lundi 14 décembre 2020

LA NEF DES FOUS ou LE BATEAU FOU

LA NEF DES FOUS ou LE BATEAU FOU



Version française – LA NEF DES FOUS ou LE BATEAU FOU Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson allemande – Das NarrenschiffReinhard Mey – 1998



NARRENSCHIFF

version approximative selon Bosch





Dialogue Maïeutique 

 



Mon cher ami Lucien l’âne, tu as certainement entendu parler de cette légendaire Nef des Fous, qui a surgi au milieu d’une Europe ballottée par les guerres de religion, car voici une chanson de Reinhard Mey qui porte le titre de La Nef Des Fous dans sa forme originelle allemande de Narrenschiff et aborde cette histoire à sa manière qui est bien différente des deux versions italiennes que nous avons déjà rencontrées : celle d’Ivan della Mea (1975) – La nave dei folli et celle de Gianluca Lalli (2015), également intitulée, La nave dei folli. Très différente d’abord par sa langue évidemment, je ne parle pas seulement de la langue allemande, mais de la manière particulière dont Reinhard Mey traite cette langue ; et puis, son titre qui la rapproche directement du Narrenschiff d’origine et des circonstances dans lesquelles l’original fut conçu, écrit et publié lors du carnaval de Bâle de 1494.


Bien sûr, dit Lucien l’âne, que j’en ai entendu parler et même, souvent, et même depuis longtemps. Si j’ai bonne mémoire, en effet, depuis au moins le Moyen Âge. Je voudrais te rassurer tout de suite et te dire que je ne la confondrai pas avec l’arche biblique, même si cette dernière est aussi, à bien des égards, un bateau fou – ce qui est une autre traduction possible de Narrenschiff. Tout comme on peut voir un Narrenschiff, une nef de fous dans le bateau d’Ulysse qui s’en alla lui aussi à la dérive. En fait, il me semble que toutes ces histoires délirantes sont des récits imaginaires, sans doute engendrés au cours de libations prolongées. Mais dis-moi, cette chanson-ci et sa nef des fous.


Donc, Lucien l’âne mon ami, sur le thème général de la nef des fous, en ayant parfaitement résumé et l’origine bacchique et les excroissances populaires, tu as fait comprendre combien ce Narrenschiff et tout ce qui tourne autour baignait dans le grand magma imaginaire de l’humaine nation. Cette nef des fous – y compris évidemment celle qui est portraiturée dans le tableau de Hieronymus Bosch – n’est rien d’autre que l’humanité elle-même ballottée au fil des temps et qui dans le meilleur des cas, tente de se donner un destin plus sûr.


Quand elle y pense, dit Lucien l’âne en riant, mais elle ne pense pas souvent ; la plupart du temps, elle croit et c’est là le fondement de sa folie et de ses délires.


Certes, répond Marco Valdo M.I., et ce n’est pas là son moindre défaut, mais passons. Ainsi, il y a eu autrefois un livre de Sebastian Brant avec ce titre de « Das Narrenschiff », en allemand, publié en 1494 par l’éditeur Johann Bergmann d'Olpe et la chose a son importance – durant le carnaval. Ce livre comporte 113 récits, cent treize narragonies ou histoires du pays des histoires, toutes empreintes d’une lourde morale peu encline à l’évolution, une dénonciation satirique des travers de la société et des vivants. Mais quand même, la nef avait pris la mer et depuis, elle n’a jamais vraiment abordé ; elle poursuit son périple. Elle a eu beaucoup de descendance et court encore les océans imaginaires.


Quid dès lors de la chanson de Reinhard Mey ?, demande Lucien l’âne.


Eh bien, dit Marco Valdo M.I., elle raconte comme on peut s’y attendre l’histoire d’un bateau fou, d’un bateau où non seulement le capitaine, mais tout l’équipage et les passagers sont soûls ou fous, mais dans tous les cas, hors d’état de comprendre ou d’agir face à la tempête qui s’amorce. Rien, ni personne ne pourra les sauver du récif sur lequel l’ondin, qui n’est autre que le génie des eaux, va les précipiter. C’est évidemment une parabole dont je laisse à chacun le soin de la décrypter à sa manière. L’écologiste y verra l’effondrement par la crise climatique, le malthusien y verra l’humanité s’écraser sous son propre poids démographique, etc. Je te laisse, par exemple, deviner ce qu’y trouvera un évangéliste, un musulman ou un nationaliste. Une dernière chose, sur le bateau, il n’y a pas de migrants. Eux sont sur d’autres bateaux, même si en définitive, ils sont victimes de la même folie qui, chacun son interprétation, mène les riches dans la Guerre de Cent Mille Ans qu’ils font aux pauvres par avidité, arrogance, stupidité et peur.



Je vois, dit Lucien l’âne. Je m’en vais la parcourir de mes deux yeux et de mes deux oreilles avec beaucoup d’attention. Maintenant, tissons le linceul de ce vieux monde fou, aussi fou qu’on peut l’être, maniaque, brutal, irraisonné, déraisonnable et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




Le mercure baisse, des signes annoncent la tempête,

Des ricanements et des cris stupides tombent de la passerelle

Et un grondement lourd sourd de la machine.

Il y a du tangage, il y a du roulis ; sur la mer agitée,

L’orchestre de la nef joue une musique endiablée ;

Un rire maniaque monte des latrines.

La cargaison est pourrie, les papiers sèment le doute,

Les pompes fuient et les cloisons se bloquent,

Les écoutilles béent, toutes les alarmes sonnent.

La mer frappe à hauteur d’homme dans la soute

Et les feux de Saint-Elme coiffent les mats,

Mais personne à bord ne peut interpréter ça.


Le timonier ment, le capitaine est n’est plus en état

Et le machiniste est plongé dans une léthargie sourde,

L’équipage n’est plus qu’un ramassis de gourdes,

Et pour envoyer des SOS, le radio est trop las.

L’ondin déchaîné mène la nef

Des fous en avant toute sur le récif.

Tout le monde fait le dos rond, reste passif.


À l’horizon, brillent les signes des temps

Bassesse, avidité et vanité.

Sur le pont, les nigauds et les gogos sont agités.

dans les eaux troublées, le requin joue des dents,

Emporte sa prise au sec, au-delà la barre

Sur le banc de sable de l’île au trésor

Les souteneurs, les trafiquants d’or,

Les rois des bordels, les patrons des bars,

Dans la lumière vive, chacun attend.

Dans cette république bananière, où même le président

A perdu sa montre et n’a aucune honte

À s’afficher avec des voleurs dans sa suite.


Le timonier ment, le capitaine est n’est plus en état

Et le machiniste est plongé dans une léthargie sourde,

L’équipage n’est plus qu’un ramassis de gourdes,

Et pour envoyer des SOS, le radio est trop las.

L’ondin déchaîné mène la nef

Des fous en avant toute sur le récif.

Tout le monde fait le dos rond, reste passif.


Là, tous les grands idéaux tombent à plat,

Et le grand rebelle pas fatigué se bat,

Servile et venimeux, il se transforme en gnome

Et bêlant, chante au vieux méchant homme de Rome

Ses chansons ; précisément : les temps changent.

Là, les jeunes sauvages sont obéissants, pieux et dociles,

Achetés, anesthésiés et sans ailes,

Et contre des griffes émoussées, leurs pattes échangent.

Là, sur le pont, de vieux vaniteux font les beaux

Avec des femmes trop jeunes pour leur peau ;

Elles nettoient leur visage et leur masque

Et réchauffent leur membre flasque.


Le timonier ment, le capitaine est n’est plus en état

Et le machiniste est plongé dans une léthargie sourde,

L’équipage n’est plus qu’un ramassis de gourdes,

Et pour envoyer des SOS, le radio est trop las.

L’ondin déchaîné mène la nef

Des fous en avant toute sur le récif.

Tout le monde fait le dos rond, reste passif.


Ils s’arment contre un ennemi, depuis longtemps là.

Déjà, il a la main sur ta gorge, il se trouve derrière toi.

À l’abri de la loi, il mélange les cartes en trichant

Tout le monde le voit, tout le monde regarde ailleurs,

Et le personnage louche sort de sa torpeur

Et deale tranquillement devant le jardin d’enfants.

Le guetteur crie du haut du mât : fin des temps en vue !

Mais ils ne l’entendent pas, ils sont comme pétrifiés.

Ils avancent comme des lemmings en hordes sans volonté.

C’est comme s’ils savaient tous la connaissance perdue

Ils ont tous conspiré pour la ruine et la décadence ;

Le feu follet est devenu leur ultime référence.


Le timonier ment, le capitaine est n’est plus en état

Et le machiniste est plongé dans une léthargie sourde,

L’équipage n’est plus qu’un ramassis de gourdes,

Et pour envoyer des SOS, le radio est trop las.

L’ondin déchaîné mène la nef

Des fous en avant toute sur le récif.

Tout le monde fait le dos rond, reste passif.

LA NEF DES FOUS (GL)

LA NEF DES FOUS (GL)

 

 

Version française – LA NEF DES FOUS  (GL) – Marco Valdo M.I. – 2020

Chanson italienne – La nave dei folliGianluca Lalli – 2015 (?)


LE BATEAU FOU

Adolphus Knelle – circa 1880




Das Narrenschiff – LA NAVE DEI FOLLI est un ouvrage satirique en allemand alsacien de Sebastian Brant, dont la première édition a été publiée en 1494 à Bâle.

La chanson de Gianluca Lalli est un hommage à l’anthropologue Michael FOUCAULT et s’inspire de l’essai « Histoire de la folie à l’époque classique » dans lequel l’anthropologue français fait allusion au mythe de la « Nef des Fous » en affirmant qu’il peut être basé sur des faits réels, puisque certaines époques antiques et médiévales mentionnent des navires avec une « cargaison insensée ». Selon ces récits, les imbéciles n’étaient pas autorisés à accoster dans les ports.


Moi, dit Lucien l’âne, je voudrais juste rappeler une autre chanson italienne intitulée pareillement La Nave dei folli ; une chanson qu’interprétait, c’était il y a bientôt presque un demi-siècle Ivan Della Mea et dont tu avais fait une belle version française sous le titre La Nef des Fous en 2009.



Éternels prisonniers de la mer,

Du vaisseau dont on ne s’évade pas,

Confié à la rivière aux mille bras

Et aux mille routes de la mer.


Venus de pays ignorés,

Nous ne savons pas où accoster.

Sans patrie, ni vérité,

Eau et sel pour purifier.


C’est la nef des fous

Où au rythme de l’onde, nous dansons,

Où la vague agitée nous berce, et où

À la mer, nous nous abandonnons.


La danse macabre des possédés

Sur les notes d’une vie insensée

Où la folie saine a exorcisé

Notre mort anticipée.


Tout autour, ces masques malitornes

Rient de nous et n’ont pas de visions.

Castrés et castrateurs forment

Un carnaval de figures de télévision.


Cet oiseau au cou excessif

Est la pensée au hurlement sinistre,

Au relent transgressif,

Persécutée depuis le Christ.


L’arbre sacré est inaccessible

À mi-chemin entre la proue et la poupe

Cette demande, cette requête impossible,

Ce tourment sans jamais de réponse.


Sous le vent, on déploie les voiles

Et par le soleil, on se laisse chauffer.

Nous purifions les blessures de nos âmes

Par les eaux et les étoiles.


Au-delà de la ligne invisible

Au turquoise contour,

Errent les âmes inquiètes

Dans cet absurde voyage sans retour.


Sur les mers depuis tant d’années,

Nous sommes les lépreux sans mémoire

Et de la folie exorcisée

Nous chantons la gloire.