, la repêchent encore vivante, la sèchent et la ramènent chez elle. Les autorités n’ont pas osé bouger. Malheureusement, Katheline est trop malade et finit par mourir trois jours plus tard entourée de la douceur des gens qui l’escortent ainsi vers le néant. Tel est le sens de la mort douce de Katheline.

Assurément, dit Lucien l’âne, c’est là une belle et douce mort et même, une mort en gloire – terme pour fois exact. À mourir pour mourir, c’est une bonne mort. Maintenant, reprenons notre tâche incommensurable et tissons le linceul de ce vieux monde qui n’en finit pas de crever, de s’éteindre pour nous laisser vivre, vieux monde crachotant, cahotant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



« Ne le frappez pas, vous brisez son corps ! »
À deux doigts de sa propre mort,
Katheline défend son amant,
Pourtant si méchant.

« Il a tué Hilbert par amour,
J’ai soif, mon corps brûle tant,
Hanske, mon bel autour,
Comme tu souffres sur ce banc.

Cœur chaud et bras froids,
Viens, Hans, mon aimé,
J’ai soif, viens contre moi,
Hans, viens m’aider !

Je vois venir le grand troc.
De la mort, j’entends le chariot,
J’entends le bruit sec de ses os
Qui craquent et croquent.

Elle me mène à une grande rivière
D’eau fraîche et claire,
Je veux boire, le feu en ma tête
Rue et mord comme une bête.

Hans, mon aimé, ne sois pas fâché
Contre ta bonne servante !
Face à tout le monde, je te défendrai.
Hans, j’entends la mort qui chante. »

Katheline est à l’épreuve de l’eau condamnée :
Si elle surnage, elle est sorcière et brûlée ;
Noyée, elle sera chrétienne patentée,
Repêchée et au jardin de l’église enterrée.

Devant Katheline en robe de toile,
En procession marchent vers le canal
Le curé, les vicaires, le bedeau
Le bailli, les échevins, le bourreau.

Au signal du prévôt, le bourreau
La jette dans le canal ; des hommes
Plongent et la repêchent vivante comme
Si la mort de Katheline venait trop tôt.

Ainsi Katheline par les villageois sauvée,
Trempée, glacée, gelée, désespérée,
Trois jours durant, à la mort, s’oppose
Et enfin, apaisée, dans ses bras, elle se pose.