vendredi 6 mars 2015

Le Danseur de Nikowikwanda


Le Danseur de Nikowikwanda


Chanson française – Le Danseur de Nikowikwanda – Marco Valdo M.I. – 2015
Tirée d'une nouvelle d'Oskar Panizza, intitulée « Une Histoire de Nègre », dans la traduction française de Jean Bréjoux, La Différence, Paris (1979)




Et tous les soirs, à l'Alcazar,
Les gens reluquent ce nègre noir.


Encore une chanson inquiétante, mais où cette fois, le protagoniste est un nègre.

Ça me rappelle la chanson de Caussimon, Monsieur William [[39498]]:

Oui, mais le nègre dans le noir
Lui a coupé le cou
En deux coups
De rasoir…


De fait, si le docteur, car c'est le même docteur qu'avec l'Indien, a pensé une seconde, une seconde seulement, à Caussimon, il a dû avoir peur, très peur.


Et il aurait eu raison, car à la fin de l'entretien, le nègre – une force de la nature, un géant – se jette sur lui et commence à l'étrangler. Le docteur ne devra la vie sauve qu'à l'intervention de deux infirmiers musclés, qui finiront par ligoter le forcené. Mais cette partie de l'histoire n'est pas dans la chanson.

C'est tout ce que tu as à dire de cette chanson ?, Marco Valdo M.I. mon ami.Et d'abord, juste par curiosité, car j'aime bien penser aux gens par leur nom, comment s'appelle ce nègre ?


D'abord, pour satisfaire ta curiosité à propos des noms des gens, ce nègre s'appelle Poppy. Cela est dit dans la chanson. Pour le reste, je vais te répondre plus longuement. Ainsi ici, après le drame de l'extermination des Indiens, voici celui de la négritude. Le même docteur, le même auteur de l'histoire d'origine : Oscar Panizza. Le drame de la négritude dont parleront si bien Jacques Roumain et sa chanson Sales Nègres (1945) [[48782]], qui est en somme une réplique de celle-ci, mais d'une ampleur collective ou Léopold Sédar Senghor, pour citer deux poètes noirs de langue française… Mais ici, c'est le drame de la négritude vu à l'intérieur de l'être et même, de l'intérieur de l'être. La destruction intime de l'homme (ou de la femme) noir(e) par la négritude ; en fait, par le mépris dans lequel les tient le « blanc », personnage auquel ne s'identifie pas du tout Oskar Panizza (et moi non plus, d'ailleurs). Panizza ne fut pas pour rien médecin et psychiatre, cela s'entend. Remarque au passage qu'il est quasiment l'exact contemporain de Freud et donc, comme psychiatre, il se trouve au moment où la psyché se place progressivement au centre des préoccupations des spécialistes de la santé mentale.


Hou là, Marco Valdo M.I. mon ami, tu en as dit assez. J'ai un peu peur que tu t'égares dans les méandres de l'histoire de la psychologie des profondeurs. Reviens à la chanson… Viens-en au fait !


Au fait justement, à l'époque, où il situe ces deux récits, c'est-à-dire après la guerre de 14-18, Panizza exerce sa profession de médecin dans le port de Hambourg. À ce moment, avec la reprise des relations entre les ex-belligérants, des troupes de spectacles exotiques arrivent à Hambourg venant d'Afrique ou d'Amérique, cornaquées par des entrepreneurs de spectacles, qui les exploitent en leur faisant faire le tour des villes d'Allemagne et d'Europe. L'usage de présenter des populations étranges et généralement, étrangères avait été lancé au siècle précédent par l'Étazunien Phineas Taylor Barnum avec sa troupe de Lilliputiens qu'il trimbalait partout dans le monde ou presque. À Hambourg, ces groupes arrivent par mer et souvent, ont le plus grand besoin d'une aide médicale. Oskar Panizza s'empare de cette clientèle en faisant un prix de gros au gérant de la troupe. Il soigne en masse. Et c'est ainsi qu'il voit débarquer chez lui toutes sortes de personnages exotiques. C'est aussi comme ça qu'il décèle les ravages de la domination des Blancs et qu'il les dénonce au travers de ces histoires. Ce que raconte Panizza s'est en fait fort probablement déroulé dans son cabinet médical. Et dès lors, le « Docteur » des chansons, c'est lui.
Quant à l'Alcazar, tu le trouveras dans Les Remparts de Varsovie, une chanson de Jacques Brel. 


Et bien alors, voyons cette chanson si bien inspirée et reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde méprisant, abject, destructeur et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Docteur, hello, vous docteur ?
J'ai une très importante consultation,
Vraiment très importante communication.
Très importante, très agréable, docteur.

Docteur, vous avez bon cœur.
Je pense, je présume,
Vous n'allez pas me croire
Il faut me croire, bon docteur !

Je suis nègre, j'étais nègre.
Je ne suis plus nègre, plus du tout.
Ce nègre était noir, plus noir que beaucoup.
En fait, c'était un vrai noir nègre.

Non docteur, je ne suis pas malade,
Non, je n'ai pas besoin d'argent
Je suis danseur excentrique à Londres.
L'argent est sale et l'or est puant.

Je suis du Pays du Poivre sur la côte
Face à la Mer Rouge, tout là-bas,
Le meilleur danseur du village,
Du village de Nikowikwanda.

Je n'avais jamais regardé dans l'eau
Pour me voir en personne.
Le Grand Esprit interdit de regarder dans l'eau
Sa propre personne.

J'étais le meilleur de tous les danseurs
Mais je ne savais pas que j'étais noir.
En Europe, j'ai découvert mon malheur ;
À Liverpool, dans un miroir.

Dans la vitrine, devant moi, sur le trottoir,
J'ai vu un être effrayant, un monstre noir.
Et tous les soirs, à l'Alcazar,
Les gens reluquent ce nègre noir.

Deux mois, j'ai pensé même en dormant :
Poppy, bon nègre du Soudan, Poppy, tu dois devenir blanc.
Alors, alors, docteur, maintenant,
Docteur, donnez-moi un certificat de blanc.

Je suis du Pays du Poivre sur la côte
Face à la Mer Rouge, tout là-bas,
Le meilleur danseur du village,
Du village de Nikowikwanda.