L'Aviateur
Chanson
française – L'Aviateur – Marco Valdo M.I. – 2014
d'après
le reportage d'Alfred Jarry, « La passion
considérée comme course de côte » dans Le Canard Sauvage,
11-17 avril 1903.
Dis-moi,
Marco Valdo M.I. mon ami, te voilà féru d'aviation, maintenant...
S'il y a bien une chose que je ne m'imaginais pas, c'est celle-là.
Il faudrait que tu m'expliques...
C'est
bien simple, pourtant, Lucien l'âne mon ami. En fait, je ne suis pas
vraiment féru d'aviation et si j'ai écrit cette chanson de
l'Aviateur, c'est à cause d'une histoire que raconta en son temps
Alfred Jarry.
Alfred
Jarry ? Le père du Roi Ubu ?, dit Lucien l'âne rigolard.
Oh, celui-là, je l'aime beaucoup et je me souviens encore des
promenades que nous fîmes tous les deux, tout en conversant – lui
à bicyclette et moi, trottinant du côté de Laval en Bretagne.
Oui,
c'est bien ce Jarry-là... Donc, dans Le Canard Sauvage du 11-17
avril 1903 – une publication éphémère mais satirique en diable,
éditée par le poète Franc-Nohain et hôte de quelques écrivains
français de l'époque ; on y note la présence d'Anatole
France, d'Octave Mirbeau, de Jules Renard... , Alfred Jarry publia
cet extraordinaire texte qu'est « La passion
considérée comme course de côte » [voir la photo pour le
lire et écouter André Dussolier pour l'entendre –
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4426229
],
un texte qui fait part au monde de ce que Jésus le Nazaréen fut en
plus du champion cycliste d'historique mémoire, le premier des
aviateurs. Ainsi, toujours selon le chroniqueur Jarry, c'est son
premier vol qui est célébré par la fête chrétienne de
l'Ascension et c'est la représentation de ce moment que symbolise et
illustre la croix et son pilote. Quand on connaît le rêve que fut
pour l'humanité de pouvoir voler au ciel, on comprend aisément
pourquoi il y a un tel culte autour de l'Aviateur et de sa
représentation infinie.
On
trouve en effet des croix partout ou presque, dit Lucien l'âne et je
m'étais souvent demandé d'où venait cette manie des calvaires et
autres représentations cruciformes.
En
quelque sorte, on pourrait même dire que cette histoire est tirée
de l'évangile selon Saint Jarry, par ailleurs immortel père d'Ubu
et chroniqueur en langue française de la Papesse Jeanne, dont
l'histoire nous fut contée en grec par Emmanouī́l
Roḯdīs (1836-1904).
En
effet, comme tu le sais, j'avais rencontré Roïdis et il m'avait
parlé de la Papesse, lors du voyage que nous fîmes au travers des
montagnes de l'Attique. C'était un homme fort cultivé et digne de
la plus grande foi, lui qui dirigea, me dit-on, la bibliothèque
nationale grecque. Mais, si tu veux bien me dire en quelques mots ce
que raconte la canzone...
Bien
sûr, Lucien l'âne mon ami. Elle raconte à sa manière
l'extraordinaire histoire qu'Alfred Jarry rapporta, c'est-à-dire une
course cycliste qui se déroula dans ce lieu qui se trouve
actuellement en Palestine, c'est-à-dire en Israël, à deux pas de
Jérusalem, qu'on appelle le Golgotha. Course de côte, course
cycliste en montée. En fait, cette canzone est un reportage, tel
qu'on peut en entendre sur toutes les radios du monde ; du
moins, celles qui s'intéressent au cyclisme. On y voit, Jésus,
cycliste d'élite, retardé par une crevaison, puis par une chute,
revenir sur les hommes de tête. On connaît même une chanson
entonnée régulièrement par ses supporteurs et intitulée très
exactement « Jésus revient »
(http://www.youtube.com/watch?v=I7fwaoZc5WA).
Le final est tout-à-fait haletant : encore distancé dans
l'entrée du dernier virage, Jésus revient encore une fois et dans
un élan suprême, lançant un sprint échevelé, il saute les deux
meneurs et passe en vainqueur la ligne d'arrivée... Et là, en haut du Ventoux ou du Tourmalet, la chose s'arrêterait, mais nous
sommes au sommet du Golgotha, lieu de tous les miracles et Jésus qui
marcha sur l'eau, changea la-dite eau en vin, rendit sa virginité à
Marie-Madeleine, fit voir les aveugles, marcher les culs de jatte et
revivre les morts, Jésus – on n'en attendait pas moins de lui –
fit encore un miracle... Il prolongea son effort de vainqueur d'un
saut dans l'espace... devenant ainsi le premier aviateur et par
ricochet, bien évidemment, n'en déplaise à Gagarine, le premier
cosmonaute.
Événement
considérable, en effet, dit Lucien l'âne d'un air grave. Grave en
effet quand on considère l'état de nos cieux, tout emplis de
traînées blanchâtres aux motifs des plus ésotériques. Je
comprends mieux à présent ce pullulement de croix fixes dans les
campagnes et sur les murs et jusque dans les chambres à coucher. Et
vu comme ça, j'en mettrais bien une dans mon étable entre les grands
bœufs somnolents. Et je suppose que comme moi, tu salues le prophète
Jarry et ceci fait, reprenons notre tâche qui consiste à tisser le
linceul de ce vieux monde crédule, sournois, ésotérique, chaotique
et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Comme
chaque année, le jour de la Passion
On
avait organisé pour le gotha
Une
course qui se terminait par l’ascension
Terrible
et périlleuse du Golgotha
Barrabas,
engagé, déclara forfait.
Prolégomènes
et faits
En
ce temps-là, l’usage était de flageller
De
fines branches de saule, les concurrents
Le
but étant de les émoustiller
Et
de leur donner de l'allant.
On
en était là.
Quand
retentit l'hymne d'ouverture,
Faisant
fi des habituels tralalas,
Pilate
donne le départ.
Juste
devant la gare,
Jésus
démarre à toute allure.
Le
peloton se traîne à sa suite.
Les
autres concurrents, c'est sûr
Renâclent
à la poursuite.
Deux
ambitieux larrons s'élancèrent
Ils
talonnent Jésus par derrière.
Soudain,
à cause des épines, Jésus crève
Et
les autres échappés sans attendre en profitent
Sur
le plat, ils prennent de l'avance
Mais
bien étendu, le dos sur sa machine,
Dans
la montée, Jésus revient
Dans
la poussière et les bras en croix,
Cyclant
comme nagent les Indiens.
Dans
la côte assez dure du Golgotha,
Il
y a quatorze virages.
Pédalant
avec un incroyable courage
Jésus
retombe au troisième et se dégage
Sa
mère, aux tribunes, pleure de rage.
Et
les demi-mondaines d'Israël
Se
lamentent et s'agitent avec elle.
Au
dixième, Jésus revient toujours
Pour
lui, c'est le grand jour.
Grimaçant,
surmontant sa douleur,
En
vue du sommet, Jésus se relance avec ardeur
Laissant
sur place, les deux larrons
Et
stupéfiant les spectateurs
D'un
coup de reins furibond
Il
passe la cime en vainqueur.
Mais,
écoutez-bien, voici la révélation maintenant :
Triomphal,
éclatant de splendeur
Dans
un ultime grand bond en avant
Jésus
continue son chemin en aviateur.