jeudi 28 janvier 2016

J'AI ALLUMÉ UNE ALLUMETTE

J'AI ALLUMÉ UNE ALLUMETTE


Version française – J'AI ALLUMÉ UNE ALLUMETTE – Marco Valdo M.I. – 2016
d'après la version italienne de Riccardo Venturi d'une
Chanson suisse (Schwyzertüütsch) – I han es Zündhölzli azündt Mani Matter 1967.




MANI MATTER 2016










L'avocat Hans-Peter Matter, plus connu (mais seulement en Suisse) comme Mani Matter, a écrit et a chanté toutes les chansons de sa malheureusement pas longue vie (mourut à seulement 36 ans dans un accident routier, à Kilchberg le 24 novembre 1972) dans l'infernal « Schwyzertüütsch », plus éloigné de l'allemand littéraire que l'italien ne l'est du suédois. 

Pas seulement, puisque ses chansons étaient destinées exclusivement à un public local, il les écrivait dans le dialecte bernois, le « Bärndüütsch », sans le moins du monde se soucier de les publier au moins avec une traduction en Hochdeutsch. Et ainsi, pour pouvoir traduire quelques-unes de ses chansons ici , on a dû faire des pirouettes et étudier au moins un peu le Schwyzertüütsch dans le plus classique des manuels, le célèbre « Grüezi mitenand » d'Arthur Baur qui, je crois, a dû passer enter les mains de n'importe qui a été en Suisse pour un temps.

Pour chercher, au moins, à faire rejaillir de ces textes incompréhensibles (même aux Allemands) l'authentique originalité de ce jeune qui, de jour, était un des avocats les plus réputés du Canton Berne et, de nuit, se transformait en auteur-compositeur anarchiste, anticlérical, sarcastique et sulfureux comme jamais la Suisse n'en avait eu, et n'en aura probablement jamais plus. Certes c'étaient des années un peu spéciales, lorsque même la Suisse pouvait aimer quelqu'un qui chantait les choses que chantaient Mani Matter ; ou peut-être, qui sait, il arrive aux mauvaises consciences de vouloir se laver un peu la conscience. En somme, après des années, nous tentons d'essayer de traduire l'une ou l'autre chanson de Mani Matter.

Comme celle-ci, peut-être sa plus célèbre, qui est
un bon exemple de son style basé sur le paradoxe plus total. Mani Matter était effectivement un gros fumeur (comme tous les Suisses), et un beau jour, quand on allume l'éternelle cigarette avec une allumette, le bout se détache de la tête et tombe sur le tapis. Commence ici un infernal « effet boule de neige » (semblable à ce qui arriva une nuit à celui qui écrit, et sur lequel Lello Vitello écrivit une mémorable chanson qui à Mani Matter, peut-être, n'aurait pas déplu) : l'allumette met le feu au tapis, le tapis met le feu à la maison, la maison met le feu d'abord à tout le quartier et ensuite à toute la ville, les gens pètent les plombs dans els rues en cherchant le coupable, armés de fusil, éclate la révolte, il se tire même sur les conseillers fédéraux et intervient ONU avec les chars « pour sauver la paix même en Suisse » pendant que le conflit envahit le monde entier et l'humanité disparaît. Heureusement, Mani Matter avait ramassé l'allumette sur le tapis.

Entretemps, tant que durera cette irrésistible chanson, le même Mani Matter a le temps d'exercer sa mission : tourner en bourrique la Suisse et lui foutre des baffes pour neutraliser lesquelles il faudrait deux choses : ou l'enfermer, ou l'aimer. Cependant, quand il mourut dans ce maudit accident, je crois que ce fut une de ces rares occasions dans l'histoire où les Suisses se sont vraiment émus. Il restera par la force des choses un mythe local, Mani Matter. Il n'écrivait et ni ne chantait en anglais, et même pas en allemand normal. Cependant nous autres a le vice de vouloir comprendre quelque chose, pour ensuite l'offrir à qui le veut. [RV]



Deux mots à propos de la Marquise.


Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce commentaire de Riccardo Venturi, si ce n'est qu'il me paraît que la chanson de Mani Matter me rappelle furieusement une chanson française plus ancienne, mais qu'il a dû connaître, car elle est une des plus célèbres du répertoire et bien qu'elle date d'avant la guerre – celle de 40-45, elle est toujours connue et fredonnée aujourd'hui et par un grand nombre de personnes. Il me semble que le procédé est globalement le même : une série d'événements catastrophiques s'enchaînent en cascade. J'imagine que tu as déjà deviné de quelle chanson il s'agit…

Évidemment et moi aussi, dit Lucien l'âne, j'ai cette même impression et puisque tu ne l'as pas dit, je suis persuadé que tu penses à une chanson où un incendie finit par ravager un château et tuer la jument grise.

C'est bien à celle-là que je pensais, même si son fonctionnement est inverse et des plus paradoxaux : c'est l'événement le plus grave (la ruine et le suicide du marquis) qui finit par déclencher l'incident – somme toute – mineur de la mort de la jument, en passant par l'incendie du château tout entier. Cette chanson-là, c'est « Tout va très bien, Madame la Marquise »; quand on l'écoute comme ça, elle est en apparence frivole ; mais elle était elle aussi porteuse d'une ironie de Cassandre et annonçait à sa manière la mécanique effroyable qui quelques années plus tard allait broyer plusieurs dizaines de millions d'humains.


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.


J'ai allumé une allumette
Pour allumer ma cigarette.
Et le feu a pris
Le feu mangeait déjà le bois et puis
Alors, le bout s'est détaché
Et est tombé sur le tapis.
Il s'en est fallu de peu qu'il soit troué.

Ah, on ne sait ce qui peut arriver
Quand on ne fait pas attention,
Et pour une envie de fumer,
Un tapis, c'est un peu coûteux,
Ensuite, du tapis, le feu
Brûlera toute la maison,
Et puis, allez savoir ce qui pourrait se passer.

L'incendie s'étendra à tout le quartier,
Et alors viendront les pompiers
Qui se mettront au milieu de la rue
Avec le tuyau de l'autopompe
Vont lancer de l'eau
Et ça ne servira à rien
Et toute la ville brûlera, sans défense

Et les gens vont sortir de chez eux
Angoissés pour leurs affaires,
Pensant que quelqu'un devait avoir mis le feu,
Et tous, furieux, prenant leur fusil militaire
S'en vont hurlant : Qui est le coupable ?
Tout le pays en tumulte,
Tirera même sur les députés à la tribune.
L'ONU enverra de suite
Et même ceux du camp opposé
Pour sauver la paix en Suisse,
Des soldats avec leurs blindés
Et tout, cela s'étendra
À l'Europe et à l'Afrique.
Ce sera une guerre mondiale et l'humanité disparaîtra.

J'ai allumé une allumette
Et le feu a pris
Pour allumer ma cigarette.
Le feu mangeait déjà le bois et puis
Alors, le bout s'est détaché
Et est tombé sur le tapis.
Heureusement, je l'ai ramassé.