Chanson
italienne – Lavo stiro lavo – Giovanna
Dazzi – 2010
La
chanson, Lucien l’âne mon ami, tu le sais, n’est pas toujours un
chant de gloire, un péan du guerrier vainqueur. Il est d’autres
chansons qu’on ne peut méconnaître, même si – à première vue
ou à première audition – elles ne concernent que des moments, des
gestes ou des sentiments obscurs ou minuscules, des choses
ordinaires, trop ordinaires pour être dites ou, a fortiori,
chantées. Pourtant, on aurait bien tort de les ignorer et plus
encore, de les mépriser. Ne fût-ce que parce que la Guerre de Cent
Mille Ans s’y reflète dans
ces moments, ces gestes, ces sentiments, ces choses plus sans doute
encore que dans les autres, car ces instants, gestes, sentiments,
choses ordinaires sont de loin les plus fréquents et les plus
nombreux, de façon écrasante. Sous leur apparence anodine, ce sont
des lieux de confrontation essentiels ; ils sont les véritables
enjeux du combat, car ils fondent littéralement la relation de
domination, ils sont le fondement et l’affirmation toujours
réitérée de l’inéquité du monde.
Je
suis parfaitement de ton avis, Marco Valdo mon ami, et je pense que
c’est un point très négligé en raison notamment du goût de nos
contemporains pour les informations sensationnelles, pour les grands
nombres et pour tout ce qui a des allures de record. Mais dans les
faits, tout cela se tient ; c’est le même principe de
quantité qui mesure la richesse et qui accuse la pauvreté. Même si
paradoxalement, seule la richesse peut payer l’objet rare, unique
ou presque.
Certes,
Lucien l’âne mon ami, mais seulement à raison de sa valeur
marchande ; chaque caillou est unique, le plus minuscule et le
plus anonyme et le plus banal des grains de sable est unique lui
aussi. Rien me dira-t-on ne pourrait ressembler plus à un grain de
sable qu’un autre grain de sable ; c’est vrai, mais en même
temps, ce grain de sable est unique et ne ressemble à aucun autre.
Dire cela, c’est mal connaître les grains de sable, c’est tout
simplement faire preuve d’ignorance, de manque de finesse d’esprit
et d’intelligence du monde.
Il en est de même de
la personne, du geste ou de la
vie de la ménagère. On peut considérer que sa vie est banale et
elle l’est, mais en quoi est-ce dérangeant ou méprisable. Il y a
des milliards d’années que le soleil – unique dans le système
qui nous inclut, mais vraisemblablement pas au-delà – va et vient,
se couche, se lève avec une franche et insistante monotonie, il n’y
a rien de plus banal et pourtant. Mais dans le fond, il vaudrait
mieux que je parle de la chanson.
Il
serait bien temps, tu n’en as encore rien dit grand-chose, Marco
Valdo M.I. mon ami et moi, j’aimerais quand même en savoir
quelque chose.
Eh
bien, comme tu pouvais t’y attendre avec pareille introduction,
c’est l’histoire d’une ménagère racontée par elle-même. Une
dame qui se lamente du sort qui lui est fait, de la monotonie des
jours et de ce sentiment d’esclavage qu’elle finit par
ressentir ; en quoi, elle n’a pas tort si alors que ce travail
est indispensable et rythme le quotidien – exactement comme le
soleil dans sa grande banalité, autour
d’elle, le monde et ses proches n’en reconnaissent pas
l’essentielle unicité et méprisent à la fois, ces tâches et
celle qui les accomplit. On comprend qu’elle râle, mais à mon
sens, à tort et c’est ce qui la rend malheureuse.
Comment
ça, à tort. N’a-t-elle pas raison dans sa dénonciation et dans
sa protestation ?, dit Lucien l’âne interloqué.
Bien
sûr qu’elle a raison de protester, de râler, de tempêter et de
revendiquer ; là n’est pas la question ; surtout,
si on la maintient dans ce rôle, si on la réduit à ces travaux
qu’en même temps, on méprise et on se refuse à faire. Elle a
raison, mille fois raison ; enfin,
pas uniquement. Il y a aussi qu’elle a tort d’adopter, d’accepter
le point de
vue des autres sur
ce qu’elle fait et
sur ce qu’elle est.
Je résume :
elle est
tout ce qu’elle fait en plus d’être elle-même ; il n’y a
pas de raison qu’elle en démorde. Il en va des tâches simples de
la même manière que du soleil, elles sont banales, répétitives et
cependant, sans elles, le monde ne pourrait pas exister ; elles
sont le sel de la vie bien plus que les exploits guerriers ou
sportifs, dont certains se glorifient. Ainsi,
dit-elle : Je lave, repasse, lave.
Oh,
Marco Valdo M.I., on pourrait discuter de ça encore longtemps. Mais,
laissons pour cette fois, il nous faut retourner – nous aussi –
à notre tâche, minuscule et répétitive et tisser, tisser, Marco
Valdo M.I. mon ami, comme les canuts et comme les fileuses le linceul
de ce vieux monde banal, assoiffé de gloriole, pénible et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Je
lave repasse lave,
Je suis membre de la famille,
Je lave
repasse lave,
Même le chien me ressemble.
Je lave repasse
lave,
J'accroche un bras à la poignée.
Fer à
repasser, ordures, lessive :
Dès
demain matin, je vais au syndicat.
Tu as tenté le coup :
Deux euros de l’heure !
Moitié salaire pour un seul
bras.
Anticalcaire, cuisine, lessive.
« Le pavement,
je te le laisse trempé » (!)
Tu peux t'acheter le
torchon. Deux euros de l’heure !
Fatiguée d'être
seulement ce que je fais.
Je lave
repasse lave,
J’arrête ma
douleur avec une pastille.
Je lave repasse lave,
Je
fais tomber la vaisselle.
Je lave repasse lave.
Une
personne qui me conseille
Fer
à repasser, ordures, lessive :
Dès
demain matin, je vais au syndicat.
Tu as tenté le coup :
Deux euros de l’heure !
Moitié salaire pour un seul
bras.
Anticalcaire, cuisine, lessive.
« Le pavement,
je te le laisse trempé » (!)
Tu peux t'acheter le
torchon. Deux euros de l’heure !
Fatiguée d'être
seulement ce que je fais.
Je
lave repasse lave,
Je suis membre de la famille,
Je lave repasse lave,
Même le chien me ressemble.
Je lave repasse lave,
J'accroche un bras à la poignée.
Je suis membre de la famille,
Je lave repasse lave,
Même le chien me ressemble.
Je lave repasse lave,
J'accroche un bras à la poignée.
Fer à
repasser, ordures, lessive :
Dès demain matin, je vais au syndicat.
Tu as tenté le coup : Deux euros de l’heure !
Moitié salaire pour un seul bras.
Anticalcaire, cuisine, lessive.
« Le pavement, je te le laisse trempé » (!)
Tu peux t'acheter le torchon. Deux euros de l’heure !
Fatiguée d'être seulement ce que je fais.
Dès demain matin, je vais au syndicat.
Tu as tenté le coup : Deux euros de l’heure !
Moitié salaire pour un seul bras.
Anticalcaire, cuisine, lessive.
« Le pavement, je te le laisse trempé » (!)
Tu peux t'acheter le torchon. Deux euros de l’heure !
Fatiguée d'être seulement ce que je fais.
Je lave
repasse lave,
J’arrête ma douleur avec une pastille.
Je lave repasse lave,
Je fais tomber la vaisselle.
Je lave repasse lave.
Une personne qui me conseille
J’arrête ma douleur avec une pastille.
Je lave repasse lave,
Je fais tomber la vaisselle.
Je lave repasse lave.
Une personne qui me conseille
Fer à repasser, ordures, lessive :
Dès demain matin, je vais au syndicat.
Tu as tenté le coup : Deux euros de l’heure !
Moitié salaire pour un seul bras.
Anticalcaire, cuisine, lessive.
« Le pavement, je te le laisse trempé » (!)
Tu peux t'acheter le torchon. Deux euros de l’heure !
Fatiguée d'être seulement ce que je fais.