GROS TEMPS
Version
française – GROS TEMPS – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson
allemande – Große
Zeiten – Erich
Kästner – 1931
La musique est de Will Elfes (1924-1971), un sculpteur et musicien allemand. Dans son album de 1970, « Will Elfes Singt Kästner ».
Dialogue
Maïeutique
Mais
enfin, Marco
Valdo M.I.,
que fais-tu ? Il existe déjà une traduction française de
cette chanson. Pourquoi en fais-tu une nouvelle ?
J’ai
toujours dit, Lucien
l’âne mon ami, que je ne fais pas de traduction ; j’établis
une version française à mon intention et je la mets à la
disposition de qui veut la lire, à qui il plaît de la lire. Et
puis, vaut mieux une version de plus ; ça enrichit tout le
monde. Et surtout, ne me demande pas mon avis sur les traductions
faites par d’autres ; ce serait déloyal.
Oh,
Marco Valdo
M.I. mon ami,
détends-toi. Je n’ai d’ailleurs rien dit de cette traduction, si
ce n’est qu’elle existe. Et j’avais sous-entendu, il est vrai
qu’il existe tant d’autres chansons et même, si le cœur t’en
dit, des pièces
de théâtre. Tu pourrais, par exemple, donner une version française
de Shakespeare,
d’une pièce, d’une autre, du Songe
d’une Nuit
d’Été ou du
Roi Jean
ou d’autres auteurs.
Que sais-je ?
De
cela non plus, je ne dirai rien, Lucien
l’âne mon ami et tu sais pourquoi. Ça nous emmènerait
trop loin. Lors, j’ai voulu faire une
version française de ce « Grosse
Zeiten » de
Kästner, car
j’aime beaucoup Erich
Kästner – j’ai
mis à ma sauce en français bon nombre de ses chansons et je voulais
savoir ce qu’il disait exactement dans ce texte. Maintenant, je
sais.
Alors,
je t’en prie, Marco
Valdo M.I.
mon ami, dis-moi tout.
Hum,
Lucien
l’âne mon ami, tout, ce ne sera pas possible, mais certaines
choses utiles, oui. D’abord, entame Marco
Valdo
M.I.,
je commencerai par le titre. Il comporte deux mots. Sur
le mot temps, il n’y a pas grand-chose à dire, si ce n’est qu’il
est terriblement ambigu et polysémique et qu’il faut le prendre
ici
au sens figuré, généralement utilisé pour décrire la situation ;
c’est de la météorologie appliquée au temps social ou politique.
Et ce temps (ou ces temps, peu importe) est « gross », ce
qui peut vouloir dire grand et gros ou les deux en même temps ;
on peut donc également
alterner
la qualification. Ici, il me faut revenir à la météorologie
marine, car,
du
moins, à mon sens, il faut comprendre « gros temps »,
c’est-à-dire un
temps annonciateur
de tempête ou tout
bonnement, un
temps de tempête. J’aime
à faire remarquer qu’Erich
Kästner
écrit cette
chanson en
1931, moment où la houle devient de plus en plus forte et que la
très grosse tempête s’annonce. C’est
l’année également
où
il publie son
roman vers
l’abîme, qui
fut massacré par la critique et les « bonnes gens » de
son temps.
Et c’est de ce « gros temps » déjà là qu’il parle
– sans doute en vain. Tout comme aujourd’hui, dans les pays qui
foncent vers l’abîme, celui qui a le malheur d’y faire allusion
est mal reçu. Quant
à l’état général du monde, je suis assez persuadé que cette
expression de « Grosse Zeiten » s’y applique sans
conteste. Mais
en l’occurrence, Erich Kästner avait quand même pris soin de
poser lui-même la question du pays : Kennst
du das Land, wo die Kanonen blühn?
– Connais-tu
le pays où les canons fleurissent ?, où il disait :
« Connais-tu
ce pays ? Il pourrait être heureux.
Peut-il
être heureux et rendre heureux ?
Là-bas,
il y a des champs, le charbon, l’acier et la pierre,
L’ardeur,
la force et d’autres belles choses.
Là-bas,
de temps en temps, il y a même l’esprit et la bonté
Et
un véritable héroïsme. Mais pas chez beaucoup. »
Oui,
mais la chanson, dit Lucien
l’âne, elle parle de ça, elle aussi ?
Évidemment,
Lucien l’âne
mon ami, elle est annonciatrice du « gros temps » et de
l’éventuel naufrage du navire, mais elle
transcende, comme le fait souvent
le texte poétique, les événements précis auxquels elle allude.
Tiens, « La
Tempête »,
n’était-ce pas aussi une pièce de cet
écrivain dont tu
parlais tout à l’heure, celui dont, au temps de Montaigne, de
Bruno ou de Campanella, on jouait les
pièces à Londres
et qui signait
William
Shakespeare ?
Pour en revenir à la chanson d’Erich
Kästner, si elle
annonce le gros temps, elle raconte que la
plupart des gens (les hydrocéphales, les
têtes pleines d’eau) ne s’en rendent
même pas compte et suivent le mouvement du
flux, ils se laissent littéralement porter par la vague. Quant
à ceux qui s’en
inquiètent, ils
se replient et se préparent au pire. Par ailleurs,
la vie continue, on nourrit le passereau
dans le bosquet du bois voisin ; on vogue dans la béatitude du
quotidien. Après nous, les mouches.
Dans
la forêt, s’ébat le gai passereau.
Les
bonnes gens qui le nourrissent,
Sont
heureux d’avoir un oiseau.
Les
pieds du futur doucement se refroidissent.
Oh,
dit Lucien l’âne,
sans vouloir t’offusquer, on dirait une sorte d’instantané de la
situation contemporaine.
C’est
bien ça, Lucien
l’âne mon ami. Finalement, comme
aujourd’hui, les Cassandre
(par exemple Kästner
lui-même, mais aussi, Erika
Mann, Erich
Mühsam, Carl
von Ossietsky,
Kurt Tucholsky,
Bertolt Brecht,
Ernst Töller,
etc.) sont moquées et le peuple sombre
dans la folie. Je dis comme aujourd’hui en pensant à quelques
pays. Lesquels ? Presque tous, car
c’est une épidémie.
Les
Cassandre sont
traitées par le mépris.
La sottise tourne à l’épidémie.
Le temps n’a jamais été aussi gros qu’aujourd’hui.
Un peuple sombre dans la folie.
La sottise tourne à l’épidémie.
Le temps n’a jamais été aussi gros qu’aujourd’hui.
Un peuple sombre dans la folie.
J’avais
toujours soupçonné Erich
Kästner d’être
un peu prophétique, tout à fait poétique et
trop intelligent pour ne pas sentir ce qui
se préparait. Mais comme Cassandre,
on ne l’a pas trop cru et vite, on l’a fait taire dans un énorme
bûcher berlinois auquel il assista, incognito (heureusement !),
perdu dans la
foule des S.A.
qui délirait sur la place.
Mais définitivement, une voix peut-elle
arrêter l’avalanche ? Cependant, je rejoins ton regard, elle
doit crier, l’oiseau doit continuer à chanter.
Alors,
conclut Lucien l’âne, continuons. Tissons le linceul de ce vieux
monde sot, insensé, inconscient et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco
Valdo M.I.
et Lucien Lane.
Le
temps est si
gros, beaucoup
trop grand.
Il grandit trop vite. Ça le pourrit.
On le mesure chaque jour et on se dit anxieusement :
Le temps n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui.
Il grandit trop vite. Ça le pourrit.
On le mesure chaque jour et on se dit anxieusement :
Le temps n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui.
Il
grossit. Il
grandit. Bientôt,
il fait faux bond.
Que fait l’homme là-contre ? Il est bon.
Chez les hydrocéphales, monte par vagues le flux.
Dans le cerveau des gens sensés, c’est le reflux.
Que fait l’homme là-contre ? Il est bon.
Chez les hydrocéphales, monte par vagues le flux.
Dans le cerveau des gens sensés, c’est le reflux.
Dans
la forêt, s’ébat le gai passereau.
Les
bonnes gens qui le nourrissent,
Sont
heureux d’avoir un oiseau.
Les
pieds du futur doucement se refroidissent.
Les
Cassandre sont
traitées par le mépris.
La sottise tourne à l’épidémie.
Le temps n’a jamais été aussi gros qu’aujourd’hui.
Un peuple sombre dans la folie.
La sottise tourne à l’épidémie.
Le temps n’a jamais été aussi gros qu’aujourd’hui.
Un peuple sombre dans la folie.