lundi 6 avril 2015

LE CACHET (OU CHANSON DES CHÔMEURS)

LE CACHET (OU CHANSON DES CHÔMEURS)



Version française – LE CACHET (OU CHANSON DES CHÔMEURS) – Marco Valdo M.I. – 2015
d'après la version en italien de Riccardo Venturi d'une
Chanson allemande – Stempellied (oder Lied der Arbeitslosen) – Robert Gilbert1929

Paroles de David Weber, pseudonyme de Robert Gilbert, nom d'artiste de Robert David Winterfeld (1899-1978), compositeur, auteur, chanteur et acteur allemand.
Musique de Hanns EislerInterprétation Ernst Busch



Tu irais pointer
Ta misère ne s'effacerait pas.





Une chanson très célèbre, « légère » à la manière de Gilbert, mais suprême description et synthèse des effets de la crise de 1929 en Allemagne, certainement pas moins dévastatrice qu'aux USA, alors comme aujourd'hui terre d'origine de la crise. (Mais, dit Lucien l'âne, est-ce vraiment une crise ou le cours normal de la Guerre de Cent Mille Ans ?)

Et alors comme aujourd'hui les causes identiques, détaillées et synthétisées en particulier par l'économiste américain John Kenneth Galbraith (1908-2006) : mauvaise distribution du revenu ; mauvaise structure et mauvaise gestion des entreprises industrielles et des financières ; mauvaise structure du système bancaire ; excès de prêts à caractère spéculatif ; poursuite compulsive de l'équilibre budgétaire et diabolisation des interventions d'État, vues comme des altérations du « marché libre ».

On en vient à se demander comment il est possible que soit répété aujourd'hui le même scénario d'il y a presque 100 ans… Je ne suis pas un économiste, au contraire, je n'y comprends presque rien à l'économie (Oh, dit Lucien l'âne, mais les économistes non plus n'y comprennent rien… À preuve les immenses et perpétuels cafouillages que les « judicieux conseils » d'experts entraînent depuis si longtemps dans le monde ; ils disent tout et n'importe quoi et passent leur temps à se contredire ; s'il y a bien quelque part une trahison des clercs, c'est celle des économistes...), mais je risque une hypothèse : que soit la Guerre des 10.000 ans que la minorité de riches et puissants a toujours faite, fait et continuera à faire au détriment de la multitude des pauvres et des appauvris ?



Désolé d'être ainsi intervenu dans le cours de ta traduction, mais je n'ai pas pu m'en empêcher… Et toi, Marco Valdo M.I. mon ami, comme il s'agit d'une « chanson des chômeurs », tu es particulièrement bien placé pour donner une version française de cette chanson allemande, d'il y a presque un siècle. Car… car, si j'ai bonne souvenance, tu as écrit quelques chansons sur le chômage, les chômeurs et la façon dont ils sont traités… Toutes présentes sur ce site et de mémoire, je peux même te les citer …



En effet, j'écrivais des chansons sur les chômeurs, le chômage… du temps où j'étais moi-même chômeur. Mais assez parlé de moi et j'ai deux-trois choses à te dire concernant cette chanson de Robert Gilbert. Je ne dirai rien sur le fond, car comme tu l'as rappelé, j'en ai assez dit. Je veux simplement parler de la chanson elle-même et spécialement, des difficultés de compréhension et de traduction qu'a rencontrées le vrai traducteur, qu'est notre ami Venturi. Comme souvent, j'avais regardé le texte de Gilbert quand il fut inséré dans les Chansons contre la Guerre et vu ma connaissance très relative de l'allemand, j'avais reporté à plus tard une version française. Et si je l'ai faite aujourd'hui, cette version, c'est précisément à cause de Riccardo Venturi et de sa note de traducteur, où il dit toute la difficulté de la chose en raison du fait que la chanson n'est pas en allemand, disons standard, mais en berlinois – langue pratiquée notamment par Robert Gilbert, mais aussi Kurt Tucholsky, par exemple.J'ajouterais du berlinois d'il y a presque cent ans. Et le berlinois, à ce que j'ai pu voir, serait à l'allemand « standard », ce que le bruxellois serait au français ou le ouest-flandrien ou le limbourgeois à l'Algemeen Beschaafd Nederlands, c'est-à-dire au néerlandais « standard ». On y trouve des mots pour le moins « déformés » (si on considère la forme « standard » comme la norme), on y découvre des tournures de phrase « inhabituelles », des références locales assez mystérieuses pour l'étranger, des « images » particulières… Bref, tous les attributs d'une langue pleine, entière et indépendante. On nage en pleine biologie… si d'aventure, on veut bien considérer les langues comme des êtres vivants, issues d'êtres vivants et les villes (régions, zones, etc) comme des îles ou des isolats… où peuvent naître et se développer des souches spécifiques. J'arrête là mon développement.


Il le faut bien, sinon tu vas encore me pondre tout un traité…


J'en reviens à cette version française, dont malgré sa filiation nettement revendiquée à la version italienne de Venturi, on peut voir qu'il y a des différences – disons d'interprétation – du texte de Gilbert. Et pourquoi ? Simplement parce que – mais c'est le cas dans toutes les langues que je connais, c'est-à-dire essentiellement le français – les mots ont la plupart du temps, plusieurs acceptions. D'autre part, un mot, comme tu le sais en entraîne un autre, un mot change le flux de mots qui le suit. Je m'explique : imaginons que la chanson soit une promenade. Un pas en entraîne un autre, au fil du cheminement, on rencontre un embranchement de deux ou plusieurs voies (chaque voie étant un sens du mot considéré) où il faut choisir le sens de la promenade. L'un dit par ici, l'autre par là et ensuite, la phrase s'en va d'un côté ou de l'autre… Bref, voilà ce que je voulais raconter. Par exemple, je le dis pour toi et Venturi (il n'y a pas de quoi ameuter le monde avec ça), qu'on sache un peu de quoi on parle, je songe à ces deux vers : « Keene Molle schmeißt der Olle,
wenn er dir so sieht. ».
Riccardo dit en italien : « Il vecchio non ti dà manco una birra se ti vede in questo stato. » et je dis en français : « Le vieux ne ressent aucune indulgence À te voir ainsi. ». Par ailleurs, je peux te garantir (pour ce que j'en sais...) la justesse des deux versions…


Merci bien, je ne comprends ni le berlinois, ni l'italien… Alors, je te fais confiance. Mais, trêve de discussions (je te rappelle que tu es attendu à souper), reprenons notre tâche et tissons le linceul de ce vieux monde de plus en plus anglicisé, étazunisé, rationalisé, enserré des réglementations, noyé de privilèges et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Pas un sou en poche
Seulement un timbre
À travers les trous de mes habits
On voit le soleil.
Alors, mon gars, tu es au milieu de nulle part
Sans rien du tout ;
Si soudain ton corps roule à terre,
Aucun œil ne coulera.
Le vieux ne ressent aucune indulgence
À te voir ainsi.
Oui ! La situation paraît bien compromise
Tu serais mieux à la morgue
Tu aurais encore du crédit.

Tu irais pointer
Ta misère ne s'effacerait pas.
Pauvre homme, qui t'a
De si haut rejeté ?
Sans travail, sans logement
Tu n'es rien, un néant.
Comme la mouche sur le carreau
On te chasse aussitôt.

Sans pognon le long de la Panke,
Pas d'accès à la banque
Et le bourgeois dit : merci !
Si tu t'approches de lui.

La société jette très vite
Les gens aux ordures…
Si tu as faim, arrête de manger
Prends un comprimé
Un qui pétille.Si tu le prends de haut,
On te marque d'un signe.
Alors, pauvre homme, on te
Balance d'en haut.
Et ainsi on voit tes os
Au travers de ta peau
Et tu es en quelques temps
Liquidé. Complètement.
Et tu t’achètes tes quatre planches
Avec le dernier Mark, qui te reste.
Car à une ombre légère
Convient une sobre bière.

Mais il ne faut pas que tu pousses
Aux anges
Tu iras à ton heure.
« Rationalisation charmante ! »
Chante la direction syndicale
Avec émotion aux funérailles.

Alors par précaution, mets-toi
Même là-haut, dans la file de pointage.
Car, même là-haut, voyageur sans bagage,

Tu seras repoussé en bas.