lundi 12 septembre 2022

NOS VIES EN PÂTISSÌON

 

NOS VIES EN PÂTISSÌON

Version française — NOS VIES EN PÂTISSÌON — Marco Valdo M.I. — 2022

d’après la traduction italienne — La nostra vita è fare a coltellate — Riccardo Venturi — 2022

d’une chanson grecque — Η ζωή μας είναι σουγιαδιέςKaterina Gogou / Κατερίνα Γώγου — 1978


Paroles : Κατερίνα Γώγου / Katerina Gogou
“Τρία κλικ αριστερά”, 1978
Musique : Κυριακός Σφέτσας / Kyriakos Sfetsas
Album : Στο Δρόμο, 1981
(Sur la route)
L
ecture : Katerina Gogou

 

 

 



LA VIE EN PATISSÌON



Certains poèmes de Katerina Gogou ont effectivement été " mis en musique ", c’est-à-dire chantés sur une mélodie spécialement composée ; d’autres, notamment ceux de τρία κλικ αριστερά, le recueil de poèmes publié en 1978 (comment traduire le titre ?), ont été récités par Katerina Gogou elle-même dans un album de 1981, Στο δρόμο (" Sur la route " ; mais la langue grecque autorise aussi le sens de " Voyage "), sur fond de musique dissonante, réminiscences du cool jazz, composée par Kyriakos Sfetsas. Ce n’est pas la première fois que nous rencontrons cet album, voir par exemple Καμιά φορά ; mais ce poème est celui où Katerina, en un vers, monte et descend Patissìon, πάνω κάτω η Πατησίων. Toute une vie passée à arpenter cette immense et très longue rue du centre d’Athènes, à propos de laquelle il est bon de saisir l’occasion, enfin, de raconter quelque chose. Les Athéniens, aujourd’hui encore, l’appellent Patissìon (proprement : Λεωφορείον Πατησίων « avenue de Patissia ») parce que, parmi les nombreux quartiers qu’elle traverse, il y a précisément celui de Patissia ; mais son nom officiel est « Avenue du 28 octobre », d’après la date à laquelle le dictateur Ioannis Metaxas a prononcé son fameux “OXI” (« Non !") à l’ultimatum de Benito Mussolini. Sur Patissìon, dont la construction a commencé en 1841, la vie et l’histoire de l’Athènes moderne et, peut-être, de toute la Grèce sont littéralement passées. La Résistance y est passée, comme le dimanche 20 septembre 1942, lorsqu’un petit groupe de partisans, les PEAN, a fait sauter le siège de l’ESPO, l’organisation nazie grecque qui recrutait les jeunes hommes pour la Wehrmacht, avec son siège au n° 8 de Patissìon. Le même sort a été réservé, le 10 décembre 1944, au siège de la « Sûreté générale », détruit par ELAS à l’angle des rues Patissìon et Stournari. Sur Patissìon se trouve également l’entrée principale de l’école polytechnique athénienne, par laquelle les chars de la Junte sont entrés pour écraser la révolte étudiante du 17 novembre 1973.



Quelques événements pour faire comprendre un peu mieux ce que signifie « monter et descendre Patissìon », un sens que Katerina Gogou connaissait bien, un sens entrecroisé avec sa vie difficile passée à « voyager comme des pauvres », à se battre, à s’affronter, à se poignarder de haut en bas de cette rue. Ce n’est pas un hasard si l’album hommage dédié à Katerina Gogou après sa mort porte précisément ce titre : Πάνω κάτω η Πατησίων. Comment vont les choses actuellement, Katerina ? Comme dans tout le reste de l’Europe et du monde. En Grèce, il y a l’habituel gouvernement de droite. À l’intérieur de Polytechnique, il y a quelque temps, ils ont réussi à réinstaller une garnison de soldats et de policiers, évidemment pour la “sécurité” ; il y a eu quelques protestations d’étudiants, mais pas beaucoup. Ces jours-ci, ils finissent d’éliminer Exarchia, qui était déjà devenu un « quartier à la mode », ou presque. Ici, chez nous, nous nous préparons à vivre quelques années de fascisme, le vrai, celui qui n’a pas de limites, celui qui est soutenu par le “peuple”. Ces jours-ci, d’ailleurs, ces “gens” pleurent le décès d’une vieille dame de 96 ans et tremblent, comme toujours, devant les événements du championnat de football. Quant à moi, je dois me contenter de monter et descendre la via dell'Argingrosso. Autre chose que Patissìon. [RV]









Nos vies sont des pâtisseries

Dans des culs-de-sac déprimés,

Faites de dents pourries,

De slogans éculés,

D’habits étiques,

Fleurant la pisse, l’antiseptique,

Le sperme gâché,

Et fardées d’affiches squelettiques.

De bas en haut, de haut en bas, Patissìon,

Notre vie est Patissìon.

 

(Le détergent qui ne pollue pas la mer

Et la voix sont entrés dans nos vies

Et le boui-boui nous a accueillies

Comme celles qui ont le cul à l'air.)


Nous
voici, une vie

À traîner nos envies

Sur le même itinéraire,

La solitude, le désespoir, le déni

Et nos retours en arrière.

Soit, on ne pleure pas, on a grandi.

Sous la pluie, la journée,

On suçote nos pouces jaunis

Et la fumée.



Nos vies, ce sont

Des gesticulations inutiles

À lutter dans les grèves habituelles

Et se retrouver dans les fourgons.

Alors je vous le dis, moi :

La prochaine fois qu’ils nous chargeront,

On ne s’enfuira pas,

On se battra,

On vendra très cher nos têtes.

Non. Il pleut. Donne-moi une cigarette.