L’ASCENSEUR EST OCCUPÉ
Version
française – L’ASCENSEUR EST OCCUPÉ – Marco Valdo M.I. –
2016
Chanson
allemande – Der
Fahrstuhl nach oben ist besetzt – Hazy
Osterwald Sextett – 1966
Dis
donc, Marco Valdo M.I. mon ami, il est assez étrange ce titre ;
étrange et d’une banalité étonnante. J’ai déjà rencontré
beaucoup de titres, mais celui-ci est d’une particulière
platitude que je qualifierais volontiers de quotidienne. S’il
n’était précisé qu’il s’agit d’un ascenseur, il pourrait
d’ailleurs s’appliquer à d’autres endroits que les humains
sont amenés à fréquenter tous les jours.
Et
tu ferais bien, Lucien l’âne mon ami. Car, en effet, c’est un
titre banal
qui reflète une situation banale et fréquente et pas seulement,
pour les ascenseurs, comme tu l’as justement remarqué. Je
pensais que comme pour l’ascenseur, on se trouve bloqué à
l’entrée de certains lieux, ou on trouve occupées toutes les
places dans le train, dans le bus, le tram, que sais-je, ou toutes
les caisses du magasin, toutes les places où ranger son auto (quand
bien sûr, on en a une) et ainsi de suite, avec un peu d’imagination,
on peut en faire une énumération extrêmement longue de toutes ces
situations ennuyeuses et frustrantes.
De
fait, ce sont là des situations désagréables, ajoute Lucien l’âne
en riant. D’ailleurs, ce titre m’a immédiatement et
irrésistiblement fait penser à la tartine qui tombe toujours sur le
côté beurré ou sur la confiture, au fait que c’est toujours au
moment où on se promène qu’il se met à pleuvoir, c’est
toujours quand on est pressé de partir qu’on ne trouve plus ses
clefs… Toutes situations hautement vexatoires qui
sont soigneusement étudiées par les spécialistes de la Loi de
Murphy et de ses corollaires, dont le fondement est mieux connu sous
le nom de « Principe de vexation universelle », qui est
d’une application aussi courante que celle du « principe
d’incertitude ».
En
soi, ce serait là un excellent sujet de réflexion poétique, mais,
Lucien l’âne mon ami, intervient Marco Valdo M.I., ce n’est que
très indirectement et tout à fait accessoirement qu’il en est
question dans cette histoire. Car, comme dans les autres chansons de
Hazy Osterwald, l’air de rien – souvent approprié d’ailleurs :
le tango pour Le Tango du Crime, le cha-cha pour Le Cha-cha de la
Conjoncture, ces amuseurs publics (ils sont six en scène) font un
portrait sans fard de leur temps, disons des 50 années qui suivent
la fin de la dernière guerre mondiale, un temps où l’Allemagne
(la moitié prospère) du Miracle économique reprend des forces et
ses aises. Et
pour en venir à l’ascenseur, il s’agit dans ce contexte de
l’ascenseur social, c’est-à-dire cette machinerie, cette
structure, ce machin, ce mouvement ascensionnel qui saisit une grande
partie de la population et l’entraîne vers un plus haut niveau de
revenu, un statut plus élevé, une vie plus confortable et une forme
socialement conforme de bonheur et de reconnaissance. Ce mouvement
quasiment brownien, pourrait-on dire.
Un
mouvement brownien ?, de quoi tu causes, Marco Valdo
M.I. mon ami ?
Oh,
Lucien l’âne mon ami, c’était juste une réminiscence
et je pense que le mieux est de citer un extrait d’un article
scientifique à ce sujet, tu comprendras
alors aisément à quoi je fais une allusion, toute métaphorique, je
m’empresse de te le dire. Donc, voici un extrait d’un article de
Max Planck...
Si,
une fois atteint un état stable, l’agitation venait seulement de
l’extérieur, la matière devrait atteindre un état complètement
et durablement stable. Au lieu de cela, on constate une agitation
permanente appelée mouvement brownien.
« L’état
d’un liquide en repos et où règnerait une température uniforme
devrait être absolument incompatible avec un changement quelconque ;
car là où on ne saurait trouver de différences d’intensité, il
ne peut y avoir non plus aucune cause de changement. Mais on peut
rendre visible ce qui se passe à l’intérieur d’un liquide tel
que l’eau, par exemple, en y suspendant des particules très
nombreuses et très petites ou des gouttelettes d’un autre liquide
tel que du mastic ou de la gomme gutte. Or le spectacle qui attend
celui qui regarde une préparation de ce genre sous le microscope est
de ceux qui ne peuvent s’oublier. Il semble que l’on pénètre
dans un monde entièrement nouveau. Au lieu de l’immobilité
sépulcrale qu’il était naturel d’imaginer, l’observateur
assiste à la plus échevelée des sarabandes de la part des
particules suspendues et, chose remarquable, les particules qui se
démènent le plus follement sont justement les plus petites. Il est
impossible de déceler de la part du liquide aucun frottement qui
freinerait le mouvement. Si, par hasard, une particule vient à
s’arrêter, une autre particule entre aussitôt à sa place dans la
danse. Devant un tel spectacle, il est impossible de ne pas songer à
l’activité fiévreuse d’une fourmilière que l’on aurait
bouleversée avec un bâton. Mais tandis que les insectes finissent
par se remettre peu à peu de leur excitation et même par perdre
toute activité quand la nuit tombe, les particules ne montrent pas
la moindre trace de fatigue tant que la température du liquide reste
constante. Nous sommes donc en présence du « perpetuum
mobile » au sens le plus strict du mot et non pas dans une des
nombreuses acceptations figurées qui ont été données à ce terme.
L’explication
de ce phénomène, découvert par le botaniste anglais Brown, a été
donnée il y a déjà vingt-cinq ans par le français Gouy. D’après
ce physicien, le mouvement brownien est causé par l’agitation
thermique des molécules du liquide. Ces molécules invisibles, par
leurs chocs incessants contre les particules visibles qui flottent
disséminées parmi elles, provoquent les mouvements irréguliers
observés. Mais la preuve décisive de l’exactitude de cette
opinion n’a été apportée que tout récemment.
(Max
Planck dans « Initiations à la physique »)
Tu
m’en diras tant…, fait Lucien l’âne en prenant son air le plus
entendu. Mais quel rapport avec l’ascenseur social ?
Enfin,
dit Marco Valdo M.I. très souriant, c’est lumineux. On considère
le corps social comme un liquide et on remplace les mots
« particule » et « molécule » par personne
et on obtient ainsi une idée du bouillonnement social que se
constitue en permanence dans une société donnée, à l’état
apparemment stable. Ici, l’Allemagne du temps du Miracle
économique. Je te passe les idées de calculs multiples qui
pourraient venir à des plus scientifiques que nous et j’en reviens
à l’ascenseur. Imagine un monde de gens qui se poussent, se
bousculent et s’en vont dans tous les sens et puis, parmi eux une
partie qui souhaite accéder à un stade supérieur. Tous ne peuvent
y accéder, car il y a des conditions qui forment une sorte de
couloir ascensionnel où le passage se resserre. C’est là
qu’apparaît l’ascenseur, lequel est limité et fonctionne dans
un mouvement permanent, mais séquentiel : il monte – il se
vide – il descend – il se remplit – il monte et ainsi de suite.
Lorsque l’ascenseur est rempli ou qu’il est en mouvement, il est
dit « occupé » et il ne reste au candidat qu’à
attendre. Et c’était le cas de millions de personnes au temps de
la chanson ; il y avait une forte aspiration vers les délices
de la modernité consommatrice et de l’éden social.
Et
voilà qui me paraît, clair, dit Lucien l’âne, d’autant que ça
n’a pas cessé et qu’il y a toujours des aspirants à rejoindre
l’éden social. C’est d’ailleurs, et je t’en félicite, une
idée particulièrement précieuse que d’appliquer le mouvement
brownien comme principe de fonctionnement de la Guerre de Cent Mille
Ans que les riches et les puissants mènent inlassablement et
sournoisement contre les pauvres afin de renforcer leur domination,
d’étendre leur pouvoir, de multiplier leurs richesses, d’accroître
leurs profits. Quant à nous, reprenons notre tâche et
tissons le linceul de ce monde ascensionnel, avide, avilissant et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
L’ascenseur
est occupé,
Il vous faut patienter.
Vous ne pouvez monter maintenant,
Vous ne pouvez monter maintenant,
Mais
plus tard seulement.
L’ascenseur
parfois ne fonctionne pas.
Pour vous, c’est malheureusement votre cas.
L’ascenseur montant
Est occupé, vous devez attendre un moment.
Pour vous, c’est malheureusement votre cas.
L’ascenseur montant
Est occupé, vous devez attendre un moment.
Ni
grand, ni petit, juste moyen.
Vous vous trouvez de temps en temps
Face à votre destinée à vous demander:
Suis-je si stupide de ne pouvoir monter
De profiter de l’ascenseur montant.
Vous vous trouvez de temps en temps
Face à votre destinée à vous demander:
Suis-je si stupide de ne pouvoir monter
De profiter de l’ascenseur montant.
Mais
plus tard seulement.
Ici, les gens jouent des coudes durement ;
En haut, ça ne peut pas être plus serré.
L’ascenseur est occupé,
Il vous faut patienter.
Ici, les gens jouent des coudes durement ;
En haut, ça ne peut pas être plus serré.
L’ascenseur est occupé,
Il vous faut patienter.
Vous
voudriez crier une fois seulement :
Écoutez ! et pousser les gens.
Vous voudriez avancer,
S’il le faut, donner un coup de pied
Et sans prévenir. Vous voudriez
Au moins être respecté.
Écoutez ! et pousser les gens.
Vous voudriez avancer,
S’il le faut, donner un coup de pied
Et sans prévenir. Vous voudriez
Au moins être respecté.
Les
autres montent.
C’est leur tour de monter
Vous, vous devez patienter
Cependant, l’ascenseur est occupé
Il vous faut patienter.
C’est leur tour de monter
Vous, vous devez patienter
Cependant, l’ascenseur est occupé
Il vous faut patienter.
Cependant,
l’ascenseur est occupé
Il vous faut patienter.
Cependant, l’ascenseur est occupé
Il vous faut patienter.
Il vous faut patienter.
Cependant, l’ascenseur est occupé
Il vous faut patienter.