AUX
TERRASSES
Version
française – AUX TERRASSES – Marco Valdo M.I. – 2018
Était-il
possible de
ne
pas accueillir l’invitation que
Marco
Valdo M.I nous
a faite dans
son
Dialogue
maïeutique ?
Voilà donc que l’Anonyme Toscan du XXI Siècle nous offre sa
revisitation
en livournais
du Bistrot de Brassens, replacé
dans une taverne à
quelques
pas d’où il a habité un
temps
(l’Anonyme,
pas Brassens). L’œnothèque
Mannari des Terrazzini (quartier du Pontino) avait son respectable
nom officiel grécisant
(mais, en
grec, on dit enopòlio : οἱνοπωλεῖον), mais ensuite,
quant
au
nom de la rue,
pour tous c’était
l’Osteria
des Terrazzini dans un quartier, le Pontino, où beaucoup de rues
prennent le
nom d’osteries
(Rue
de
la Pina d’Oro) et de putains (Eugenia, Adriana et la
stupéfiante
Pompilia). L’adaptation de l’Anonyme
est évidemment même un hommage à une ancienne réalité bien
connue, vu qu’il s’y
rendait
quasi-quotidiennement
et souvent nuitamment ;
grâce
au « vinaccio » de cette taverne, par exemple, le-dit
Anonyme un soir est roulé gaiement en
bas de
toute une rampe d’escalier de la station de Livourne, s’écrasant
enfin
dans
un
mur. L’Anonyme s’excuse
évidemment de
ne pas connaître aussi bien les
bistrots
parisiens (mais assez
bien les
estaminets
de la région
de
Valenciennes). Sa
revisitation,
ou adaptation, présente peut-être l’une
ou l’autre
strophe en plus que
l’original : patience. L’Anonyme tient enfin à préciser être
contraire à l’affirmation commune
selon laquelle
l’enjambement (en dernière analyse, dérivant
en de
l’ancien scazonte de la métrique classique), si typique de la
métrique française
et dont Brassens use souvent et volontiers, s’adapte mal
à la métrique locale :
il a donc enjambé
assez bien
dans ce texte.(A.T.XXI)
Dialogue
Maïeutique
Avant
de commencer notre dialogue maïeutique proprement dit
et
en complément aux autres chansons déjà mentionnées sur le même
thème ou proches – comme « Le
cul de la patronne »,
je
voudrais signaler en vrac : La
Madelon,
Le Pinard – toutes deux ont inspiré le texte :
« Ici,
le pinard,
c’est de la vinasse
Fatale
et grasse
À
deux ronds
Le
demi-litron de Madelon.
Imaginez
un peu, mes amis,
Quel
boui-boui ! »
et
d’autre chansons de port et de femmes-phares : Mylord
(Moustaki),
Ostende (Caussimon,
Ferré et d’autres),
Adélaïde
(Debronckart)
et je m’en tiens à la langue française. J’imagine qu’on
pourrait construire tout un parcours autour des ports, des bistrots
et des femmes qu’on y trouve et
des hommes qui s’y égarent.
Ce
serait certainement passionnant, dit Lucien l’âne, mais
poursuivons.
Dès
lors, Lucien l’âne mon ami, revenons à cet étonnant exercice de
style – Raymond Queneau en a fait tout un livre – et parlons un
peu de cet étonnant et magnifique A’ Terrazzini que l’Athée du
XXIème Siècle nous a offert. C’est ce que Riccardo Venturi
appelle une revisitation ; elle est en livournais – une
revisitation du Bistrot de Georges
Brassens. À moins, c’est une hypothèse que j’avance sur la
pointe des pieds, à moins que ce ne soit Georges Brassens qui ait
nocturnement, entre deux gallons de « pinard menaçant »,
hanté le-dit Anonyme – Athée, comme il se doit. Ça
s’est déjà vu à Berlin quand Villon
hanta Wolf Biermann.
C’est
un peu stupéfiant, dit Lucien l’âne. Enfin, si je comprends,
Marco Valdo M.I., le jeu continue. Georges Brassens a écrit, composé
et interprété Le bistrot.
Riccardo Venturi
en a fait une traduction en italien assez proche, d’où le titre
« Il BISTROT » ;
on lui suggère de la traduire en livournais. Comble de chance, notre
Ventu fait appel à son hétéronyme l’Athée
du XXIème Siècle, dit ici
pour la commodité du discours l’Athée
XXI, lequel maîtrise la langue des côtes
et du port. L’Anonyme accède à la pressante demande et nous
envoie ce « À Terrazzini ». Est-ce bien là qu’on en
est ?
Oui
et non, Lucien l’âne mon ami. Oui, car on y est arrivé – et pas
sans mal et non, car on en est un pas plus loin avec cet « Aux
Terrasses », qui est la version française que je viens d’en
faire. Note immédiatement que cette version française au lieu de
clore le cycle et de mettre fin au jeu, pourrait bien relancer encore
la balle. En effet, comme je l’ai
établie, je le sais pertinemment, elle est (forcément) différente
de la version livournaise (qu’elle traduit cependant assez
correctement) et tellement différente qu’il conviendrait – pour
la clarté de la discussion – de la traduire en livournais ou en
italien.
Moi,
Marco Valdo M.I. mon ami, je m’amuse beaucoup à regarder cette
dérive, cette évolution. On dirait un phénomène proche de celui
qui se passe dans la nature. Donc, B réplique A (mais pas tout à
fait), C réplique B (mais un peu adapté), D réplique C (et décale
encore) et ainsi de suite aussi loin que l’on veut. Moi, je me
demande où on finirait après des dizaines de translations. Sans
attendre jusque-là, je me contente déjà de tes « Terrasses »,
je regarde, je compare, je m’étonne, je m’esbaubis et j’attends
– j’espère – je souhaite la version suivante. Et « ad
infinitum ».
Tu
fais bien de le dire, Lucien l’âne mon ami : « ad
infinitum » ; ce pourrait d’ailleurs être la devise, le
motto des Chansons contre la Guerre.
D’autre part, c’est une suggestion excellente de demander de
prolonger ces traductions en cascade. Le tout serait de trouver des
joueurs, mais l’expérience vaut d’être tentée. En tout cas, si
demain, une nouvelle traduction de ce « Aux Terrasses »
en italien, ou en toscan ou en romanesque apparaissait, je ne
manquerais pour rien au monde d’en faire à mon tour une version
française. Ces cascades
seraient des recherches précieuses pour comprendre le phénomène de
traduction, mais aussi l’évolution des langues et ce pourrait être
éclairant sur le fonctionnement intime de la pensée.
Oh,
dit Lucien l’âne, rien n’interdit, rien n’empêche comme pour
« La
Déclaration Universelle des Droits », qu’on
en fasse sur mesure une version dans n’importe quelle langue.
Évidemment dans ce cas (mettons en polonais – ce qui suppose
l’exploration d’un caboulot de Varsovie ou de Gdansk, ou, ou…
au choix ; une
version grecque, ou espagnole, ou allemande ou, ou, ou…),
si la langue t’échappe, il faudra attendre une version italienne
qui ne manquerait pas de surgir un jour dans les Chansons contre la
Guerre.
Encore
une fois, je suis impatient de voir tout ça. En attendant, reprenons
notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde caquetant comme
un idiot, plein de mots et de cris (paraphrase
en mémoire de John, l’anonyme italien de
Londres – XVI et fabuleux traducteur de
Montaigne en anglais) et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Si
un jour, tu retournes
Te
perdre à Livourne,
Au
Pontino,
Il
y a là-bas une
osteria,
Trois
tables de guingois,
Va-z-y
boire un pot.
Prends
garde au patron,
Une
merde, un bourrin
Déjà
rond
À
neuf heures du matin.
Il
dégage une senteur
À
tuer le malheur.
Si
tu veux du vin
De
bec de rupin,
Si
tu veux ton Sassicaia.
Il
te faudra payer
Pour
te soûler
À
l’Ornellàia.
Ici,
le pinard, c’est de la vinasse
Fatale
et grasse
À
deux ronds
Le
demi-litron de Madelon.
Imaginez
un peu, mes amis,
Quel
boui-boui !
Ici,
il vous faut
Un
estomac en peau
De
taureau.
Quiconque
entre là pour
boire
Laisse
tout espoir
Et
sombre dans le noir.
On
se retrouve à
cet endroit
À
deux ou trois
Péquenots,
À
la regarder
Comme
des dévots
Extasiés.
On
n’a jamais su
Comment
cet infâme,
Ce
ventru,
A
eu une femme
Belle
à couper
L’envie
de pisser.
Certains
soirs d’été
Tout
le quartier,
Une
moitié de l’Europe,
Est
là à contempler
En
vrais nyctalopes
Ce
popotin d’antilope.
J’irai
jusqu’à boire
Cent
litres
D’eau
de ciboire
Si
tu tiens
En
ermite
Jusqu’au
matin.
À
voir comment la
fée
L’a
métamorphosée,
L’osterie,
chaque jour,
Se
mue en cour du soir,
Pleine
d’espoirs
Et
de petits amours.
Quand
je pense à celui
Qui
la baise,
J’en
suis tout étourdi.
Un
balaise,
Ce
Gorille qui
Lui
sert de mari.
Quand
je repense à celui
Qui
l’embrasse,
Qui
l’enlace,
Je
me dis
Que
je boirais bien
L’eau
de mon bain.
Mais
qu’y peut-on ?
À
part penser à ses petons
Et
prier Eros et Aphrodite.
Comme
l’amour est mal
voyant,
Sûr
que cet hypocrite
En
profite joliment.
Et
tu peux essayer !
Elle
se raidit et, pan !
La
claque. Et
Ne
t’y reprends
Pas,
sinon elle t’éveille
À
coups de bouteille.
Et
son mari
Tout
attendri,
Tout
énamouré,
Offre
à boire
Un
verre de son pinard
Au
maltombé.
Il
n’est pas encore né
Le
fortuné
Qui
la dégèlera,
Qui
fera
Des
cornes d’élan
À
cet orang-outan.
Si
un jour, tu retournes
Te
perdre à Livourne,
Au
Pontino,
La
fée Margot,
Dans
son caboulot
T’offrira
un pot.