dimanche 25 août 2019

TOURNEZ LA CARTE

TOURNEZ LA CARTE




Version françaiseTOURNEZ LA CARTE – Marco Valdo M.I.2019, augmentée de deux autres versions CONCETTA et ARLEQUIN.
Chanson italienne – Volta la cartaFabrizio De André – 1978
Texte et musique : Fabrizio De André et Massimo Bubola






Dialogue Maïeutique


Ici, Lucien l’âne mon ami, je vais d’abord te poser une devinette à propos de ces comptines, car sous la chanson de De André, se cachent des comptines populaires plus anciennes. Voici la devinette : qu’évoquent pour toi – qui est familier des arcanes les plus secrets – la carte, la mort, la guerre le vilain bêcheur, le valet de cœur, l’amoureux.


Oh, dit Lucien l’âne, c’est une devinette bien simple. C’est le tarot.


Eh bien exactement, cette comptine, c’est un tarot. Mais, dit Marco Valdo M.I., un tarot divinatoire évidemment, comme en avait fait fabriqué un le premier de la lignée des Visconti-Sforza, prolongeant ainsi l’existence d’un jeu milanais du siècle précédent (sans doute le XIVe). La comptine doit être lue – dans toutes les versions – comme une séance de tirage de cartes, destinée à prédire l’avenir. Comme ici, il y a trois versions et que celle de Fabrizio De André porte le titre de « TOURNEZ LA CARTE », j’ai donné un titre aux autres versions pour m’y retrouver. Il y a donc trois versions : TOURNEZ LA CARTE (Angiolina) ; CONCETTA et ARLEQUIN. Cela dit, tu connais mon goût pour les comptines et pour Arlequin. J’ai d’ailleurs commencé une série (actuellement inachevée) de chansons dont le principal personnage est Arlequin, conçues sous la forme de comptines où la ritournelle est d’ailleurs tirée d’une comptine enfantine du répertoire des enfants :


« Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle. »


Je m’en souviens très bien, Marco Valdo M.I. mon ami, elle commençait à Marengo et présentait notamment, « L’Amoureuse d’Arlequin ». J’attends d’ailleurs la suite avec une certaine impatience. Mais, je t’en prie, poursuis.


Donc, Lucien l’âne, on a ici trois versions d’une même comptine italienne – en italien, on dit filastrocca ; j’insiste sur le « ici », car il en existe forcément d’autres ; par exemple, la version de Caterina Bueno – La donnina che semina il grano [No alla guerra], très proche de CONCETTA. Sur le fond, toutes évoquent la guerre, les soldats, la mort. J’ajouterais volontiers que souvent les cartes sont sollicitées quand il s’agit de connaître le destin de celui qui part à la guerre, même si tous savent que cartes ou pas, on revient de là que si on le doit ou pour mieux dire encore – car il n’est pas de destin écrit par avance – si on le peut. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils se donnent de l’espoir avec les cartes, mais les cartes – si belles et si futées soient-elles, ne peuvent rien contre le hasard, seul guide de la destinée. Évidemment, derrière tout ça, court l’angoisse et la superstition qui en découle. Enfin, pour ce qui est de mes versions, elles se démarquent quelque peu de la version italienne dont elles sont chacune respectivement issue. Il y a par exemple, certaine allusion à une certaine Annie, bien connue de Serge Gainsbourg – La chanson s’intitule naturellement « Les sucettes » et c’est, à sa façon, une comptine, mais comme toutes les comptines, elles a au moins un double sens.


« Tournez la page : voici les sucettes à l’anis,
Elles sont si bonnes les sucettes d’Annie. »




Oui, j’imagine, Marco Valdo M.I., que les soldats aussi ; surtout, si on lit « Tournez la page » au second degré ; autrement dit, la page est tournée, la guerre est finie. Enfin, je conclus ainsi, car on n’en finirait plus avec cette comptine. Quant à nous, cartes ou pas cartes, nous poursuivons notre tâche et nous tissons le linceul de ce vieux monde superstitieux, croyant, crédule et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Une femme sème le grain.
Tournez la carte, on voit le vilain ;
Le vilain qui bêche la terre.
Tournez la carte, arrive la guerre ;
Plus de soldats pour la guerre,
Tous ont fui les pieds à l’air.


En chaussures bleues, marche Angiolina
Le carabinier est amoureux,
Tournez la carte : il n’est plus là.
Le carabinier est amoureux,
Tournez la carte : il n’est plus là.


Un enfant escalade la grille,
Il vole des plumes et des cerises.
Jetez des pierres, il n’a pas peur.
Tournez la carte : c’est le valet de cœur,
Le valet de cœur est un feu de paille ;
Tournez la carte : le coq s’éraille.


À six heures du matin, Angiolina
Tresse ses cheveux de bouts de bois.
Elle tourne un collier de noyaux de pêche
Trois fois entre ses doigts.
Elle tourne un collier de noyaux de pêche
Trois fois entre ses doigts.


Ma mère a un moulin et un fils bonhomme,
Elle tartine son nez de tarte aux pommes,
Ma mère et le moulin tournent en riant.
Tournez la carte, un pilote blanc,
Pilote blanc en uniforme noir,
Sourire d’athlète, chapeau de renard.


Assise dans la cuisine, Angiolina pleure
Et mange de la salade de mûres.
Un garçon étrange met un disque
Qui tourne vite en parlant d’amour ;
Le garçon étrange est un disque ;
Il tourne, tourne et parle d’amour.


Madameadorée a perdu six filles
Dans les bars du port et ses tortilles.
Madameadorée voit son chat qui meurt.
Tournez la carte et payez votre dû,
Payez le dû avec des pleurs
Pleins de photos de rêves perdus.


Angiolina lit les nouvelles du front,
S’habille en mariée, chante la victoire,
Elle appelle ses souvenirs par leur nom,
Tournez la carte : c’est la gloire,
Elle appelle ses souvenirs par leur nom,
Tournez la carte : c’est la gloire.


CONCETTA


La petite dame sème le grain.
Tournez la carte : on voit le vilain,
Le vilain bêche la terre.
Tournez la carte : c’est la guerre,
La guerre avec tous ces soldats.
Tournez la carte : les malades sont là,
Les malades avec toutes leurs douleurs.
Tournez la carte et voici le docteur.
Le médecin soigne les douleurs.
Tournez la carte : voilà Concetta,
Concetta court et s’en va.
Tournez la carte : voilà Lucia,
Lucia fait quelques pas.
Tournez la carte : le coq est là,
Et le coq donne le la.
Tournez la carte : voici la mort,
La mort pour tous les humains.
Tournez la carte : on ne voit plus rien !


ARLEQUIN


La petite dame sème le lin
Tournez la page : voici un bambin.
L’enfant joue par terre
Tournez la page : c’est la guerre,
La guerre avec tous ces soldats.
Tournez la page : les malades sont là,
Les malades avec toutes leurs douleurs.
Tournez la page : voilà le docteur,
Le médecin qui passe entre les lits
Tournez la page : voici les sucettes à l’anis,
Elles sont si bonnes les sucettes d’Annie.
Tournez la page : voilà les pavés ;
Les pavés sur le chemin empilés.
Tournez la page : voilà Lucia ;
Lucia dans sa robe de lin
Tournez la page : voici Arlequin ;
Arlequin marche sur les mains.
Tournez la page : le coq est là,
Et le coq donne le la.
Tournez la page : voici les portes d’airain,
Par les portes passent les humains.
Tournez la page et il n’y a plus rien !