samedi 5 novembre 2016

L’ASCENSEUR EST OCCUPÉ


L’ASCENSEUR EST OCCUPÉ

Version française – L’ASCENSEUR EST OCCUPÉ – Marco Valdo M.I. – 2016








Dis donc, Marco Valdo M.I. mon ami, il est assez étrange ce titre ; étrange et d’une banalité étonnante. J’ai déjà rencontré beaucoup de titres, mais celui-ci est d’une particulière platitude que je qualifierais volontiers de quotidienne. S’il n’était précisé qu’il s’agit d’un ascenseur, il pourrait d’ailleurs s’appliquer à d’autres endroits que les humains sont amenés à fréquenter tous les jours.

Et tu ferais bien, Lucien l’âne mon ami. Car, en effet, c’est un titre banal qui reflète une situation banale et fréquente et pas seulement, pour les ascenseurs, comme tu l’as justement remarqué. Je pensais que comme pour l’ascenseur, on se trouve bloqué à l’entrée de certains lieux, ou on trouve occupées toutes les places dans le train, dans le bus, le tram, que sais-je, ou toutes les caisses du magasin, toutes les places où ranger son auto (quand bien sûr, on en a une) et ainsi de suite, avec un peu d’imagination, on peut en faire une énumération extrêmement longue de toutes ces situations ennuyeuses et frustrantes.

De fait, ce sont là des situations désagréables, ajoute Lucien l’âne en riant. D’ailleurs, ce titre m’a immédiatement et irrésistiblement fait penser à la tartine qui tombe toujours sur le côté beurré ou sur la confiture, au fait que c’est toujours au moment où on se promène qu’il se met à pleuvoir, c’est toujours quand on est pressé de partir qu’on ne trouve plus ses clefs… Toutes situations hautement vexatoires qui sont soigneusement étudiées par les spécialistes de la Loi de Murphy et de ses corollaires, dont le fondement est mieux connu sous le nom de « Principe de vexation universelle », qui est d’une application aussi courante que celle du « principe d’incertitude ».

En soi, ce serait là un excellent sujet de réflexion poétique, mais, Lucien l’âne mon ami, intervient Marco Valdo M.I., ce n’est que très indirectement et tout à fait accessoirement qu’il en est question dans cette histoire. Car, comme dans les autres chansons de Hazy Osterwald, l’air de rien – souvent approprié d’ailleurs : le tango pour Le Tango du Crime, le cha-cha pour Le Cha-cha de la Conjoncture, ces amuseurs publics (ils sont six en scène) font un portrait sans fard de leur temps, disons des 50 années qui suivent la fin de la dernière guerre mondiale, un temps où l’Allemagne (la moitié prospère) du Miracle économique reprend des forces et ses aises. Et pour en venir à l’ascenseur, il s’agit dans ce contexte de l’ascenseur social, c’est-à-dire cette machinerie, cette structure, ce machin, ce mouvement ascensionnel qui saisit une grande partie de la population et l’entraîne vers un plus haut niveau de revenu, un statut plus élevé, une vie plus confortable et une forme socialement conforme de bonheur et de reconnaissance. Ce mouvement quasiment brownien, pourrait-on dire.

Un mouvement brownien ?, de quoi tu causes, Marco Valdo M.I. mon ami ?

Oh, Lucien l’âne mon ami, c’était juste une réminiscence et je pense que le mieux est de citer un extrait d’un article scientifique à ce sujet, tu comprendras alors aisément à quoi je fais une allusion, toute métaphorique, je m’empresse de te le dire. Donc, voici un extrait d’un article de Max Planck...

Si, une fois atteint un état stable, l’agitation venait seulement de l’extérieur, la matière devrait atteindre un état complètement et durablement stable. Au lieu de cela, on constate une agitation permanente appelée mouvement brownien.
« L’état d’un liquide en repos et où règnerait une température uniforme devrait être absolument incompatible avec un changement quelconque ; car là où on ne saurait trouver de différences d’intensité, il ne peut y avoir non plus aucune cause de changement. Mais on peut rendre visible ce qui se passe à l’intérieur d’un liquide tel que l’eau, par exemple, en y suspendant des particules très nombreuses et très petites ou des gouttelettes d’un autre liquide tel que du mastic ou de la gomme gutte. Or le spectacle qui attend celui qui regarde une préparation de ce genre sous le microscope est de ceux qui ne peuvent s’oublier. Il semble que l’on pénètre dans un monde entièrement nouveau. Au lieu de l’immobilité sépulcrale qu’il était naturel d’imaginer, l’observateur assiste à la plus échevelée des sarabandes de la part des particules suspendues et, chose remarquable, les particules qui se démènent le plus follement sont justement les plus petites. Il est impossible de déceler de la part du liquide aucun frottement qui freinerait le mouvement. Si, par hasard, une particule vient à s’arrêter, une autre particule entre aussitôt à sa place dans la danse. Devant un tel spectacle, il est impossible de ne pas songer à l’activité fiévreuse d’une fourmilière que l’on aurait bouleversée avec un bâton. Mais tandis que les insectes finissent par se remettre peu à peu de leur excitation et même par perdre toute activité quand la nuit tombe, les particules ne montrent pas la moindre trace de fatigue tant que la température du liquide reste constante. Nous sommes donc en présence du « perpetuum mobile » au sens le plus strict du mot et non pas dans une des nombreuses acceptations figurées qui ont été données à ce terme.
L’explication de ce phénomène, découvert par le botaniste anglais Brown, a été donnée il y a déjà vingt-cinq ans par le français Gouy. D’après ce physicien, le mouvement brownien est causé par l’agitation thermique des molécules du liquide. Ces molécules invisibles, par leurs chocs incessants contre les particules visibles qui flottent disséminées parmi elles, provoquent les mouvements irréguliers observés. Mais la preuve décisive de l’exactitude de cette opinion n’a été apportée que tout récemment.
(Max Planck dans « Initiations à la physique »)

Tu m’en diras tant…, fait Lucien l’âne en prenant son air le plus entendu. Mais quel rapport avec l’ascenseur social ?

Enfin, dit Marco Valdo M.I. très souriant, c’est lumineux. On considère le corps social comme un liquide et on remplace les mots « particule » et « molécule » par personne et on obtient ainsi une idée du bouillonnement social que se constitue en permanence dans une société donnée, à l’état apparemment stable. Ici, l’Allemagne du temps du Miracle économique. Je te passe les idées de calculs multiples qui pourraient venir à des plus scientifiques que nous et j’en reviens à l’ascenseur. Imagine un monde de gens qui se poussent, se bousculent et s’en vont dans tous les sens et puis, parmi eux une partie qui souhaite accéder à un stade supérieur. Tous ne peuvent y accéder, car il y a des conditions qui forment une sorte de couloir ascensionnel où le passage se resserre. C’est là qu’apparaît l’ascenseur, lequel est limité et fonctionne dans un mouvement permanent, mais séquentiel : il monte – il se vide – il descend – il se remplit – il monte et ainsi de suite. Lorsque l’ascenseur est rempli ou qu’il est en mouvement, il est dit « occupé » et il ne reste au candidat qu’à attendre. Et c’était le cas de millions de personnes au temps de la chanson ; il y avait une forte aspiration vers les délices de la modernité consommatrice et de l’éden social.

Et voilà qui me paraît, clair, dit Lucien l’âne, d’autant que ça n’a pas cessé et qu’il y a toujours des aspirants à rejoindre l’éden social. C’est d’ailleurs, et je t’en félicite, une idée particulièrement précieuse que d’appliquer le mouvement brownien comme principe de fonctionnement de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants mènent inlassablement et sournoisement contre les pauvres afin de renforcer leur domination, d’étendre leur pouvoir, de multiplier leurs richesses, d’accroître leurs profits. Quant à nous, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce monde ascensionnel, avide, avilissant et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


L’ascenseur est occupé,
Il vous faut patienter.
Vous ne pouvez monter maintenant,
Mais plus tard seulement.
L’ascenseur parfois ne fonctionne pas.
Pour vous, c’est malheureusement votre cas.
L’ascenseur montant
Est occupé, vous devez attendre un moment.

Vous n’êtes pas un petit homme,
Vous n’êtes pas un grand homme,
Vous êtes un homme moyen.
Ni grand, ni petit, juste moyen.
Vous vous trouvez de temps en temps
Face à votre destinée à vous demander:
Suis-je si stupide de ne pouvoir monter
De profiter de l’ascenseur montant.

Cependant, l’ascenseur est occupé,
Il vous faut patienter.
Vous ne pouvez monter maintenant,
Mais plus tard seulement.
Ici, les gens jouent des coudes durement ;
En haut, ça ne peut pas être plus serré.
L’ascenseur est occupé,
Il vous faut patienter.

Vous voudriez crier une fois seulement :
Écoutez ! et pousser les gens.
Vous voudriez avancer,
S’il le faut, donner un coup de pied
Et sans prévenir. Vous voudriez
Au moins être respecté.
Vous voudriez pouvoir faire,
Ce que les autres sont en train de faire.

Mais l’ascenseur est occupé
Il vous faut patienter.
Le chemin vers le haut se libère
Les autres montent.
C’est leur tour de monter
Vous, vous devez patienter
Cependant, l’ascenseur est occupé
Il vous faut patienter.

Cependant, l’ascenseur est occupé
Il vous faut patienter.
Cependant, l’ascenseur est occupé
Il vous faut patienter.
Cependant, l’ascenseur est occupé
Il vous faut patienter.