Dangereux
pour l’Ordre de l’État
Chanson
léviane – Dangereux pour l’Ordre de l’État – Marco Valdo
M.I. – 2019
Lettre
de prison 11
20
avril 1934
Carlo Levi Autoportrait 1930 |
Dialogue
maïeutique
Il
est toujours inquiétant, Lucien l’âne mon ami, d’entendre
parler de « danger pour l’Ordre de l’État » ou de
choses du genre.
J’imagine,
Marco Valdo M.I., mais pourquoi, selon toi ?
Eh
bien, répond Marco Valdo M.I., il y a au moins deux raisons à ça.
La première, c’est le mot « danger » lui-même et
l’absence de précision qu’il recèle ; ce danger est
insaisissable et peut dès lors prendre de multiples formes. À quoi
peut ressembler le danger à ce stade, nul ne le sait et on ne pense
pas nécessairement au pire. Cependant, le pire existe aussi. L’autre
raison se trouve dans l’usage qu’évoque l’expression « Ordre
de l’État », deux mots qui, mis ensemble, forment un
terrible épouvantail et leur réalisation tient de la catastrophe.
Mis
ensemble ?, interroge Lucien l’âne, Qu’est-ce à dire ?
Faut-il comprendre que séparément, ils n’ont pas la même
tonalité, la même dangerosité ?
Exactement,
Lucien l’âne mon ami. L’ordre, par exemple, sur ma table de
travail, dans ma cuisine ou dans mes chaussettes n’est pas chose
inutile et il n’y a là rien que de rassurant. En fait, à dose
modérée, ni l’ordre, ni le désordre ne posent le moindre
problème et ne peuvent susciter de grands embarras. Mais par contre,
à forte dose, ils sont sources d’inquiétude ; à forte dose
ou à grande taille. De plus, élevés en principes, ce sont
carrément des épouvantails. Et en gros, c’est pareil pour l’État
qui n’a trop rien d’effrayant en soi, qui au contraire, peut –
doit- être fort utile et au service de tous. Le malheur vient quand
on en fait des entités distinctes et dominatrices, qu’on en fait
des principes cardinaux et qu’on y met une majuscule Majuscule. De
l’État, humble serviteur de la maison commune, on passe à
l’État-Maître de Maison, d’une maison accaparée par d’aucuns,
lequel État, confondu avec la Nation, a besoin de l’Ordre pour
satisfaire son égo.
Sans
doute, Marco Valdo M.I. mon ami, mais j’ai l’impression que tu
t’es éloigné de la chanson et que tu as inversé le sens du
danger.
En
effet, Lucien l’âne mon ami, j’ai inversé le sens du danger,
mais j’ai suivi en cela la sagesse enfantine qui dit : « C’est
celui qui le dit, qui l’est ». En fait, sous un régime
fasciste, l’État et l’Ordre constituent le vrai danger pour les
gens et pour se disculper, ils jettent l’accusation sur leurs
opposants, sur quiconque ose dévoiler leur turpitude. Quant au
reste, la chanson fait état des souhaits du prisonnier néophyte –
voir sa famille, avoir du linge et développe à nouveau
l’argumentaire face aux accusations et aux menaces que l’autorité
porte contre lui. Il s’efforce d’écarter les imputations les
plus graves et avec une ironie à peine voilée, tout en sachant
qu’il n’y a que très peu de chances que son discours soit
compris et surtout, entendu :
« Moi,
un homme dangereux
Pour
l’ordre de l’État,
Curieuse
opinion que celle-là.
Un
peintre est précieux,
Une
richesse pour l’État. »
Je le
pense aussi, dit Lucien l’âne. Au jeu du chat et de la souris, le
prisonnier tient le rôle de la souris ; il est entièrement
soumis au caprice du chat. Cela dit, tissons le linceul de ce monde
trouble, autoritaire, impératif, emprisonneur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
J’aimerais
vous voir.
J’y
pense tous les soirs.
Est-ce
permis ?
Si
le règlement l’interdit,
C’est
sans espoir.
Il
ne fait plus si froid
Dans
ces cellules grises.
Il
faut d’autres chaussettes, d’autres chemises.
Si
la chose est permise,
Si
on ne l’interdit pas.
Heureux
d’avoir enfin pu
Vous
voir. J’aurais voulu
Vous
dire tant de choses
Et
me voilà morose
De
ne l’avoir pu.
Mandat
de comparution,
Commission
de Relégation,
Ordre,
contrordre, hésitation ?
Vont-ils
me renvoyer à la maison ?
Espérons.
Comment
me disculper
De
délits imaginaires,
De
fautes inexistantes,
D’accusations
fantaisistes,
De
racontars infondés.
Moi,
un homme dangereux
Pour
l’ordre de l’État,
Curieuse
opinion que celle-là.
Un
peintre est précieux,
Une
richesse pour l’État.