CHANT
DES BAGASSES,
PHARE DE CITOYENNETÉ
Version
française – CHANT DES BAGASSES, PHARE DE CITOYENNETÉ – Marco
Valdo M.I. - 2019
Chanson
italienne – Canto
delle battone, faro di civiltà
– Dario
Fo
– 1964
Paroles :Dario Fo
Musique : Fiorenzo Carpi
Texte in La Musica dell’Altra Italia
Dialogue
Maïeutique
Quel
étrange titre que celui-là !, dit Lucien l’âne. En vérité,
si je n’étais pas âne si ancien et si répandu dans le monde, si
je n’avais bourlingué jusque dans les vieux ports, je n’y
comprendrais rien à ces bagasses et à ce phare. Cependant, je
compte beaucoup sur tes explications.
Certes,
Lucien l’âne mon ami, et je suis tout à fait ravi de pouvoir t’en
donner quelques-unes. Et pour commencer je te rappelle qu’il s’agit
ici de la version française d’un titre qui à première vue, dans
sa langue d’origine : l’italien, n’est pas vraiment clair
pour l’étranger à la langue et à la culture. C’est proprement
une dimension particulière que j’ai voulu exprimer sachant que
bayadères aurait donner un son trop oriental. Que sont donc ces
« battone » pour qui n’a pas l’habitude de les
fréquenter sous cette appellation ? Il y fallait donc un terme
français qui, quoique très précis laisse flotter un parfum de
lagune à l’exotisme brumeux. J’ai donc choisi « bagasses »,
peut-être aussi par proximité de son, ne voulant pas dire
« putains », ni « prostituées » et moins
encore, « péripatéticiennes », qui pourtant – tout
comme « battone » – indiquait la déambulation comme
mode opératoire.
Oh,
dit Lucien l’âne, c’eût été une démarche d’apparence un
peu trop philosophique.
Donc,
reprend
Marco Valdo M.I., ces « battone » sont des demoiselles
qui littéralement
« battent » le trottoir de leurs talons
– Georges Brassens dit d’ailleurs – je
cite
de mémoire – dans
sa « Complainte
des filles de joie »
(https://www.youtube.com/watch?v=HwPgs21a8_I),
qui est une illustration du sens de « battone » :
« Car
même avec des pieds de grue,
Car
même avec des pieds de grue,
Faire
les cent pas le long des rues,
Faire
les cent pas le long des rues,
C’est
fatigant pour les guiboles,
Parole,
parole !
C’est
fatigant pour les guiboles.
Non
seulement elles ont des cors,
Non
seulement elles ont des cors,
Des
œils de perdrix mais encore,
Des
œils de perdrix mais encore,
C’est
fou ce qu’elles usent de groles,
Parole,
parole !
C’est
fou ce qu’elles usent de groles. »
Ah,
dit Lucien l’âne, ce sont des déambulatrices de profession. À
propos de profession, il en est de pires, mais à chacun son métier
et les vaches seront bien gardées, dit-on par chez nous. Mais
revenons à la canzone.
Oh,
dit Marco Valdo M.I., on ne s’est pas éloignés une seconde. Tout
au contraire, l’affaire se précise. Ces dames – étant ce
qu’elles sont et faisant ce qu’elles font, exercent une
profession libérale (du moins celles qui ne sont pas mises en
esclavage ou sous dure tutelle par des exploiteurs avides) et par
cette canzone, revendiquent leur rang dans la société au nom des
services rendus et pas seulement, aux particuliers. L’argument est
fort, comme le montre la chanson.
Certainement,
Marco Valdo M.I., le titre doit être pris en quelque sorte avec des
pincettes. Comme la chanson, il est tellement plein d’ironie qu’on
dirait un oursin. Il est fort ce « phare de
citoyenneté » qui caractérise, qui définit, qui autodéfinit
les « bagasses » et pour tout dire, qui porte leur
revendication de reconnaissance. On pourrait adapter à leur
endroit cette revendication que portait Carlo Levi – « Non
più cose, ma protagoniste ! », il en avait fait un
tableau. Il y a dans cette canzone un « nous » qui
s’autoglorifie. Tout comme les
folles filles accompagnant les militaires et celles
d’Anvers, qui défendirent
vaillamment leur « jour d’amour »,
celles-ci revendiquent l’éminence de leur rôle dans la société,
la grandeur de leur âme et l’importance de leur contribution à la
gloire de la Nation et de la Marine. Pour les détails, voir la
chanson qui est pleine de moralité.
Dès
lors, Marco Valdo M.I. mon mai, tissons le linceul de ce vieux monde
éclairé, financé, entretenu par ces dames et néanmoins,
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Les
premières femmes qui ont été
En
Palestine débarquées par les Croisés
C’était
nous, nous les dévergondées,
Les
premières vraies femmes croisées.
Dans
le Nouveau Monde, nous étions quarante.
Les
premières femmes de la sainte Espagne :
Avant
les prêtres, nous avons été débarquées
Et
ensuite aux caciques, on nous a cédées.
Nous
sommes le phare de la civilisation,
Les
vraies dames de charité, pleines d’abnégation :
Nous
vendons de l’amour qui n’a pas de prix,
En
noir et à bas prix.
Quand
dans le temps, désormais passé,
Dans
des maisons closes, on allait pécher,
Notre
amour y était taxé
Et
environ un tiers allait à l’État.
Avec
cet argent, on a calculé,
Ils
se sont payé un trois-mâts,
Un
croiseur et un cuirassé
Qui
voguent sur la mer toujours
Aujourd’hui,
payés par notre amour,
Par
trente pour cent de notre amour.
Si
vous pensez alors que les matelots
Ont
dépensé chez nous le fruit de leur boulot
Et
que nous avons à nouveau reversé
À
notre royal État, un bon tiers,
Il
est clair que nous avons couvert
Toutes
les dépenses de l’amirauté,
Et
notre État pour sa frégate.
N’aura
pas déboursé une datte.
Nous
sommes un phare de citoyenneté,
De
vraies dames de charité et
La
patrie doit se souvenir toujours
Que
quand un croiseur vient au jour,
Il
est le fruit de notre amour !