mardi 24 novembre 2020

FRONTIÈRES

FRONTIÈRES


Version française – FRONTIÈRES – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson catalane – FronteresSopa de Cabra2020

 

Fronteres – FRONTIÈRES est une chanson sur les réfugiés qui, contrairement à l’argent, se heurtent aux frontières et n’ont pas de paradis.



Esili – Exilés

Tableau du peintre catalan

Josep Franch Clapers – 1939




Dialogue Maïeutique

 

Comme on le sait, Lucien l’âne mon ami, une fois n’est pas coutume.


Euh, oui, dit Lucien l’âne, mais ensuite ?


Une fois n’est pas coutume, répond Marco Valdo M.I., car je vais te raconter l’histoire du peintre, auteur d’une série de tableaux qui pourraient illustrer cette chanson. En l’occurrence, celui qui a retenu mon attention est une peinture intitulée Exili (en français, comme tu t’en doutes : Exilés), qui a été peint en quelque sorte « à chaud », par un jeune homme de 24 ans, exilé républicain espagnol, un Catalan, en 1939 : Josep Franch Clapers.


Ah, dit Lucien l’âne, parler d’un tableau, d’un peintre catalan, de la République espagnole à propos d’une une chanson, voilà qui est curieux, dit Lucien l’âne. Moi aussi, je suis curieux d’entendre ton histoire.


D’abord, reprend Marco Valdo M.I., si je prends la peine de la raconter, cette histoire, c’est qu’elle rappelle à certains égards l’histoire de Joseph, le héros malgré lui de « Dachau Express ». Première coïncidence, ce peintre catalan s’appelle aussi Joseph : pour le Sarde : Giuseppe ; pour le Catalan, Josep – cependant, si Giuseppe, qui finit sa vie en Belgique, se faisait appeler en français, Joseph ; Josep, qui a fini sa vie en France, se faisait appeler par son nom francisé, Franc. Donc, tous les eux ont en commun d’avoir été – jeunes gens – pris dans la tourmente qui emportait le monde autour d’eux et d’entrer en résistance (« Ora e sempre : Resitenza ! » – Lo avrai camerata Kesselring) face aux fascismes. En l’occurrence, Franc jusque-là menait une vie tranquille ; venu de son village où son père était maréchal-ferrant, il étudiait le dessin et la peinture, les beaux-arts et entamait une carrière de peintre. C’était en 1936 à Barcelone. Alors, éclate soudain la rébellion militaire d’une partie de l’armée espagnole et la guerre civile s’ensuit, qui emporte Franc – et des millions d’autres – dans les combats contre les franquistes. En 1939, trahie, démantelée de l’intérieur, la République s’effondre et comme nombre de républicains, Franc fuit en France et se retrouve dans un camp de réfugiés. Il va témoigner de ces moments de la Retirada et des camps français en peintre : multipliant les techniques : dessin, croquis, esquisse, fusain, lavis, peintures. Une autre coïncidence entre ces deux destins : comme Joseph, le déserteur, qui fut remis aux fascistes italiens :


« Mineur, résistant, mais étranger

Mineur, résistant, étranger et dénoncé

Pieds et poings liés remis

Aux fascistes de Mussolini.

Pieds et poings liés remis

Aux fascistes de Mussolini. »

(Le Fils ressuscité)


Franc fut remis aux Allemands. Il parvient à échapper aux nazis et comme Joseph, il entre dans la clandestinité quelque part en Provence. Comme Joseph également, la guerre terminée, il épousera une Française, la fille de ceux qui l’avaient accueilli. À la fin de sa vie (il décède en 2005), il offre une part importante de son œuvre à la Catalogne.


Voilà toute une aventure, dit Lucien l’âne, et bien des coïncidences entre ces destinées contrariées. Mais, dis-moi, la chanson, que raconte-t-elle ?


Bonne question, en effet, Lucien l’âne mon ami, on l’aurait presque oubliée, cette chanson. Mais rassure-toi, il n’en est rien. Donc, elle raconte l’exil, les exilés, vus par ceux qui restent ; un peu ce qui est arrivé à beaucoup d’Espagnols lors de la Retirada de 1939 ; mais dans ces transhumances humaines, s’il y en a toujours qui partent, il y en a toujours qui restent, qui espèrent que l’exilé pourra réussir son exil et qu’il pourra les aider. Disons que la chanson parle de tous les exils et de tous les exilés de tous les temps – et dès lors de ceux d’aujourd’hui qui frappent aux portes closes d’Europe et d’ailleurs et aussi, de ceux qui sont restés en arrière, qui ont voulu rester en arrière. Dans l’ensemble tout ça ressemble à la quadrature du cercle, un tourbillon infernal et une problématique forcément complexe qui ne peut se résoudre par le simple jeu des vases communicants. Quand même un dernier mot pour signaler que cette chanson est un dialogue entre celui – celle qui part et celui – celle qui reste ; ou l’inverse. Allez savoir !


Oui, dit Lucien l’âne, allez savoir ! Ce qui est certain, c’est que les exils se suivent et se ressemblent ; ce qui est certain aussi, c’est ce n’est pas près de cesser. Et qu’y pouvons-nous, sans doute pas grand-chose ; en parler un peu, c’est déjà quelque chose, une étincelle dans le magma du cerveau commun de l’humanité.


Essayons, interrompt Marco Valdo M.I., toutefois de nous conformer à la supplique que le doyen de la cathédrale Saint-Patrick de Dublin, probablement athée, l’ironique écrivain Jonathan Swift, fit inscrire, en 1745, sur sa tombe :


« Ubi sæva Indignatio

Ulterius

Cor lacerare nequit.

Abi Viator

Et imitare, si poteris,

Strenuum pro virili

Libertatis Vindicatorem. »


qu’on traduit en français :


« Ici repose la dépouille de Jonathan Swift, D.D., doyen de cette cathédrale, qui désormais n’aura plus le cœur déchiré par l’indignation farouche. Va ton chemin, voyageur, et imite si tu le peux l’homme qui défendit la liberté envers et contre tout. »


Allons, dit Lucien l’âne, il ne faut pas désespérer pour autant et tisser le linceul de ce vieux monde tristounet, exileur, massacreur, indigne et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Tous les chemins sont fermés

Et la nuit renaît, elle ne finit jamais.

Il y a tant de gens qui attendent

Et la pluie tombe sur leurs têtes.


Sous un ciel qui n’a pas de fin,

Ils vont demandant qui a la clé.

Reste avec moi, ne pars jamais !


Ils disent que les fleuves portent à la mer ;

Aujourd’hui, tous les cœurs se sont envolés !

Ils disent que nous devons atteindre la terre,

Mais les navires sont aussi arrêtés.


Sous un ciel qui grandit toujours,

Ils demandent s’ils arriveront un jour.

Ne me quitte pas, non ! Pourquoi s’en vont-ils ?

Reste , ne pars jamais !


La la la la la…


Sur la glace, qui se brise maintenant,

Nous nous demandons, si nous arriverons.

Reste ici avec moi : emmène-moi au ciel !

Ne me laisse pas seul, ne pars jamais !


La la la la la…


Toutes les lumières se sont éteintes

Et les gens viennent toujours là attendre.

Tous les chemins sont fermés :

Nous trouverons une façon d’y arriver !