mardi 15 mai 2018

La Danse de Lamoral


La Danse de Lamoral


Chanson française – La Danse de Lamoral – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 42

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – II, XVI)



Décidément, Marco Valdo M.I. mon ami, tu as le chic pour donner des titres équivoques à tes chansons et si je ne l’avais pas déjà vu écrit, j’aurais pensé que ta chanson évoquait je ne sais quelle cérémonie d’initiation civique ou religieuse ou une sorte d’audacieuse méthode avant-gardiste d’enseignement de la morale, une variante de « La danse du feu », par exemple. Je me serais imaginé une explication ethnologique ou une discipline ethnographique. Bref, j’aurais cherché quel aurait pu être l’objectif d’une chorégraphie, intitulée « La Danse de la Morale » ; j’essayais de me figurer toute une classe, toue une jeunesse entraînée dans des mouvements d’une grâce singulière. À moins encore qu’il ne s’agisse d’une sorte de description d’un personnage dénué de principes : « La danse de l’amoral », un ballet objectif ou réaliste, en quelque sorte. Ce n’est évidemment pas ça. J’ai cru un moment à une erreur de composition et que ce serait une chanson de marine : « La danse de l’amiral ». Mais non, je le vois à tes yeux rieurs, il ne s’agit pas de ça non plus. J’aurais vogué en plein mystère. J’y suis encore avec le titre effectif, vraiment, je ne suis pas plus avancé, car que peut bien être « La danse de Lamoral » ? Alors, dis-le moi ! Je brûle de le savoir.

En tout cas, Lucien l’âne mon ami, j’ai réussi à susciter ton intérêt. C’est déjà une bonne chose. Mais venons-en au fait et à ce Lamoral qui t’intrigue tant. Lamoral, comme beaucoup de gens l’ignorent, est un prénom français, fort peu usité, sauf dans certaines familles nobles et ce Lamoral de ma chanson n’est autre que le Comte d’Egmont, fort titré et dont la fonction principale est d’être le Gouverneur (stadthouder) de Flandre et d’Artois, soit la partie sud-ouest des Pays-Bas, qui sont encore à ce moment entièrement sous domination espagnole. Il est le plus haut représentant du roi dans ces régions. Son influence et sa réputation sont considérables. Il est également un de ceux qui se font traiter de « gueux », même s’ils sont encore « fidèles au roi ». C’est ce même Egmont à qui Beethoven consacrera une de ses œuvres (op.84) les plus célèbre, sous le titre « Egmont » ; mais de cela, on aura l’occasion de reparler quand on remémorera son exécution, le 8 juin 1568 – il y a exactement 450 ans ; une exécution que Till, tel une Cassandre moderne, annonce dans un diptyque énigmatique :

« Quel est le plus rouge ? Le vin qui entre au gosier
Ou le sang qui coule du cou tranché ? »

à Egmont, lequel ne semble pas vouloir le comprendre, ni même l’entendre. On ne connaîtra jamais la réponse que Lamoral d’Egmont aurait pu apporter à ces questions. Ainsi, ma chanson aurait pu aussi bien s’intituler « L’annonce faite à Egmont ».

Oui, dit Lucien l’âne, c’est une chanson dramatique et de cette mort d’Egmont, on en reparlera certainement. En attendant, il nous faut continuer notre tâche et tisser, tisser encore le linceul de ce vieux monde sanguinaire, dramatique et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Lamoral lui-même, Lamoral
Prince de Gavre, comte d’Egmont
S’en revient au pas de son cheval
De souper avec l’abbé de Saint-Bavon.

Soudain, une voix dans la nuit
Parle des lendemains.
Un homme marche à côté de lui,
Une lanterne à la main.

Egmont grogne : « Que veux-tu ?
Laisse-moi, va-t’en, malotru ! »
« Je cherche un homme, j’éclaire ton chemin
Pour que demain soit certain. »

« Quand même, dit Till, écoute mon avis ! »
« Cette lanterne est un fanal
Qui d’ici, éclaire dedans l’Escurial. »
« Peu me chault ta lanterne, l’ami. »

Et Till prend le cheval au mors,
Il tient la bête qui rue fort.
« Sur ton cheval, Lamoral, tu danses ;
Sur ton col, Egmont, ta tête pense. 

Egmont, homme sans défiance,
Le roi espagnol en sa démence
Veut laisser intact ton corps
Et s’assurer de ta tête de mort.

« Du fouet, méchant ratiocineur ! ».
« Les cendres sur ma poitrine encor
Disent qu’Egmont, comte et seigneur,
Seul peut sauver les Pays du Nord. »

Le fouet s’élève, Till cavale
Loin des coups furieux de Lamoral.
« Mange des lanternes, écoute la nuit,
Fais ce qu’elle dit, sauve les Pays. »

Un jour d’été, le soleil rit.
Lamoral arrête son cheval au Cochon bigarré,
Une auberge tenue par Musekine, la gentille souris.
Egmont crie « À boire ! », dressé sur ses étriers.

C’est Till le serveur, c’est Till qui vient
Avec à la main, un plein flacon de vin.
« Quel est le plus rouge ? Le vin qui entre au gosier
Ou le sang qui coule du cou tranché ? »