CHANSON POUR UN CONDAMNÉ À
PERPÈTE
Version française — CHANSON POUR UN CONDAMNÉ À PERPÈTE — Marco Valdo M.I. — 2022
Chanson italienne — Canzone per un ergastolano — Carmelo Musumeci — 2021
Texte :
Carmelo
Musumeci — Musique : Marco
Chiavistrelli
Interprétation :
Marco
Chiavistrelli
LE MORT JOYEUX
Edvard Munch — 1896
Carmelo Musumeci est finalement libre. Nous parlons de l’un des rarissimes cas d’un condamné à perpétuité incompressible qui a obtenu la pleine liberté après un long et tortueux parcours qui l’a conduit d’abord à obtenir une libération conditionnelle, et finalement à l’extinction de sa peine grâce à l’ordonnance du Tribunal de surveillance de Pérouse. Mais comme il l’explique, il est une exception qui confirme la règle. Pas seulement ça. Il est maintenant prêt à demander la révision du procès. Il a commis plusieurs crimes qu’il n’a jamais cachés, mais a été reconnu coupable d’un meurtre à Massa Carrara en 1991 qu’il dit ne pas avoir commis. Derrière se cache une affaire entre le chef de la mafia de l’époque, Antonino Buscemi, et l’entreprise de béton Ferruzzi Gardini qui exploitait les carrières de Carrare. Cette affaire est liée aux enquêtes de l’ancien Ros (Regroupement Opérationnel Spécial — département spécialisé des Carabinieri, spécialisé dans la lutte contre la mafia et le terrorisme) de Palerme coordonnées par Giovanni Falcone. Des enquêtes qui ont donné lieu au brûlant dossier des contrats mafieux, sur lequel Paolo Borsellino a également enquêté par la suite. Mais c’est une histoire qu’il faudra un jour affronter
Musumeci,
vous avez été l’un des premiers à définir l’emprisonnement à
vie incompressible, une « peine sans fin ».
Mais il y a trois ans, vous avez réussi à obtenir une libération
conditionnelle et maintenant la liberté.
Pendant trente ans, j’ai été un condamné à la « peine de mort vivante » : c’est ainsi que les hommes de l’ombre appellent la punition de l’emprisonnement à vie incompressible. Pendant plus d’un quart de siècle, ma vie a été une non-vie, car les prisonniers à la peine à vie incompressible ne vivent pas, ils survivent et il est terrible de n’être ni vivant ni mort. L’emprisonnement à vie est une peine sans fin, sans possibilité de libération, sauf si vous mettez quelqu’un d’autre à votre place dans la cellule. En d’autres termes, si vous parlez et vous confessez, vous pouvez sortir, sinon vous restez à l’intérieur jusqu’à la fin de vos jours, comme au Moyen Âge. Notre punition ressemble à une mort au ralenti, bue goutte à goutte, car nous mourons un peu tous les jours et toutes les nuits. Si cela ne m’est pas arrivé, c’est parce que je suis l’exception qui confirme la règle et avec l’extinction de ma peine par le Tribunal de Surveillance de Pérouse je continue à l’être encore.
Vous
avez toujours dit que depuis son plus jeune âge, vous
étiez en guerre contre le monde. Pourquoi ?
Je pourrais me justifier en disant que je suis devenu un criminel parce que, alors que beaucoup de gens honnêtes sont nés parmi les pâtisseries et les biscuits, je suis né dans une maison où il n’y avait pas de livres (probablement parce qu’ils n’étaient pas bons à manger). Je pourrais me justifier en disant que j’étais ce que je pouvais être et non ce que je voulais être. Je pourrais attribuer mes choix criminels à mon enfance malheureuse ou aux coups que j’ai reçus au pensionnat de la part des religieuses et des prêtres, puis en détention juvénile (alors que je n’avais que quinze ans, j’ai été attaché à un lit de contention pendant sept jours). Je préfère toutefois ne me donner aucune circonstance atténuante car, comme je le dis souvent : « Je suis né coupable ; puis j’y ai mis du mien pour le devenir. »
Dans
“Zanna Blu. Le nuove avventure”, l’un de ses premiers livres,
il écrit que « plus que d’aimer Dieu, il faut aimer les
loups, même les plus
méchants,
car si vous croyez qu’un loup n’est jamais perdu pour toujours,
vous l’aidez déjà à devenir meilleur ». Parlez-vous
de
ce qui vous est arrivé pendant votre emprisonnement ?
C’est le livre que j’aime le plus, car ce sont les histoires que je n’ai jamais pu raconter à mes enfants avant et plus tard à mes petits-enfants. Si je me limite à regarder la prison, je peux dire qu’elle m’a rendu pire, mais qu’elle m’a aussi beaucoup blessé. Ce qui m’a amélioré et m’a changé n’est certainement pas la prison, mais l’amour de ma compagne, de mes deux enfants, les relations sociales et humaines que j’ai créées pendant toutes ces années, ainsi que la lecture de milliers de livres dont je me suis toujours entouré, même dans les moments de privation absolue.
Vous êtes né en Sicile mais avez vécu ailleurs. Vous faisiez partie d’une bande, mais qui n’avait rien à voir avec Cosa Nostra. Peut-être que le fait que vous soyez un rebelle vous a aidé ? Dans quelle mesure votre tempérament s’est heurté à l’institution carcérale et, surtout, aux chefs mafieux emprisonnés ?
Je
me suis toujours considéré comme un « sans Dieu ». Et
je me suis souvent qualifié de rebelle social. J’ai toujours dit
non à tous. Parfois même à moi-même. À l’extérieur comme à
l’intérieur, j’ai toujours dit non à la mafia et à leur
culture. Je me suis aussi souvent heurté à eux en prison ça les
dérangeait que je me batte et que j’écrive pour faire respecter
mes droits et ceux de mes camarades. À l’intérieur, je me suis
toujours trouvé entre ces deux feux : l’État et la mafia,
tous deux voulaient me dompter, je ne pense pas qu’ils aient
réussi. J’ai passé les meilleurs moments en prison avec les
Brigadistes : ils avaient de la culture et de l’humanité.
Eux, ils avaient détruit la prison de l’Asinara, en 1978, parce
qu’ils savaient s’unir et se battre. En revanche, de nombreux
mafiosi ne veulent pas ou ne savent pas le faire.
À la fin, vous avez réussi à devenir porte-parole du désespoir. J’ose dire « Spes contra Spem ». D’avoir de l’espoir, vous avez réussi à être l’espoir. Vous en êtes conscient ?
Je
ne sais pas. Le condamné à perpétuité, s’il veut vivre plus
sereinement, doit espérer mourir avant la fin de son temps, au
contraire, j’ai choisi de vivre et de lutter.
Faisons
un pas en arrière.
En 1991, vous avez été condamné à la prison à vie
incompressible. Après les massacres de la mafia, les prisons
spéciales ont été rouvertes et vous avez été transféré à
l’Asinara.
Avez-vous vous
aussi
subi des tortures ?
Et
qui ne les a pas subies ? Après les premiers jours est venu le
premier passage à tabac : lorsque nous sommes sortis à l’air
libre, les gardes étaient tous alignés, matraque à la main. Un
camarade âgé, lent dans ses mouvements, resté en arrière, a reçu
des coups de pied, des coups de poing et des coups de matraque. Nous
entendions des cris déchirants. À notre retour, nous avons vu tout
le sang répandu dans le couloir, mais nous étions trop effrayés
pour lui donner notre solidarité. Et cette faiblesse de notre part a
été le début de la fin, car des événements comme celui-ci se
sont souvent répétés par la suite. À cette époque, j’ai appris
à me connaître, à grandir intérieurement, j’ai découvert que
l’État était pire que je ne le pensais : il m’a fait
connaître des privations, des tortures et des souffrances, dans
l’absence totale de légalité, de justice et d’humanité. Sur
cette île maudite, même les mouettes étaient mécontentes de ce
qu’elles voyaient. C’est peut-être pour cela que sont sortis de
ce lager en un an 42 collaborateurs de justice.
Vous
avez toujours dit que vous étiez
“mauvais” et que vous avez fait de graves erreurs
dans la vie. Vous avez purgé une peine de prison à
vie, une longue période de 41 bis et de torture dans des prisons
spéciales. Avez-vous vraiment commis le crime pour
lequel vous avez été condamné ?
Il y a une grande différence entre la vérité vraie et celle de la procédure. Spécialement dans les procès de la mafia, vous êtes souvent condamné sur la base d’ouï-dire ou à cause de collaborateurs qui utilisent la justice pour sortir de prison. Vous êtes souvent condamné parce que vous êtes culturellement mafieux et non parce que vous êtes coupable du crime dont vous êtes accusé. Dans mon cas, j’ai été acquitté pour des crimes que j’ai commis et condamné à la prison à vie pour un meurtre que je n’ai pas commis. Ce n’est pas moi qui l’ai dit, mais un célèbre repenti de la mafia (Angelo Siino, décédé récemment et décrit comme « le ministre des travaux publics de Totò Riina », ndlr), dans des déclarations faites au parquet de Palerme : il m’a disculpé de ce meurtre, mais malheureusement ces déclarations ont d’abord été secrètes et ensuite ont disparu. Maintenant que je suis un homme libre, par amour de la vérité, je vais demander une révision. Je me suis diplômé en droit en prison pour ça.
Le jour d’avant et le jour d’après encore
Le jour effrité d’heure en heure
Regards durs, figures scellées,
Âmes cachées,
Un jour inutile après l’autre
Un jour toujours pareil après l’autre,
Voix invisibles, tristes pensées
Âmes jamais vues,
Âmes jamais vues.
Le jour d’avant et le jour d’après encore
Le jour d’heure en heure effrité,
Inutile jour mort-né,
Un jour toujours pareil après l’autre,
Voix invisibles, tristes, bonheurs perdus
Amours marginalisés, enfants jamais vus.
Le jour avant le jour avant encore
Encore avant, avant encore
Ressenti
en chaque heure.
Dans l’air comme les spectres,
Trois pas en avant, je compte, je les connais par cœur.
Je retourne trois pas en arrière, vide encore
Tendu vers le néant de chaque heure.
Dans l’air comme les spectres,
Comme les jeunes déjà changés en vieux,
Trois pas en avant trois pas en arrière
Et
les faire et les refaire.
Le perpète ne regarde pas le futur en face.
Il peut seulement compter le temps qui va et baste
Le futur, ils l’ont écrit et l’agonie est lente.
Même le coupable, finit innocent
Et on meurt chaque jour pour encore revenir
Sans fin mourir,
C’est
ce que je ressens.
Un étrange fantôme n’arrive pas à mourir,
Peut seul s’étioler, peut seul s’évanouir ;
N’a plus rien ni aucune vie personnelle,
Seule cette cellule où son pied chancelle.
Il veut être seul des mois contre les murs.
Parfois, ils le frappent, c’est sûr.
Cette douleur ronge l’âme et le corps.
Une vie de vivant avec un cœur de mort
Et se meurt chaque jour, chaque jour vide,
Chaque
jour vide autour de ce
jour, là, vide.
La prison est la vengeance des vivants
La vengeance des forts très patients
Une course de la mort contre la mort
Et on meurt chaque jour ; sans relâchement,
On revient encore à mourir encore
Chaque jour, chaque moment de chaque heure,
Mais je vais le dire et le toujours dire ;
Oh, je vais le dire, je vais le dire ;
Oh, je le dirai, pour sûr, je le dirai tout le temps.
Entre vos mains, le coupable devient innocent.