LA SONATE AU CLAIR DE LUNE
Version
française – LA SONATE AU CLAIR DE LUNE – Marco Valdo M.I. –
2019
d’après
la traduction italienne de Nicola Crocetti
d’une
chanson
grecque
– Η
σονάτα του σεληνοφώτος (I
sonata tou selinofotos)
– Yannis
Ritsos / Γιάννης Ρίτσος – 1956
Paroles :
Yannis
Ritsos
/Γιάννης
Ρίτσος
Musique : Ludwig van Beethoven – Klaviersonate nr. 14 op. 27 nr. 2 (1° movimento)
Interprètes :
1. Moni Ovadia
2. Christos Tsagas / Χρήστος Τσάγκας
3. Melina Mercouri / Μελίνα Μερκούρη
4. Karyofyllia Karabeti / Καρυοφυλλιά Καραμπέτη
Musique : Ludwig van Beethoven – Klaviersonate nr. 14 op. 27 nr. 2 (1° movimento)
Interprètes :
1. Moni Ovadia
2. Christos Tsagas / Χρήστος Τσάγκας
3. Melina Mercouri / Μελίνα Μερκούρη
4. Karyofyllia Karabeti / Καρυοφυλλιά Καραμπέτη
L’événement
heureux et singulier proposé par la première interprétation (celle
de Moni
Ovadia) est
la rencontre de trois mondes qui se pénètrent mutuellement, des
événements et des temps difficiles : la Grèce, où est née
la civilisation occidentale ;
l’Europe centrale, un monde nouveau, s’étendant
vers des horizons toujours changeants ; la culture juive, un
monde ancien, moins visible, mais qui a traversé l’histoire
avec des processus d’inculturation troublés et fertiles. Sont
témoins de
ces mondes :
Ritsos, un
poète
qui, plus que d’autres, a fusionné sans interruption l’engagement
politique et social avec l’art ; Beethoven, qui a traduit en
musique les attentes et l’enthousiasme de la modernité ; Moni
Ovadia, herméneute,
à
l’écoute
attentive de nos préoccupations.
Ce
sont trois mondes qui en se croisant présentent des perspectives et
des hésitations élaborées au fil des siècles et des millénaires.
Ritsos
publie ce texte en 1956, quatre ans après son retour des « camps
de rééducation » pour prisonniers politiques : Limnos en
1948, Makronissos en mai 1949 et Ai Stratis en 1952. Dans les années
qui suivirent son retour, Ritsos continua à s’impliquer
politiquement dans la gestion de l’Eda (Ενιαία Δημοκρατική
Αριστερά / United Democratic Left), une activité qui lui
aurait valu une autre période d’emprisonnement en 1967 sous la
dictature des colonels de Ghiaros, Leros et Samo.
Interprétations
Moni
Ovadia alterne dans ses récitations des passages du texte grec avec
la version en italien dans la traduction de Nicola Crocetti. La
chorégraphe Ornella Balestra, à qui le metteur en scène Moni
Ovadia a confié l’interprétation visuelle des sentiments de la
femme, contribue à lui conférer une expressivité accrue.
La
deuxième interprétation est celle de l’acteur Christos Tsagas,
une véritable star qui a joué les scènes du théâtre grec depuis
les années 60. Il a été metteur en scène de nombreuses pièces de
théâtre, acteur de cinéma et fondateur de la société à but non
lucratif Palkoseniko / Παλκοσένικο.
Dans
sa troisième représentation, Melina Mercouri fait revivre la Femme
en noir avec un portrait d’elle-même : une femme d’une grande
féminité qui n’a jamais trahi son rôle d’intellectuelle
engagée, surtout dans les années sombres. Actrice jusqu’au bout
des ongles, elle est restée, même de nombreuses années après sa
mort, de l’avis de l’écrivain, l’âme la plus authentique de
la Grèce de la seconde moitié du XXe siècle dans sa plénitude
féminine et artistique.
Karyofyllia
Karabeti est l’interprète de la quatrième représentation.
Actrice de théâtre, de cinéma et de télévision, ses
rôles en tant que protagoniste des tragédies grecques classiques
pour le Théâtre national grec / Εθνικό Θέατρο Θέατρο
et à l’étranger sont remarquables.
(Une
soirée
de printemps. Une
grande
pièce d’une maison ancienne. Une vieille femme, vêtue de noir,
parle à un jeune homme. Ils n’ont pas allumé la lumière. Un
implacable clair de lune entre par les deux fenêtres. La
Femme en noir a publié deux ou trois recueils intéressants de vers
d’inspiration religieuse. Ainsi, la Femme en noir s’adresse aux
plus jeunes :)
Laisse-moi
venir avec toi. Quelle lune ce soir !
La
lune est bonne – on ne verra pas
que
mes cheveux se sont
blanchis. La lune
Me
les fera blonds à nouveau. Tu
ne t’en apercevras pas.
Laisse-moi
venir avec toi.
Avec
la lune, s’agrandissent
les ombres de la maison,
des
mains invisibles tirent les rideaux,
un
doigt pâle écrit sur la poussière du
piano.
Paroles
oubliées – Je ne veux pas les entendre. Tais-toi.
Laisse-moi
venir avec toi.
un
peu plus loin, jusqu’à
la clôture de la
briqueterie,
Là
où la route tourne et apparaît
la
ville d’air et de
béton, calcinée par le clair de lune,
si
indifférent et immatériel,
si
positive, presque
métaphysique,
que
tu peux enfin croire que tu
existes et que tu
n’existes pas.
que
tu n’as
jamais existé, n’a jamais existé
le temps avec sa
ruine.
Laisse-moi
venir avec toi.
Nous
nous assiérons
un peu sur le muret,
sur la colline,
À
nous rafraîchir dans le vent du printemps
Peut-être
même imaginerons-nous
voler,
Car
souvent, et aussi
maintenant, j’entends le bruissement de mon peignoir
Qui
semble être le battement de deux ailes fortes,
Et
quand tu t’enfermes
dans ce bruit du
vol,
Tu
sens se tendre ton cou, tes hanches, ta
chair,
et
si serrés dans
les muscles du vent bleu,
dans
les nerfs forts de la hauteur,
Peu
importe que tu partes ou que tu reviennes.
Peu
importe que mes cheveux soient blancs,
(Ce
n’est pas ça
qui me peine –
ce qui me peine
C’est
que mon cœur ne
blanchit pas
aussi).
Laisse-moi
venir avec toi.
Je
sais, chacun va
seul vers l’amour,
Seul
vers la gloire et la mort.
Je
sais. Je l’ai éprouvé.
Ça ne sert à rien.
Laisse-moi
venir avec toi.
Cette
maison est habitée par des fantômes, elle me chasse.
Je
veux dire, elle a beaucoup vieilli, les clous
se détachent,
Les
tableaux sont comme s’ils plongeaient dans le vide,
Les
revêtements
tombent en silence
Comme
le chapeau du mort tombe du portemanteau
dans le couloir sombre.
Comme
le gant de laine usé tombe des genoux du silence.
Ou
comme un rayon de
lune tombe sur un
vieux fauteuil
éventré.
Un
temps, il était
jeune, lui aussi
– pas la photo que
tu regardes avec une telle défiance,
Je
parle du fauteuil,
si reposant ; tu pouvais
t’y asseoir
pendant des heures.
Et
les yeux fermés, rêver
à ton gré
– Une
plage humide, lisse, luisante de la
lune,
Plus
luisante que mes
vieilles chaussures vernies que
chaque mois, je
porte au cireur
ici au coin de la rue,
Ou
que la voile d’un
pêcheur qui se perd à l’horizon, bercée
par son propre souffle,
Une
voile triangulaire comme un mouchoir plié en
travers
Comme
s’il n’avait rien à enfermer
ou à contenir.
Ou
à saluer en s’agitant. J’ai toujours
eu la manie des
mouchoirs,
Pas
pour y tenir plié
quelque chose,
Certaines
graines de fleurs ou de camomille récoltées dans les champs vers
le soir,
Ni
pour y faire quatre nœuds, comme font
les ouvriers sur le chantier de l’autre
côté de la rue,
Ou
pour m’essuyer les yeux
– j’ai conservé une bonne vue ;
Je
n’ai jamais porté de
lunettes. Une simple extravagance, les mouchoirs.
À
présent, je les plie en quatre, en
huit, en seize.
Pour
occuper mes doigts. Et maintenant, je me
souviens
Que
je rythmais ainsi
la musique quand j’allais
au Conservatoire.
Avec
mon tablier bleu,
mon col blanc et
deux tresses blondes.
– Huit,
seize, trente-deux, soixante-quatre –
Donnant
la main à une amie – je pêche toutes
les fleurs pâles et roses,
(Pardonnez
ces mots – une
mauvaise habitude) – trente-deux,
soixante-quatre – et
mes parents mettaient
De
grands espoirs dans
mon talent musical. Donc, je disais, le fauteuil
–
Éventré
– vous pouvez voir ses
ressorts rouillés, la paille –
J’ai
pensé l’emmener chez le tapissier
à côté,
Mais
qui a le temps, la volonté, l’argent –
que chose réparer
en premier ?
–
Je
pensais jeter un drap dessus,
j’ai eu peur
De
ce drap blanc au clair de lune. Ici, se
sont assis
Des
gens qui ont rêvé de grands rêves, comme toi et comme moi, du
reste
Et
qui maintenant
reposent sous
terre sans que la pluie ou la lune ne les dérangent.
Laisse-moi
venir avec toi.
Nous
nous arrêterons un peu en haut de l’escalier en marbre de
Saint-Nicolas,
Puis
tu descendras et
je reviendrai
sur mes pas
Avec
sur mon flanc gauche, la
chaleur du contact aléatoire avec votre veste,
Quelques
cadres de
lumière dans les petites fenêtres du
quartier
Et
ce souffle très blanc de la lune qui semble un grand cortège
de cygnes d’argent.
Je
n’ai pas peur de cette phrase, parce que moi
Nombre
de nuits de printemps, un
temps, j’ai parlé avec Dieu, qui m’est
apparu
Dans
le brouillard et la gloire d’un clair de
lune comme celui-ci,
Et
je lui ai sacrifié, beaucoup de jeunes
gens, plus beaux
que toi,
M’évaporant
ainsi, blanche et
inaccessible dans ma flamme blanche, dans la blancheur de la lumière
de la lune,
Brûlée
par les regards voraces des hommes et l’extase incertaine des
adolescents,
Assiégée
par de beaux corps bronzés,
Par
des membres forts entraînés à la nage,
à la rame, à
l’athlétisme, au football (que je faisais semblant de ne pas voir)
Des
fronts, des
lèvres, des
cous, des
genoux, des doigts et des yeux
Des
thorax, des bras,
des cuisses (et
véritablement, je
ne les voyais pas)
– Tu
sais, parfois,
admirant, tu
oublies ce que tu admires, tu admires seulement
–
Mon
Dieu, quels yeux pleins d’étoiles, et je m’élevais
dans une apothéose d’étoiles refusées
Car,
si assiégée, à
l’intérieur comme à l’extérieur,
Je
n’avais d’autre voie que le haut ou le
bas. – Non,
ça ne suffit pas.
Laisse-moi
venir avec toi.
Je
sais qu’il est tard maintenant. Laisse-moi,
Car
pendant tant d’années, de jours et de nuits, et de midis
violets, je suis restée seule,
Irréductible,
immaculée et seule,
Jusque
dans mon lit nuptial
immaculée et
seule,
Écrivant
des vers glorieux sur les genoux de Dieu,
Des
vers qui, je t’assure,
resteront gravés sur un marbre irréprochable.
Outre
ma vie et la tienne, bien au-delà. Ça ne
suffit pas.
Laisse-moi
venir avec toi.
Ça
ne va plus pour moi, cette maison
Je
ne supporte pas de la
porter sur mes épaules.
Tu
dois toujours t’occuper de ceci et de cela,
À
étayer le mur avec le grand buffet
À
étayer le buffet
avec l’ancienne table sculptée
À
étayer la table
avec les chaises
À
étayer les
chaises avec les mains
À
étayer la poutre
qui a cédé
avec l’épaule.
Et
le piano, fermé
comme un cercueil noir. Tu n’oses
pas l’ouvrir.
Toujours
s’occuper de ceci et de cela, pour
qu’il ne tombe pas, pour
que tu
ne tombes pas. Je
n’en peux plus.
Laisse-moi
venir avec toi.
Cette
maison, avec tous ses morts, ne veut pas entendre
parler de mourir.
Elle
s’obstine à vivre avec ses morts
À
vivre de ses morts.
À
vivre de la certitude de sa mort
Jusqu’à
mettre ses morts sur des étagères
et des lits branlants.
Laisse-moi
venir avec toi.
Ici,
si doucement que
je marche dans le souffle de la soirée,
En
pantoufles ou pieds nus,
Quelque
chose craque – un
verre ou un miroir craque,
On
entend des pas –
ce ne sont pas les miens.
Dehors,
dans la rue, il se peut qu’on
n’entende pas
ces pas –
La
repentance, dit-on,
porte des chaussures en bois.
Et
si tu vas regarder
dans tel ou tel miroir,
Derrière
la poussière et les fissures,
Tu
vois plus terne et brisé ton
visage,
Ton
visage : tu
ne demandas rien d’autre à la vie que de le
garder intact et pur.
Le
bord du verre reluit
au clair de lune
Comme
un rasoir circulaire – comment
le porter à tes
lèvres,
Alors
que tu as si soif ? – Comment ?
– Tu vois ?
Je
veux encore des similitudes, – Il
m’est resté
ça,
Ça
me rassure encore qu’il
y en a.
Laisse-moi
venir avec toi.
Parfois,
au soir, j’ai
la sensation
Que
devant les
fenêtres passe le forain
avec sa vieille
ourse pesante.
Avec
son poil plein de
bardanes et
d’épines
Soulevant
la poussière dans la rue du quartier,
Une
nue solitaire de poussière qui incendie
le crépuscule,
Et
les enfants sont rentrés
chez eux pour le dîner
et on ne les laisse plus sortir
Même
si, derrière les
murs, ils devinent les pas de la
vieille ourse.
Et
l’ourse fatiguée marche dans la sagesse
de sa solitude, sans où ni
pourquoi -
Elle
s’est appesantie,
elle n’arrive
plus à danser
sur ses pattes arrière.
Elle
n’arrive plus à porter son bonnet
en dentelles pour divertir les enfants, les
facétieux, les exigeants,
Elle
veut juste se
coucher à terre
Les
laissant piétiner son ventre, jouant ainsi son dernier
jeu,
Montrant
son immense force de renoncement,
Sa
désobéissance aux intérêts des autres, aux anneaux
dans ses lèvres,
à la nécessité de ses dents,
Sa
désobéissance à la douleur et à la vie
Avec
l’alliance sûre
de la mort – même
d’une mort lente –
Son
extrême désobéissance à la mort avec la
continuité et la
notion de la vie
Qui
par la connaissance et l’action l’élève
au-dessus de son esclavage.
Mais
qui peut jouer à ce jeu jusqu’à la fin ?
Et
l’ourse se
relève et marche
Obéissant
à sa dentelle, à
ses anneaux,
à ses dents,
Souriant
avec des lèvres lacérées
aux pièces de monnaie des enfants
beaux et innocents
(Beaux
précisément parce qu’innocents)
Et
remerciant. Car
les ours vieillis
Ont
seulement appris à dire :
merci, merci.
Laissez-moi
venir avec toi.
Cette
maison m’étouffe. Même
la cuisine
Est
comme le fond de la mer. Les cafetières
suspendues brillent
Comme
de grands yeux
ronds de poissons
incroyables,
Les
plats se meuvent lents
comme des méduses,
Des
algues et des coquillages se prennent dans mes cheveux
– je n’arrive plus à les arracher,
Je
n’arrive pas
remonter à la surface.
Le
vase tombe de ma main sans bruit
– je m’effondre.
Je
vois monter, monter les bulles de ma
respiration,
Je
tente de me distraire en les regardant.
Et
je me demande ce que dirait quelqu’un
qui d’en haut
voyait ces
bulles,
Peut-être
que quelqu’un
se noie, ou qu’un
plongeur explore les abysses ?
Et
vraiment, il n’est pas rare que je trouve
là, au fond, là où je me noie,
Des
coraux et des
perles et des trésors de navires
naufragés,
Rencontres
imprévisibles d’hier, d’aujourd’hui et du
futur,
Presque
une confirmation de l’éternité,
Un
certain soulagement, un certain sourire d’immortalité, comme on
dit,
Un
bonheur, une ivresse, jusqu’à
un enthousiasme,
Des
coraux, des
perles, des
saphirs ;
Seulement
que je n’arrive pas à les donner
– non, je les
donne ;
Seulement,
je ne sais pas s’ils peuvent les prendre
– de toute façon, moi
je les donne.
Laisse-moi
venir avec toi.
Un
moment, je prends mon
gilet.
Avec
ce temps instable, quoi qu’il en soit,
nous devons nous protéger.
Il
y a de l’humidité le soir, et la lune
Ne
penses-tu pas vraiment qu’elle
renforce la fraîcheur ?
Laisse-moi
boutonner ta
chemise – quel solide
poitrail tu
as,
– quelle
lune forte – le fauteuil, dis-je – et
quand je soulève la tasse de la table
Il
reste dessous
un trou de silence, je mets ma main là tout de suite.
Pour
ne pas regarder en dedans
– je remets la
tasse à sa place ;
Même
la lune est un trou dans le crâne du monde
– ne regarde pas en dedans,
Il
y a une force magnétique qui attire – ne
regarde pas, ne regardez
pas,
Faites
attention à ce que je vous
dis – vous tombez
dedans. Ce beau vertige,
Léger
– attention, tu tombes
–
C’est
un puits de marbre la lune,
Des
ombres, des ailes silencieuses, des voix mystérieuses s’y
meuvent – Ne
les entendez-vous pas ?
Profonde
la chute,
Profonde
la remontée,
L’aérienne
statue tend ses ailes ouvertes,
Profonde
l’implacable charité du silence –
Lumières
tremblotantes sur l’autre rive, tandis que tu oscilles sur ta
propre fronde,
Le
souffle de l’océan. Très léger, très beau
Ce
vertige – fais attention de tomber.
Ne me regarde pas,
Ma
place est l’oscillation – le vertige
stupéfiant. Ainsi
chaque nuit
J’ai
un peu mal à la tête, certains
vertiges. Souvent
je fais un saut à
la pharmacie en face
pour de l’aspirine,
Parfois
je n’en ai pas envie et je reste avec le
mal de tête.
À
entendre le bruit sourd
des tuyaux d’eau dans les
murs,
Ou
je me fais un café, toujours distraite.
Et
oublieuse, j’en
fais deux – qui
boira le second ?
–
C’est
ridicule, je le
laisse sur la tablette
à refroidir,
Ou
des fois je bois
aussi l’autre,
regardant par la fenêtre l’enseigne
verte de la pharmacie.
Comme
la lumière
verte d’un
train silencieux qui vient me chercher
Avec
mes mouchoirs, mes chaussures déformées,
mon sac noir, mes poèmes,
sans
bagage – pour
en faire quoi ?
Laisse-moi
venir avec toi.
Ah,
tu t’en vas ?
Bonne nuit. Non, je ne viens pas. Bonne nuit.
Sous
peu, je sors. Merci.
Car enfin, il faudra
Sortir
de cette maison en ruines.
Je
dois voir un peu de la ville – non, pas la lune -
La
ville aux mains calleuses, la ville du salaire quotidien,
La
ville qui jure par le pain et le poing,
La
ville qui nous tient tous sur ses épaules
Avec
notre mesquinité,
nos méchancetés,
nos inimitiés,
Avec
nos ambitions, notre ignorance et la
vieillesse,
Je
dois entendre les grands pas de la ville,
pour
ne plus entendre
tes pas.
Ni
les pas de Dieu, ni mes pas.
Bonne nuit.
(La
pièce s’assombrit. On voit qu’un nuage a recouvert la lune.
Soudain, comme si quelqu’un avait augmenté le volume de la radio
du bar voisin, on entend une phrase musicale bien connue. Alors, je
me suis rendu compte que toute cette scène avait été accompagnée
à faible volume par la Sonate au Clair de Lune, seulement la
première partie. Maintenant, le Jeune homme doit descendre avec un
sourire ironique, peut-être de pitié, sur ses lèvres bien
dessinées, et avec un sentiment de libération. Quand il sera arrivé
à Saint Nicolas, avant de descendre l’escalier de marbre, il rira
– un rire fort et irréfrénable. Son rire ne sera pas du tout
inconvenant sous la lune. Peut-être la seule chose inconvenante,
c’est qu’il n’y a rien d’inconvenant. Peu après, le Jeune se
taira, deviendra sérieux et dira : « La décadence d’une
époque ». Ainsi, désormais à fait tranquille, il va
déboutonner à nouveau sa chemise et suivre son propre chemin. Quant
à la Femme en noir, je ne sais pas si elle est finalement sortie de
la maison. Le clair de lune brille toujours. Et dans les coins de la
pièce, les ombres sont serrées par une contrition incontrôlable,
presque une colère, autant pour la vie que pour la confession
inutile. Vous l’entendez ? La radio continue.)
Athènes,
juin 1956