La Vie moderne
Le nez de Juliette |
Dialogue
maïeutique
Tiens,
Lucien l’âne mon ami, voici une chanson
longue, chose assez rare, car l’industrie musicale n’aime que la
chanson en ondes courtes, de petites vagues, des vagues vaguelettes
qui clapotent aux oreilles distraites des gens assommés de sons et
de slogans. Une chanson longue, mais
elle aurait pu être bien plus longue, si Ferré l’avait voulu. Il
en existe d’ailleurs d’autres versions où d’autres septains
apparaissent. C’était dans la manière de Léo Ferré de croquer
ainsi l’époque en
notes dispersées au travers de strophes multiples et de chansons
diverses ; il distillait ainsi une sorte d’Humana Commedia en
musique.
J’en
tiens pour autres exemples : Les
Temps Difficiles
et leurs 3 versions, Y
en a marre
et d’autres encore.
Oh,
dit Lucien l’âne, il n’est pas le seul à procéder ainsi à
l’époque. Pour exemples : Stéphane Gollman avec ses
Actualités,
Boris Vian avec
La Complainte du Progrès,
Jean Arnulf et son Point
de Vue,
François Béranger et ses Tranches
de Vie,
Jean Yanne qui disait : Tout
le Monde il est beau, tout le monde, il est gentil
et tant d’autres – sans compter celles dans les autres langues,
mais on n’est pas là pour faire un cours sur la chanson
sociologique.
Oui,
certes, en effet, pourtant, il y a de quoi faire, dit Marco Valdo
M.I. ; alors, je m’en vais quand même te dire un peu ce que
raconte « La Vie moderne ». Elle compte 13 heptains,
c’est-à-dire des strophes de 7 vers ; en fait, heptain est un
autre mot pour dire septain ; sept vers, dont le dernier sert de
lien et de liant à l’ensemble et se répète d’heptain en
septain. Donc, le premier heptain conte la vertu perdue d’une fille
qui se fait ainsi une garde-robe haute-couture très à la mode dans
les salons ; le deuxième parle d’un nez raccourci qui agita
pas mal le Landerneau – vraisemblablement celui de Juliette Gréco
restylé deux ans auparavant (1956) ; le troisième parle – en
précurseur – de la fécondation artificielle, un peu dans la même
veine que dans Les Temps difficiles, parlant du procès Softenon, où
un mouvement réactionnaire – genre qui sévit toujours – appuyé
par l’artillerie du Vatican et la Voix romaine du Pontife,
cherchait à faire condamner une dame qui avait avorté d’un fœtus
sans bras – il en court encore dans nos rues, toujours sans bras –
il disait :
« Le
Vatican n’est pas d’accord,
Il dit qu’à Liège, on a eu tort ;
Quand tu verras un pape sans bras,
Avec quoi donc, il te bénira ?
Les temps sont difficiles ! »
Il dit qu’à Liège, on a eu tort ;
Quand tu verras un pape sans bras,
Avec quoi donc, il te bénira ?
Les temps sont difficiles ! »
Pour
le reste de la chanson, je te laisse le découvrir. Juste un mot pour
noter que
toutes ces chansons « sociologiques » sont des manières
de chroniques de la
Guerre de Cent Mille Ans ;
et un autre mot pour souligner
l’exécution en rase campagne de la célèbre scie radiophonique
(et ça vaut pour toutes les autres rengaines
du genre)
que sont Les
Lavandières du Portugal, qui pourtant,
sous
certains aspects, est une chanson proto-féministe :
« Tant
qu’il y aura du linge à laver,
On boira de la manzanilla.
Tant qu’il y aura du linge à laver,
Des hommes, on pourra se passer.
Et tape et tape et tape avec ton battoir,
Et tape et tape tu dormiras mieux ce soir. »
On boira de la manzanilla.
Tant qu’il y aura du linge à laver,
Des hommes, on pourra se passer.
Et tape et tape et tape avec ton battoir,
Et tape et tape tu dormiras mieux ce soir. »
Oui,
dit Lucien l’âne, arrête-toi là, car il vaut mieux ne pas trop
détailler les explications, mais ces scies médiatiques, il doit
encore en sévir des masses actuellement. Heureusement, nous les
ânes, toi y compris, on ne les écoute pas, on ne le regarde pas –
silence radio ; écran noir. Alors, tissons le linceul de ce
vieux monde modernisé sans cesse, médiatisé, merdisé et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Ton
père avait quatorze enfants
Et
tu te nippes chez Dior maintenant,
Aucun
rapport évidemment.
Ta
vertu s’est mal défendue,
Jamais
personne n’en a rien su,
Mais
quand je l’ai su, il n’y en avait plus.
La
vie moderne, vie moderne.
Tu
avais un nez comme Cyrano,
Un
grand, un bath, un rigolo,
Un
vrai radar à gigolo.
Depuis
qu’on te l’a récupéré,
Dans
une clinique à bon marché,
Tu
ne peux même plus renifler les michés.
La
vie moderne, vie moderne
Avec
des ronds de fécondant,
La
biologie fait des enfants
Qui
rentrent tout seul chez leur maman.
Dans
les labos, il y a des cornues
Et
dans la rue, il y a plus de cocus.
La
poule fait l’œuf, mais ne chante plus.
La
vie moderne, vie moderne
Les
journaux, c’est comme les pansements,
Il
faut en changer de temps en temps,
Sinon,
ça vous froisse les idées ;
Et
puis d’abord, il ne faut pas d’idées,
Car
les idées, ça fait penser
Et
les pensées, ça fait gueuler.
La
vie moderne, vie moderne.
Il
y a un monsieur qui vient chez toi,
Chaque
fois qu’il rentre, c’est du pied droit.
Le
gauche, pour les bonnes manières.
Il
lit Sagan et tutti quanti,
Quant
à Balzac, il se demande si
C’est
un gazier ou un notaire.
La
vie moderne, vie moderne.
Il
y a des gens qui font exotique,
Qui
pour bouffer à l’as de pique,
S’en
iraient même jusqu’à Pékin ;
Moi
sans visa ni prospectus,
Avec
un carnet d’autobus,
Je
vois des tas de gens et je ne vais pas loin.
La
vie moderne, vie moderne.
Les
magasins sont débordés,
On
y vend des diams en papier,
De
ceux qu’on peut pas vous faucher,
Des
mouchoirs qui ne servent qu’une fois
Comme
ça au moins, on sait à quoi,
À
quoi ça sert d’avoir dix doigts.
La
vie moderne, vie moderne.
C’est
comme les machines à laver,
Ça
vous lessive tout un quartier
Et
puis, ça se tasse incognito.
C’est
pas comme celles du Portugal
Si
elles lavaient, il n’y aurait pas de mal,
Mais
elles repassent à la radio.
La
vie moderne, vie moderne.
La
gloire, c’est comme le sex-appeal,
Faut
du rimmel pour pas qu’elle file
Ou
qu’elle finisse dans un potin.
Il
faut la traiter comme une copine,
Ici,
ailleurs ou chez Maxim’
Et
puis l’asseoir sur le Bottin.
La
vie moderne, vie moderne.
Il
y a la nature qui est en folie,
Dans
les sillons, ça fait du bruit ;
C’est
la Marseillaise du printemps.
Les
feuilles des arbres se font jolies,
Il
y a de la chlorophylle dans leur lit
Pour
qu’on se rince l’œil et puis, les dents.
La
vie moderne, vie moderne.
Dans
les usines, il y a plus personne,
Ça
fait plus net quand midi sonne
Et
que miss robot danse la polka.
Il
y a des boulons électroniques
Qui
se vissent tout seul, c’est fantastique
Et
qui vont pas au syndicat.
La
vie moderne, vie moderne.
Grand-mère
avait les cheveux longs,
Grand-papa
lui roulait le chignon
En
roucoulant comme un pigeon.
Ton
jules à toi roule ses mégots
En
se disant quel est le saligaud
Qui
a brouté le blé que t’avais dans le dos.
La
vie moderne, vie moderne.
À
New York, il y a des maisons
Qui
chatouillent les pieds du patron,
Qui
chausse du 45 hectares.
À
Paris, il y a des sous-sols
Où
l’on cause avec des bémols
Qui
grattent le ciel comme une guitare.
La
vie moderne, vie moderne.