mardi 7 avril 2020

Le Lapin fumé


Le Lapin fumé

Chanson française – Le Lapin fumé – Marco Valdo M.I. – 2020

ARLEQUIN AMOUREUX – 51

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.




Dialogue Maïeutique

Donc, Lucien l’âne mon ami, Matěj le déserteur avait – en plein milieu du chaos engendré par la bataille d’Austerlitz – une fois encore, déserté.

Eh, dit Lucien l’âne, c’est dans la nature même du déserteur de déserter.

Exactement, reprend Marco Valdo M.I., et il avait, pour ce faire, emprunté un chemin de traverse et après avoir pris du champ par rapport au champ de bataille, il s’était débarrassé de tout son fourniment et avait trouvé sous une meule (il fait chaud sous une meule) un lieu de repos et une excellente cachette. Il s’y était benoitement endormi sans trop se soucier du déroulement des graves événements militaires auxquels il était censé participer et apporter sa contribution. Il trouvait qu’il en avait fait assez et il avait dit « Qu’ils continuent sans moi ! » Par-devers lui, il pensait : ce sont là des affaires d’Empereur et il en a trois en lice là.

Hé, Marco Valdo M.I. mon ami, ce déserteur endormi va quand même bien se réveiller à un certain moment.

Précisément, Lucien l’âne mon ami, c’est le moment où commence cette chanson du « lapin fumé ». Matthias, telle une princesse au bois dormant, s’éveille et puis, voir la chanson qui dit tout ce qu’il faut savoir.

À savoir, Marco Valdo M.I. mon ami ?

À savoir que le déserteur a repris sa route vagabonde et qu’il évite à nouveau de se faire remarquer. Par ruisseaux et chemins forestiers, il traverse de colline en colline, le pays. Une fois encore, il retourne chez lui. Il s’arrête parfois dans une ferme et là, un moment à l’abri, il reprend force et se repose un peu de son errnce en coupant du bois pour le chauffage – je te rappelle qu’on est en décembre- ou en donnant un coup de main pour les travaux en cours. En échange de quoi, il bénéficie d’un toit, de repas et quand il s’en reva de pain et oh, merveille, d’un lapin, une lapin entier, tout un lapin fumé.

Quoi, dit Lucien l’âne, un lapin qui fume ?, je n’ai jamais vu ça.

Mais non, Lucien l’âne mon ami, pas un lapin qui fume, mais un lapin fumé comme un jambon, comme un poulet, comme un saumon, comme un hareng. Le lapin fumé se conserve fort bien et supporte dès lors le voyage vagabond dans la musette de Matěj. Par ailleurs, la chanson nous raconte que Matthias, alias Andrea, le marionnettiste, a perdu son petit théâtre et s’en trouve fort désemparé.

Enfin, dit Lucien l’âne, il a toujours un lapin fumé, c’est déjà quelque chose pour repartir dans la vie ; toi et moi, on n’a jamais eu ça. Tissons pourtant le linceul de ce vieux monde chaotique, bousculé, déboussolé et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


L’aube est là. Matthias s’éveille.
Matěj sent des élancements,
Matěj se tourne sur le flanc,
La paille craque, passe une abeille.

Matthias tâte sa tête avec tact
Palpe ses jambes, ses bras, son tronc :
Tout est intact.
Son ventre grogne, il se lève d’un bond.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Matěj, Andrea, orphelin de ses pantins,
Reprend les chemins de son destin :
Les grand-routes sont aux marchands,
Des itinéraires d’armées en mouvement.

Le fuyard prend par le travers des collines,
Longe les petits rus, les médiocres rivières ;
Déserteur, il se tient à l’écart, il chemine,
Il marche en biais vers son éternité entière.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Tout va bien Matthias, ce matin.
Je ne sais pas, vraiment, je l’ignore.
J’ai perdu ma hotte, tous mes pantins.
Il ne me reste que la vie encore.

Ris, chantonne, sois en gaîté.
On t’a promis du pain,
Peut-être même un lapin.
Un lapin ? Tout un lapin fumé.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

LA CHANSON DE BRESCI




LA CHANSON DE BRESCI


Version française – LA CHANSON DE BRESCI – Marco Valdo M.I. – 2020
Chanson italienne – La canzone di BresciGiuseppe Ciancabilla – 1901
Paroles : Giuseppe Ciancabilla
"L’Aurora », n° unico 29 luglio, anno III, 27.7.1901 Spring Valley
Musique
 : Va pensiero (Giuseppe Verdi)








Cette chanson, considérée jusqu’à présent comme anonyme et déjà publiée à plusieurs reprises avec la mention « extrait d’un recueil de chansons bilingue italien-espagnol sans couverture et avec l’indication manuscrite La Questione Sociale, Buenos Aires », a en fait été écrite par Giuseppe Ciancabilla, un anarchiste individualiste exilé aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, et publiée dans « L’Aurora », imprimé à Spring Valley, « numero unico 29 luglio » le 27 juillet 1901, où l’auteur suggère : Celui qui souhaite habiller ces vers en harmonie, peut l’adapter sur l’air du Premier Mai », la célèbre chanson de Pietro Gori elle-même chantée sur l’air de « Va Pensiero » du Nabucco de Verdi. Le texte publié jusqu’à présent répète une série de fautes d’impression flagrantes, dues à la première composition typographique hâtive et incertaine, qui rendent incompréhensible la signification de certaines strophes ».


Santo Catanuto/Giuseppe Schirone, « Il canto anarchico in Italia nell’Ottocento e nel Novecento », 2a ed. Zero in Condotta, 2009, p. 157

Juste un mot, dit Lucien l’âne, pour rappeler que Marco Valdo M.I. avait écrit une chanson à la mémoire de Gaetano Bresci ; elle s’intitulait : « GAETANO, GRACIÉ ET PENDU », où il rappelait ceci – le curieux suicide de Gaetano Bresci, c’est ce qu’on appelle sans doute dans les prisons et les préfectures d’Italie et d’ailleurs, le suicide d’État, une forme de suicide involontaire contre le gré du suicidé :


« Gaetano... Gaetano Bresci,
Qui tua un roi d'Italie
Cent ans après, plus de cent ans après,
Pas d'enquête, plus de dossier, pas d'explication
Dans sa cellule Gaetano gracié pendait.
C'est fou ce qu'on meurt en prison
Gracié, pour la forme
Gracié, battu à mort et pendu
Pour la bonne forme
aux barreaux de la cellule suspendu.
Suicidé,
contre son gré.
C'est fou ce qu'on meurt en prison.
Celui qui au grand jamais
ni pour rien au monde ne se suiciderait,
subitement, se suicide en prison. »



Ô chant de Bresci qui t’élève
Dans le plus pur ciel de l’idéal,
Ô chanson de Bresci, augurale
Qui nous parle la langue d’homme.

Ô chant de Bresci éclatant,
Parle, dit les mots forts,
Distille l’hymne volontaire et vibrant,
Musèle les honteux accents retors.

Et de la mer qui rugit puissante
Contre les rives de la triste petite île
Se libèrent les strophes de la lamentation,
Et se déployant, en l’air, elles s’en vont.

Les vents les portent sur leurs ailes
Avec une grande voix qui rugit :
Par les monts, par les plaines, par les grèves,
Monte au grand soleil le chant de Bresci.

J’étais calme et serein, j’étais dur ;
Dans mon esprit, le beau rêve rutile
D’une grande idée très pure :
Donner l’amour aux dolents, aux tristes.

En exiloh, la pénible remembrance
Des frères, une voix déchirante
Par l’air parvenue, implorante
Comme un cri d’angoisse et de souffrance.

C’étaient des visions pâles et tristes
D’enfants, de mères, de gens mourants ;
Vieux, jeunes, ardents,
Fleurs de beauté et de force.

Et ils furent vaincus, écrasés, fauchés
Par le plomb d’un infâme tyran :
Angoisse, tourment, ahanement,
Il leur faut subir tout et les atroces lâchetés.

J’ai recueilli, joyaux de pure douleur,
Les larmes et le sang de nos frères
Et au fond de mon cœur,
La résolution fleurit sévère.

Un jour, je suis revenu terminé,
Alors que ce triste roi exultait aux réjouissances,
Sur ce loup par le sang alléché,
Mon bras accomplit la vengeance.

Quand j’eus accompli le devoir sacré,
Entre des murs glacés, j’ai été enterré.
Sur moi en des tortures atroces, avec rage
Se sont acharnées les bêtes sauvages.

Ni affaibli, ni vaincu, ni dompté,
Car fier, mon esprit est resté
Et les bourreaux assassins du petit roi
De ma jeune vie ont désaccordé le pas.

Maintenant j’attends, maintenant j’attends
Impatient d’atteindre ma grande vengeance :
Ce n’est pas seulement mon esprit qui attend,
Ce n’est pas seulement mon cœur qui lance.

On est mille et mille aspirants
Au lavage suprême des déshonneurs ;
Ô frères, relevez le front maintenant,
Voici l’aube d’un jour meilleur !

O frères, frères, serrez
En un faisceau les hommes dispersés,
O frères, dont le pleur déjà étale
Le sourire d’un doux idéal.

C’est l’heure solennelle qui accélère
L’extermination des tristes pleutres,
Bras sûr, sûrs regards :
À chaque poitrine ennemie, un poignard !

Quand le jour de l’accomplissement exubérant
De la vengeance humaine viendra,
De sa tombe, Gaetano Bresci adressera,
Un solennel salut à tous les puissants.

Accourez tous, ô, mes frères
Au rocher où repose Bresci,
En ce jour de radieuse gloire
Où exulteront nos esprits ».

Voilà le chant de Bresci qui s’élève
La voix puissante du pleur
Qui s’épand de la triste petite île ;
Porté par le vent, il s’en va baigner les coeurs.

Ô vibrante chanson de Bresci,
Ta voix ne se répand pas en vain ;
Le jour que tu invoques n’est pas loin,
Ce grand jour des comptes, le voici !