lundi 17 décembre 2018

PAUVRES TOUJOURS


PAUVRES TOUJOURS




Version française – PAUVRES TOUJOURS – Marco Valdo M.I. – 2018

Chanson italienne (Pugliese Foggiano)Sempre poveriMatteo Salvatore1970 (?)










Dialogue Maïeutique



Comme à l’ordinaire, commence Marco Valdo M.I., je te convie à un dialogue à propos de cette chanson et ce dialogue, cette conversation a comme objet la « maïeutique », c’est-à-dire l’aide à la mise au jour du sens, de la signification ; une mise au jour particulièrement utile quand il s’agit de saisir le flux de pensées, d’idées, etc. que véhicule la chanson. Cette clarification, cette élucidation est nécessitée par le fait que la chanson est porteuse de poésie.



De fait, dit Lucien l’âne, les mots de la chanson ne s’entendent pas comme ceux d’un manuel scolaire, d’une notice d’utilisation, d’un traité scientifique, d’un énoncé mathématique, et ainsi de suite. La chanson parle autrement, elle use d’une autre langue, radicalement.



Tu ne penses pas si bien dire, Lucien l’âne mon ami. Même quand elle chante une explication technique comme Le Moteur à Explosion (Chanson plus bifluorée)  :



« Voyons le principe du moteur à explosion :
La soupape d’admission
s’ouvre,
Le piston aspirant ainsi le carburant ;
Le piston comprime
En remontant le carburant,
Ensuite, a lieu le troisième temps :
Les soupapes étant fermées,
Le piston redescend 
»



sur l’air de Le Loup, la Biche et le Chevalier (Une Chanson douce) d’Henri Salvador ou La Pince à Linge (Pierre Dac et Francis Blanche), sur une musique de Ludwig van Beethoven :



« La pince à linge !

La pince à linge !
La pince à linge fut inventée en 1887
Par un nommé, par un nommé Jérémie-Victor Hopdebecq,

Prenez deux petits morceaux de bois

Que vous assemblez en croix
Avec un petit bout de fil de fer
Et un ressort en travers.
Vous saisissez cet instrument
Entre votre pouce et votre index,
Vous le serrez en appuyant
Afin qu’il soit bien circonflexe ;
Alors vous l’approchez
Du linge, du linge à faire sécher
Et vous lâchez… »


Marco Valdo M.I. mon ami, tu digresses exagérément ; viens-en au fait. Même si le charme de ces petits dialogues est précisément de digresser, il n’en faut pas moins, à un certain moment, dire quelques mots de la chanson.



J’y pensais justement, dit Marco Valdo M.I., à aborder le sujet. Un sujet qui me tient à cœur, comme à toi certainement. D’autant plus que cette chanson a explicitement des résonances lévianes, quand elle évoque cet État qui s’échoue dans les vallées désertes d’au-delà d’Eboli, ce lieu où Carlo Levi vécut et a voulu être mis en terre :



« Mi è grato riandare con la memoria a quell’altro mondo, serrato nel dolore e negli usi, negato alla Storia e allo Stato, eternamente paziente ; a quella terra senza conforto e dolcezza, dove il contadino vive, nella miseria et nella lontananza, la sua immobile civiltà, su un suolo arido, nella presenza della morte. »



« Il me plaît de retourner par la mémoire à cet autre monde, enfermé dans la douleur et les us, renié par l’Histoire et l’État, éternellement patient ; à cette terre sans confort et dans douceur, où le paysan vit, dans la misère et l’éloignement, sa civilisation immobile, sur un sol aride, en présence de la mort. »



Oh, dit Lucien l’âne, je reconnais ce passage et citation pour citation, j’enchaîne :



« – Noi non siamo cristiani,essi dicono,Cristo si è fermato a Eboli – … Noi non siamo cristiani, non siamo uomini, non siamo considerati come uomini, ma bestie, bestie da soma, e ancora meno che le bestie… perché noi dobbiamo subire il mondo dei cristiani, che sono di là dell’orrizonte »

« – Nous, nous ne sommes pas des chrétiens, – disent-ils, – le Christ s’est arrêté à Eboli – Nous, nous ne sommes pas des hommes, nous ne sommes pas considérés comme des hommes, mais des bêtes, des bêtes de somme, et encore moins que les bêtes… car nous, nous devons subir le monde des chrétiens, qui sont (venus) d’au-delà de l’horizon »



À propos de l’État, reprend Marco Valdo M.I., regarde ce qu’en dit le même Carlo Levi :


« Fra lo statalismo fascista, lo statalismo liberale, lo statalismo socialistico, e tutte quelle altre future forme di statalismo… e l’antistatalismo dei contadini, c’è, e ci sarà sempre, un abisso… »

« Entre l’étatisme fasciste, l’étatisme libéral, l’étatisme socialiste, et toutes les futures formes d’étatisme… et l’antiétatisme des paysans, il y a, et il y aura toujours, un abîme… »



C’est précisément de cet abîme que parle la chanson. Quant à moi, je reviens un instant sur la nécessaire dichotomie qu’il faut opérer entre pauvreté et misère. Il ne s’agit absolument pas de la même chose ; en gros, la pauvreté, on peut en vivre et même, bien et même, mieux ; c’était le choix de Pierre Valdo, ex-riche devenu volontairement pauvre ; la misère, on ne la choisit pas, elle s’impose et elle tue. Quand je dis qu’elle s’impose, il faut évidemment comprendre qu’elle est imposée non pas par d’anonymes et mystérieuses circonstances, mais par des gens qui accaparent et accumulent à leur profit les biens du monde. En fait, je distinguerais la pauvreté constituée par l’absence de richesses, par la vie débarrassée du superflu et de l’ostentatoire, débarrassée de l’envie et de l’apparence et d’autre part, une autre pauvreté constituée par l’absence du nécessaire à la vie, là commence la misère et elle se prolonge infiniment jusqu’à la mort par manque. Encore une fois, c’est d’elle que parle la chanson.



Je vois bien à présent de quoi il retourne, dit Lucien l’âne. Raison de plus pour tisser le linceul de ce vieux monde inique, injuste, impitoyable, insensé et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane





« Stato status dominus subissus ammenus », disaient nos pères.
L’État s’est toujours échoué dans les
vals arides d’Eboli.
L’État est un loup de pierre,
Il ne mord pas, car il n’a pas de dents,
Mais il reste un loup
Et les pauvres brebis méridionales sans nourriture et sans bergères en ont peur.
Les étoiles de la Loi ne peuvent pas protéger les étables. »


Nous avons toujours été pauvres,
Nous avons toujours habité dans cette fange.
Cette boue est un
e ignominie :
Pour nous pauvres, la vie est finie

Le valide

Ne croit pas le malade ;
Le rassasié

Ne croit pas l’affamé.

On nous efface de la société.
Pour les pauvres, il n’y a pas de pitié.

Un dicton très ancien dit :
« Mang
e l’écorce, épargne la mie »

La mie,
tu la mangeras au soir
À lumière de la chandelle
Et ensuite au dodo.