Le Danseur de Nikowikwanda
Chanson
française – Le Danseur de Nikowikwanda – Marco Valdo M.I. – 2015
Tirée
d'une nouvelle d'Oskar
Panizza, intitulée « Une
Histoire de Nègre »,
dans la traduction française de Jean Bréjoux, La Différence, Paris
(1979)
Encore
une chanson inquiétante, mais où cette fois, le protagoniste est un
nègre.
Oui,
mais le nègre dans le noir
Lui
a coupé le cou
En
deux coups
De
rasoir…
De
fait, si le docteur, car c'est le même docteur qu'avec l'Indien, a
pensé une seconde, une seconde seulement, à Caussimon, il a dû
avoir peur, très peur.
Et
il aurait eu raison, car à la fin de l'entretien, le nègre – une
force de la nature, un géant – se jette sur lui et commence à
l'étrangler. Le docteur ne devra la vie sauve qu'à l'intervention
de deux infirmiers musclés, qui finiront par ligoter le forcené.
Mais cette partie de l'histoire n'est pas dans la chanson.
C'est
tout ce que tu as à dire de cette chanson ?, Marco Valdo M.I.
mon ami.Et d'abord, juste par curiosité, car j'aime bien penser aux
gens par leur nom, comment s'appelle ce nègre ?
D'abord,
pour satisfaire ta curiosité à propos des noms des gens, ce nègre
s'appelle Poppy. Cela est dit dans la chanson. Pour le reste, je vais
te répondre plus longuement. Ainsi
ici, après le drame de l'extermination des Indiens, voici celui de
la négritude. Le même docteur, le même auteur de l'histoire
d'origine : Oscar Panizza. Le drame de la négritude dont
parleront si bien Jacques
Roumain et
sa chanson Sales
Nègres (1945) [[48782]], qui est en somme une réplique de
celle-ci, mais d'une ampleur collective ou Léopold Sédar Senghor,
pour citer deux poètes noirs de langue française… Mais ici, c'est
le drame de la négritude vu à l'intérieur de l'être et
même, de l'intérieur de
l'être.
La destruction intime de l'homme (ou de la femme) noir(e) par la
négritude ; en fait, par le mépris dans lequel les tient le
« blanc », personnage
auquel ne s'identifie pas du tout Oskar Panizza (et
moi non plus, d'ailleurs).
Panizza ne fut pas pour rien médecin et psychiatre, cela s'entend.
Remarque
au passage qu'il est quasiment l'exact contemporain de Freud et donc,
comme psychiatre, il se trouve au moment où la psyché se place
progressivement au centre des préoccupations des spécialistes de la
santé mentale.
Hou
là, Marco Valdo M.I. mon ami, tu en as dit assez. J'ai un peu peur
que tu t'égares dans les méandres de l'histoire de la psychologie
des profondeurs. Reviens à la chanson… Viens-en au fait !
Au
fait justement, à l'époque, où il
situe ces deux récits, c'est-à-dire après la guerre
de 14-18, Panizza exerce sa profession de médecin dans le port de
Hambourg. À ce moment, avec la reprise des relations entre
les ex-belligérants, des troupes de spectacles exotiques
arrivent à Hambourg venant d'Afrique ou d'Amérique, cornaquées par
des entrepreneurs de spectacles, qui les exploitent en leur faisant
faire le tour des villes d'Allemagne et d'Europe. L'usage de
présenter des populations étranges et généralement, étrangères
avait été lancé au siècle précédent par l'Étazunien
Phineas
Taylor Barnum avec
sa troupe de Lilliputiens qu'il
trimbalait partout dans le monde ou presque.
À Hambourg, ces groupes arrivent par mer et souvent, ont le plus grand besoin
d'une aide médicale. Oskar Panizza s'empare de cette clientèle en
faisant un prix de gros au gérant de la troupe. Il soigne en masse.
Et c'est ainsi qu'il voit débarquer chez lui toutes sortes de
personnages exotiques. C'est aussi comme ça qu'il décèle les
ravages de la domination des Blancs et qu'il les dénonce au travers
de ces histoires. Ce que raconte Panizza s'est en fait fort
probablement déroulé dans son cabinet médical. Et dès lors, le
« Docteur » des chansons, c'est lui.
Quant
à l'Alcazar, tu le trouveras dans Les
Remparts de Varsovie, une chanson de Jacques Brel.
Et
bien alors, voyons cette chanson si bien inspirée et reprenons notre
tâche et tissons le linceul de ce vieux monde méprisant, abject,
destructeur et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Docteur,
hello, vous docteur ?
J'ai
une très importante consultation,
Vraiment
très importante communication.
Très
importante, très agréable, docteur.
Docteur,
vous avez bon cœur.
Je
pense, je présume,
Vous
n'allez pas me croire
Il faut me croire, bon docteur !
Il faut me croire, bon docteur !
Je
suis nègre, j'étais nègre.
Je
ne suis plus nègre, plus du tout.
Ce
nègre était noir, plus noir que beaucoup.
En
fait, c'était un vrai noir nègre.
Non
docteur, je ne suis pas malade,
Non,
je n'ai pas besoin d'argent
Je
suis danseur excentrique à Londres.
L'argent
est sale et l'or est puant.
Je
suis du Pays du Poivre sur la côte
Face
à la Mer Rouge, tout là-bas,
Le
meilleur danseur du village,
Du
village de Nikowikwanda.
Je
n'avais jamais regardé dans l'eau
Pour me voir en personne.
Pour me voir en personne.
Le
Grand Esprit interdit de regarder dans l'eau
Sa
propre personne.
J'étais
le meilleur de tous les danseurs
Mais
je ne savais pas que j'étais noir.
En
Europe, j'ai découvert mon malheur ;
À
Liverpool, dans un miroir.
Dans
la vitrine, devant moi, sur le trottoir,
J'ai
vu un être effrayant, un monstre noir.
Et
tous les soirs, à l'Alcazar,
Les
gens reluquent ce nègre noir.
Deux
mois, j'ai pensé même en dormant :
Poppy,
bon nègre du Soudan, Poppy, tu dois devenir blanc.
Alors,
alors, docteur, maintenant,
Docteur,
donnez-moi un certificat de blanc.
Je
suis du Pays du Poivre sur la côte
Face
à la Mer Rouge, tout là-bas,
Le
meilleur danseur du village,
Du
village de Nikowikwanda.