vendredi 8 juin 2018

AUX TERRASSES

AUX TERRASSES


Version française – AUX TERRASSES – Marco Valdo M.I. – 2018
A’ TerrazziniLa versione livornese dell’ Anonimo Toscano del XXI Secolo
(6 giugno 2018)





Était-il possible de ne pas accueillir l’invitation que Marco Valdo M.I nous a faite dans son Dialogue maïeutique ? Voilà donc que l’Anonyme Toscan du XXI Siècle nous offre sa revisitation en livournais du Bistrot de Brassens, replacé dans une taverne à quelques pas d’où il a habité un temps (l’Anonyme, pas Brassens). L’œnothèque Mannari des Terrazzini (quartier du Pontino) avait son respectable nom officiel grécisant (mais, en grec, on dit enopòlio : οἱνοπωλεῖον), mais ensuite, quant au nom de la rue, pour tous c’était l’Osteria des Terrazzini dans un quartier, le Pontino, où beaucoup de rues prennent le nom d’osteries (Rue de la Pina d’Oro) et de putains (Eugenia, Adriana et la stupéfiante Pompilia). L’adaptation de l’Anonyme est évidemment même un hommage à une ancienne réalité bien connue, vu qu’il s’y rendait quasi-quotidiennement et souvent nuitamment ; grâce au « vinaccio » de cette taverne, par exemple, le-dit Anonyme un soir est roulé gaiement en bas de toute une rampe d’escalier de la station de Livourne, s’écrasant enfin dans un mur. L’Anonyme s’excuse évidemment de ne pas connaître aussi bien les bistrots parisiens (mais assez bien les estaminets de la région de Valenciennes). Sa revisitation, ou adaptation, présente peut-être l’une ou l’autre strophe en plus que l’original : patience. L’Anonyme tient enfin à préciser être contraire à l’affirmation commune selon laquelle l’enjambement (en dernière analyse, dérivant en de l’ancien scazonte de la métrique classique), si typique de la métrique française et dont Brassens use souvent et volontiers, s’adapte mal à la métrique locale : il a donc enjambé assez bien dans ce texte.(A.T.XXI)

Dialogue Maïeutique


Avant de commencer notre dialogue maïeutique proprement dit et en complément aux autres chansons déjà mentionnées sur le même thème ou proches – comme « Le cul de la patronne », je voudrais signaler en vrac : La Madelon, Le Pinard – toutes deux ont inspiré le texte :

« Ici, le pinard, c’est de la vinasse
Fatale et grasse
À deux ronds
Le demi-litron de Madelon.
Imaginez un peu, mes amis,
Quel boui-boui ! »

et d’autre chansons de port et de femmes-phares : Mylord (Moustaki), Ostende (Caussimon, Ferré et d’autres), Adélaïde (Debronckart) et je m’en tiens à la langue française. J’imagine qu’on pourrait construire tout un parcours autour des ports, des bistrots et des femmes qu’on y trouve et des hommes qui s’y égarent.

Ce serait certainement passionnant, dit Lucien l’âne, mais poursuivons.

Dès lors, Lucien l’âne mon ami, revenons à cet étonnant exercice de style – Raymond Queneau en a fait tout un livre – et parlons un peu de cet étonnant et magnifique A’ Terrazzini que l’Athée du XXIème Siècle nous a offert. C’est ce que Riccardo Venturi appelle une revisitation ; elle est en livournais – une revisitation du Bistrot de Georges Brassens. À moins, c’est une hypothèse que j’avance sur la pointe des pieds, à moins que ce ne soit Georges Brassens qui ait nocturnement, entre deux gallons de « pinard menaçant », hanté le-dit Anonyme – Athée, comme il se doit. Ça s’est déjà vu à Berlin quand Villon hanta Wolf Biermann.

C’est un peu stupéfiant, dit Lucien l’âne. Enfin, si je comprends, Marco Valdo M.I., le jeu continue. Georges Brassens a écrit, composé et interprété Le bistrot. Riccardo Venturi en a fait une traduction en italien assez proche, d’où le titre « Il BISTROT » ; on lui suggère de la traduire en livournais. Comble de chance, notre Ventu fait appel à son hétéronyme l’Athée du XXIème Siècle, dit ici pour la commodité du discours l’Athée XXI, lequel maîtrise la langue des côtes et du port. L’Anonyme accède à la pressante demande et nous envoie ce « À Terrazzini ». Est-ce bien là qu’on en est ?

Oui et non, Lucien l’âne mon ami. Oui, car on y est arrivé – et pas sans mal et non, car on en est un pas plus loin avec cet « Aux Terrasses », qui est la version française que je viens d’en faire. Note immédiatement que cette version française au lieu de clore le cycle et de mettre fin au jeu, pourrait bien relancer encore la balle. En effet, comme je l’ai établie, je le sais pertinemment, elle est (forcément) différente de la version livournaise (qu’elle traduit cependant assez correctement) et tellement différente qu’il conviendrait – pour la clarté de la discussion – de la traduire en livournais ou en italien.

Moi, Marco Valdo M.I. mon ami, je m’amuse beaucoup à regarder cette dérive, cette évolution. On dirait un phénomène proche de celui qui se passe dans la nature. Donc, B réplique A (mais pas tout à fait), C réplique B (mais un peu adapté), D réplique C (et décale encore) et ainsi de suite aussi loin que l’on veut. Moi, je me demande où on finirait après des dizaines de translations. Sans attendre jusque-là, je me contente déjà de tes « Terrasses », je regarde, je compare, je m’étonne, je m’esbaubis et j’attends – j’espère – je souhaite la version suivante. Et « ad infinitum ».

Tu fais bien de le dire, Lucien l’âne mon ami : « ad infinitum » ; ce pourrait d’ailleurs être la devise, le motto des Chansons contre la Guerre. D’autre part, c’est une suggestion excellente de demander de prolonger ces traductions en cascade. Le tout serait de trouver des joueurs, mais l’expérience vaut d’être tentée. En tout cas, si demain, une nouvelle traduction de ce « Aux Terrasses » en italien, ou en toscan ou en romanesque apparaissait, je ne manquerais pour rien au monde d’en faire à mon tour une version française. Ces cascades seraient des recherches précieuses pour comprendre le phénomène de traduction, mais aussi l’évolution des langues et ce pourrait être éclairant sur le fonctionnement intime de la pensée.

Oh, dit Lucien l’âne, rien n’interdit, rien n’empêche comme pour « La Déclaration Universelle des Droits », qu’on en fasse sur mesure une version dans n’importe quelle langue. Évidemment dans ce cas (mettons en polonais – ce qui suppose l’exploration d’un caboulot de Varsovie ou de Gdansk, ou, ou… au choix ; une version grecque, ou espagnole, ou allemande ou, ou, ou…), si la langue t’échappe, il faudra attendre une version italienne qui ne manquerait pas de surgir un jour dans les Chansons contre la Guerre.
Encore une fois, je suis impatient de voir tout ça. En attendant, reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde caquetant comme un idiot, plein de mots et de cris (paraphrase en mémoire de John, l’anonyme italien de Londres – XVI et fabuleux traducteur de Montaigne en anglais) et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Si un jour, tu retournes
Te perdre à Livourne,
Au Pontino,
Il y a là-bas une osteria,
Trois tables de guingois,
Va-z-y boire un pot.

Prends garde au patron,
Une merde, un bourrin
Déjà rond
À neuf heures du matin.
Il dégage une senteur
À tuer le malheur.

Si tu veux du vin
De bec de rupin,
Si tu veux ton Sassicaia.
Il te faudra payer
Pour te soûler
À l’Ornellàia.

Ici, le pinard, c’est de la vinasse
Fatale et grasse
À deux ronds
Le demi-litron de Madelon.
Imaginez un peu, mes amis,
Quel boui-boui !

Ici, il vous faut
Un estomac en peau
De taureau.
Quiconque entre là pour boire
Laisse tout espoir
Et sombre dans le noir.

On se retrouve à cet endroit
À deux ou trois
Péquenots,
À la regarder
Comme des dévots
Extasiés.

On n’a jamais su
Comment cet infâme,
Ce ventru,
A eu une femme
Belle à couper
L’envie de pisser.

Certains soirs d’été
Tout le quartier,
Une moitié de l’Europe,
Est là à contempler
En vrais nyctalopes
Ce popotin d’antilope.

J’irai jusqu’à boire
Cent litres
Deau de ciboire
Si tu tiens
En ermite
Jusqu’au matin.

À voir comment la fée
L’a métamorphosée,
L’osterie, chaque jour,
Se mue en cour du soir,
Pleine d’espoirs
Et de petits amours.

Quand je pense à celui
Qui la baise,
J’en suis tout étourdi.
Un balaise,
Ce Gorille qui
Lui sert de mari.

Quand je repense à celui
Qui l’embrasse,
Qui l’enlace,
Je me dis
Que je boirais bien
L’eau de mon bain.

Mais qu’y peut-on ?
À part penser à ses petons
Et prier Eros et Aphrodite.
Comme l’amour est mal voyant,
Sûr que cet hypocrite
En profite joliment.

Et tu peux essayer !
Elle se raidit et, pan !
La claque. Et
Ne t’y reprends
Pas, sinon elle t’éveille
À coups de bouteille.

Et son mari
Tout attendri,
Tout énamouré,
Offre à boire
Un verre de son pinard
Au maltombé.

Il n’est pas encore né
Le fortuné
Qui la dégèlera,
Qui fera
Des cornes d’élan
À cet orang-outan.

Si un jour, tu retournes
Te perdre à Livourne,
Au Pontino,
La fée Margot,
Dans son caboulot
T’offrira un pot.