mardi 9 août 2016

LAVE REPASSE LAVE

LAVE REPASSE LAVE

Version française – LAVE REPASSE LAVE – Marco Valdo M.I. – 2016
Chanson italienne – Lavo stiro lavo – Giovanna Dazzi – 2010






La chanson, Lucien l’âne mon ami, tu le sais, n’est pas toujours un chant de gloire, un péan du guerrier vainqueur. Il est d’autres chansons qu’on ne peut méconnaître, même si – à première vue ou à première audition – elles ne concernent que des moments, des gestes ou des sentiments obscurs ou minuscules, des choses ordinaires, trop ordinaires pour être dites ou, a fortiori, chantées. Pourtant, on aurait bien tort de les ignorer et plus encore, de les mépriser. Ne fût-ce que parce que la Guerre de Cent Mille Ans s’y reflète dans ces moments, ces gestes, ces sentiments, ces choses plus sans doute encore que dans les autres, car ces instants, gestes, sentiments, choses ordinaires sont de loin les plus fréquents et les plus nombreux, de façon écrasante. Sous leur apparence anodine, ce sont des lieux de confrontation essentiels ; ils sont les véritables enjeux du combat, car ils fondent littéralement la relation de domination, ils sont le fondement et l’affirmation toujours réitérée de l’inéquité du monde.


Je suis parfaitement de ton avis, Marco Valdo mon ami, et je pense que c’est un point très négligé en raison notamment du goût de nos contemporains pour les informations sensationnelles, pour les grands nombres et pour tout ce qui a des allures de record. Mais dans les faits, tout cela se tient ; c’est le même principe de quantité qui mesure la richesse et qui accuse la pauvreté. Même si paradoxalement, seule la richesse peut payer l’objet rare, unique ou presque.


Certes, Lucien l’âne mon ami, mais seulement à raison de sa valeur marchande ; chaque caillou est unique, le plus minuscule et le plus anonyme et le plus banal des grains de sable est unique lui aussi. Rien me dira-t-on ne pourrait ressembler plus à un grain de sable qu’un autre grain de sable ; c’est vrai, mais en même temps, ce grain de sable est unique et ne ressemble à aucun autre. Dire cela, c’est mal connaître les grains de sable, c’est tout simplement faire preuve d’ignorance, de manque de finesse d’esprit et d’intelligence du monde. Il en est de même de la personne, du geste ou de la vie de la ménagère. On peut considérer que sa vie est banale et elle l’est, mais en quoi est-ce dérangeant ou méprisable. Il y a des milliards d’années que le soleil – unique dans le système qui nous inclut, mais vraisemblablement pas au-delà – va et vient, se couche, se lève avec une franche et insistante monotonie, il n’y a rien de plus banal et pourtant. Mais dans le fond, il vaudrait mieux que je parle de la chanson.


Il serait bien temps, tu n’en as encore rien dit grand-chose, Marco Valdo M.I. mon ami et moi, j’aimerais quand même en savoir quelque chose.


Eh bien, comme tu pouvais t’y attendre avec pareille introduction, c’est l’histoire d’une ménagère racontée par elle-même. Une dame qui se lamente du sort qui lui est fait, de la monotonie des jours et de ce sentiment d’esclavage qu’elle finit par ressentir ; en quoi, elle n’a pas tort si alors que ce travail est indispensable et rythme le quotidien – exactement comme le soleil dans sa grande banalité, autour d’elle, le monde et ses proches n’en reconnaissent pas l’essentielle unicité et méprisent à la fois, ces tâches et celle qui les accomplit. On comprend qu’elle râle, mais à mon sens, à tort et c’est ce qui la rend malheureuse.


Comment ça, à tort. N’a-t-elle pas raison dans sa dénonciation et dans sa protestation ?, dit Lucien l’âne interloqué.


Bien sûr qu’elle a raison de protester, de râler, de tempêter et de revendiquer ; là n’est pas la question ; surtout, si on la maintient dans ce rôle, si on la réduit à ces travaux qu’en même temps, on méprise et on se refuse à faire. Elle a raison, mille fois raison ; enfin, pas uniquement. Il y a aussi qu’elle a tort d’adopter, d’accepter le point de vue des autres sur ce qu’elle fait et sur ce qu’elle est. Je résume : elle est tout ce qu’elle fait en plus d’être elle-même ; il n’y a pas de raison qu’elle en démorde. Il en va des tâches simples de la même manière que du soleil, elles sont banales, répétitives et cependant, sans elles, le monde ne pourrait pas exister ; elles sont le sel de la vie bien plus que les exploits guerriers ou sportifs, dont certains se glorifient. Ainsi, dit-elle : Je lave, repasse, lave.


Oh, Marco Valdo M.I., on pourrait discuter de ça encore longtemps. Mais, laissons pour cette fois, il nous faut retourner – nous aussi – à notre tâche, minuscule et répétitive et tisser, tisser, Marco Valdo M.I. mon ami, comme les canuts et comme les fileuses le linceul de ce vieux monde banal, assoiffé de gloriole, pénible et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Je lave repasse lave,
Je suis membre de la famille,
Je lave repasse lave,
Même le chien me ressemble.
Je lave repasse lave,
J'accroche un bras à la poignée.

Fer à repasser, ordures, lessive :
Dès demain matin, je vais au syndicat.
Tu as tenté le coup : Deux euros de l’heure !
Moitié salaire pour un seul bras.
Anticalcaire, cuisine, lessive.
« Le pavement, je te le laisse trempé » (!)
Tu peux t'acheter le torchon. Deux euros de l’heure !
Fatiguée d'être seulement ce que je fais.

Je lave repasse lave,
J’arrête ma douleur avec une pastille.
Je lave repasse lave,
Je fais tomber la vaisselle.
Je lave repasse lave.
Une personne qui me conseille

Fer à repasser, ordures, lessive :
Dès demain matin, je vais au syndicat.
Tu as tenté le coup : Deux euros de l’heure !
Moitié salaire pour un seul bras.
Anticalcaire, cuisine, lessive.
« Le pavement, je te le laisse trempé » (!)
Tu peux t'acheter le torchon. Deux euros de l’heure !
Fatiguée d'être seulement ce que je fais.