mercredi 19 juin 2019

LA CHANSON DES NAVILES


 

LA CHANSON DES NAVILES


Version française – LA CHANSON DES NAVILES – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson milanaise – italienne (Lombaro Milanese) – La canzon del Navili Ivan Della Mea – 1974



Dialogue Maïeutique


Dis-moi, Marco Valdo M.I., d’abord, ce que sont ces naviles qui figurent dans le titre de la chanson et qui d’ailleurs, lui donnent – me semble-t-il tout son sens.


C’est bien ça, mon ami Lucien l’âne. Ils lui donnent tout son sens, mais à la vérité, que sont-ils ? Le navile, c’est d’abord une forme francisée par mes soins d’un mot italien : « naviglio », lui-même tiré du mot milanais ou lombard « naviri » ou « navili », tel qu’il apparaît dans le texte. Donc, « navile » en français.


Toute cette philologie est bien jolie, Marco Valdo M.I., mais concrètement, de quoi s’agit-il ?


Eh bien, Lucien l’âne mon ami, en bref, il s’agit de canaux sur lesquels circulent des « barconi », de grosses barques, des barges, semblables, mais pas aussi grosses que celles que fabriquait notre aïeul et ses frères sur les bords de la Meuse après la guerre du début du siècle dernier. J’ai dit en bref, car les navigli, c’est toue une histoire. Depuis l’Antiquité, les marchandises prenaient les eaux pour rejoindre Milan tant pour aller et venir à la mer qu’à la montagne. Elles se déplaçaient donc sur le Tessin.


Donc, si je comprends bien, dit Lucien l’âne, la canzone chante les canaux milanais.


D’une certaine manière, oui, mais, reprend Marco Valdo M.I., c’est surtout une complainte, celle d’un de ces anonymes qui font les travaux de bête de somme, de ceux qui – à longueur de vie – se coltinent des charges lourdes. En certains endroits, on les appelle chargeurs, porteurs ; en d’autres, on les nomme dockers.


Oh, s’écrie Lucien l’âne, ces gens-là sont nos frères à nous les ânes qui avons le même destin de porteurs à vie. Et que dit vraiment cet homme ?


Rien grand-chose, Lucien l’âne mon ami, il raconte sa vie. Dix heures par jour à charger le sable. Toute sa vie : un moment de jeunesse, un voyage de noces, un fils qui prend la relève, les maux de la vieillesse. À ce moment, s’éloigne l’espoir qu’il mettait dans son fils d’un meilleur sort : le jeune homme prend lui aussi place dans la grande aventure des naviles et pourra sans doute reprendre à son compte la même chanson. C’est ce qu’on appelle la reproduction sociale ; elle fonctionne à tous les niveaux. Rares sont ceux qui s’en échappent.


Oh, continue Lucien l’âne, c’est toujours encore comme ça dans cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux pauvres pour garder et accroître leur richesse, leur pouvoir, leur place dans l’échelle sociale et pour tirer le plus grand profit de l’exploitation des autres. Ce sont des vampires sociaux. Partout où on regarde, ce vieux monde se ressemble. Alors, tissons-lui son linceul à ce barbon jaloux, avare, avide, acide, cupide, stupide et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Quand j’étais jeune, je travaillais ici.
Sur le Navile, dix heures par jour.
Je me suis marié et mon voyage de noces
J’ai dû le faire sur cette fosse.


Certains disent que cette eau pourrie est belle.
Cette décharge publique d’égouts, d’ordures
Mais moi, quand la nuit tombe.
Je sens mon estomac qui se ferme.


Et maintenant que je suis vieux, malade,
Je dois encore vivre cette vie de chien
Et plein de colère, sur la péniche
Charger du sable sur le Tessin.


Certains disent que cette eau pourrie est belle.
Cette décharge publique d’égouts, d’ordures
Mais moi, quand la nuit tombe.
Je sens mon estomac se ferme.



Mais l’histoire n’est pas finie.
Sur le Navile, il y a une autre vie,
Du beau Tessin à la Porte tessinoise,
Jour après jour et mois après mois,


Il y a Giovanni, mon fils, mon espérance,
Déjà finie, déjà brûlée.
Certains disent qu’elle est belle cette eau pourrie empestée.
Certains disent qu’elle est belle, mais à moi, elle est rance.