jeudi 3 janvier 2019

GROS TEMPS

GROS TEMPS




Version française – GROS TEMPS – Marco Valdo M.I. – 2019
Chanson allemande – Große ZeitenErich Kästner – 1931



La musique est de Will Elfes (1924-1971), un sculpteur et musicien allemand. Dans son album de 1970, « Will Elfes Singt Kästner ».









Dialogue Maïeutique


Mais enfin, Marco Valdo M.I., que fais-tu ? Il existe déjà une traduction française de cette chanson. Pourquoi en fais-tu une nouvelle ?

J’ai toujours dit, Lucien l’âne mon ami, que je ne fais pas de traduction ; j’établis une version française à mon intention et je la mets à la disposition de qui veut la lire, à qui il plaît de la lire. Et puis, vaut mieux une version de plus ; ça enrichit tout le monde. Et surtout, ne me demande pas mon avis sur les traductions faites par d’autres ; ce serait déloyal.

Oh, Marco Valdo M.I. mon ami, détends-toi. Je n’ai d’ailleurs rien dit de cette traduction, si ce n’est qu’elle existe. Et j’avais sous-entendu, il est vrai qu’il existe tant d’autres chansons et même, si le cœur t’en dit, des pièces de théâtre. Tu pourrais, par exemple, donner une version française de Shakespeare, d’une pièce, d’une autre, du Songe d’une Nuit d’Été ou du Roi Jean ou d’autres auteurs. Que sais-je ?

De cela non plus, je ne dirai rien, Lucien l’âne mon ami et tu sais pourquoi. Ça nous emmènerait trop loin. Lors, j’ai voulu faire une version française de ce « Grosse Zeiten » de Kästner, car j’aime beaucoup Erich Kästnerj’ai mis à ma sauce en français bon nombre de ses chansons et je voulais savoir ce qu’il disait exactement dans ce texte. Maintenant, je sais.

Alors, je t’en prie, Marco Valdo M.I. mon ami, dis-moi tout.

Hum, Lucien l’âne mon ami, tout, ce ne sera pas possible, mais certaines choses utiles, oui. D’abord, entame Marco Valdo M.I., je commencerai par le titre. Il comporte deux mots. Sur le mot temps, il n’y a pas grand-chose à dire, si ce n’est qu’il est terriblement ambigu et polysémique et qu’il faut le prendre ici au sens figuré, généralement utilisé pour décrire la situation ; c’est de la météorologie appliquée au temps social ou politique. Et ce temps (ou ces temps, peu importe) est « gross », ce qui peut vouloir dire grand et gros ou les deux en même temps ; on peut donc également alterner la qualification. Ici, il me faut revenir à la météorologie marine, car, du moins, à mon sens, il faut comprendre « gros temps », c’est-à-dire un temps annonciateur de tempête ou tout bonnement, un temps de tempête. J’aime à faire remarquer qu’Erich Kästner écrit cette chanson en 1931, moment où la houle devient de plus en plus forte et que la très grosse tempête s’annonce. C’est l’année également où il publie son roman vers l’abîme, qui fut massacré par la critique et les « bonnes gens » de son temps. Et c’est de ce « gros temps » déjà là qu’il parle – sans doute en vain. Tout comme aujourd’hui, dans les pays qui foncent vers l’abîme, celui qui a le malheur d’y faire allusion est mal reçu. Quant à l’état général du monde, je suis assez persuadé que cette expression de « Grosse Zeiten » s’y applique sans conteste. Mais en l’occurrence, Erich Kästner avait quand même pris soin de poser lui-même la question du pays : Kennst du das Land, wo die Kanonen blühn?Connais-tu le pays où les canons fleurissent ?, où il disait :

« Connais-tu ce pays ? Il pourrait être heureux.
Peut-il être heureux et rendre heureux ?
Là-bas, il y a des champs, le charbon, l’acier et la pierre,
L’ardeur, la force et d’autres belles choses.

Là-bas, de temps en temps, il y a même l’esprit et la bonté
Et un véritable héroïsme. Mais pas chez beaucoup. »


Oui, mais la chanson, dit Lucien l’âne, elle parle de ça, elle aussi ?

Évidemment, Lucien l’âne mon ami, elle est annonciatrice du « gros temps » et de l’éventuel naufrage du navire, mais elle transcende, comme le fait souvent le texte poétique, les événements précis auxquels elle allude. Tiens, « La Tempête », n’était-ce pas aussi une pièce de cet écrivain dont tu parlais tout à l’heure, celui dont, au temps de Montaigne, de Bruno ou de Campanella, on jouait les pièces à Londres et qui signait William Shakespeare ? Pour en revenir à la chanson d’Erich Kästner, si elle annonce le gros temps, elle raconte que la plupart des gens (les hydrocéphales, les têtes pleines d’eau) ne s’en rendent même pas compte et suivent le mouvement du flux, ils se laissent littéralement porter par la vague. Quant à ceux qui s’en inquiètent, ils se replient et se préparent au pire. Par ailleurs, la vie continue, on nourrit le passereau dans le bosquet du bois voisin ; on vogue dans la béatitude du quotidien. Après nous, les mouches.

Dans la forêt, s’ébat le gai passereau.
Les bonnes gens qui le nourrissent,
Sont heureux d’avoir un oiseau.
Les pieds du futur doucement se refroidissent.

Oh, dit Lucien l’âne, sans vouloir t’offusquer, on dirait une sorte d’instantané de la situation contemporaine.

C’est bien ça, Lucien l’âne mon ami. Finalement, comme aujourd’hui, les Cassandre (par exemple Kästner lui-même, mais aussi, Erika Mann, Erich Mühsam, Carl von Ossietsky, Kurt Tucholsky, Bertolt Brecht, Ernst Töller, etc.) sont moquées et le peuple sombre dans la folie. Je dis comme aujourd’hui en pensant à quelques pays. Lesquels ? Presque tous, car c’est une épidémie.

Les Cassandre sont traitées par le mépris.
La
sottise tourne à l’épidémie.
Le temps n’
a jamais été aussi gros qu’aujourd’hui.
Un peuple sombre dans l
a folie.

J’avais toujours soupçonné Erich Kästner d’être un peu prophétique, tout à fait poétique et trop intelligent pour ne pas sentir ce qui se préparait. Mais comme Cassandre, on ne l’a pas trop cru et vite, on l’a fait taire dans un énorme bûcher berlinois auquel il assista, incognito (heureusement !), perdu dans la foule des S.A. qui délirait sur la place. Mais définitivement, une voix peut-elle arrêter l’avalanche ? Cependant, je rejoins ton regard, elle doit crier, l’oiseau doit continuer à chanter.

Alors, conclut Lucien l’âne, continuons. Tissons le linceul de ce vieux monde sot, insensé, inconscient et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.



Le temps est si gros, beaucoup trop grand.
Il grandit trop vite.
Ça le pourrit.
On
le mesure chaque jour et on se dit anxieusement :
Le temps n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui.

Il grossit. Il grandit. Bientôt, il fait faux bond.
Que fait l’homme là-contre ? Il est bon.
Chez les hydrocéphales, monte par vagues le flux.
Dans le cerveau des gens sensés, c’est le reflux.

Dans la forêt, s’ébat le gai passereau.
Les bonnes gens qui le nourrissent,
Sont heureux d’avoir un oiseau.
Les pieds du futur doucement se refroidissent.

Les Cassandre sont traitées par le mépris.
La
sottise tourne à l’épidémie.
Le temps n’
a jamais été aussi gros qu’aujourd’hui.
Un peuple sombre dans l
a folie.

L’Heure de l’Hirondelle


L’Heure de l’Hirondelle

Chanson française – L’Heure de l’Hirondelle – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux –
121
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel –
V, VII)





Dialogue Maïeutique

« L’heure de l’hirondelle », en voilà encore un de tes titres, dit Lucien l’âne. Je vais essayer d’en deviner le sens avant même de connaître la chanson.

Voyons voir, dit Marco Valdo M.I. en souriant.

Donc, l’heure de l’hirondelle, dit Lucien l’âne, pour moi, a une double signification. Soit, elle marque un début ; soit, elle marque une fin. Car, si l’hirondelle annonce le printemps, elle annonce aussi et en même temps, la fin de l’hiver.

Ça, Lucien l’âne mon ami, tu as mis pile dans le mille – certains ajoutent : Émile, comme aurait dit Rousseau. C’est vraiment le sens qu’il faut donner au titre. Mais ce qui correspond aussi au rythme de ses transhumances, à ses allers-retours migratoires, l’heure de l’hirondelle peut aussi annoncer, comme tu le verras, le retour tant espéré de Calleken, la femme de Lamme et le retour à la vie tranquille de Lamme lui-même. C’est aussi pour ce fougueux pacifiste la fin de la guerre, de la guerre de liberté, où tout bien considéré, il avait déjà assez donné. À d’autres de prendre le relais ; il y a un temps pour chaque chose. « Faut bien qu’on vive ! ».

Mais dis-moi, Marco Valdo M.I., que vient faire là le broer Cornélis ?

Ça mérite au moins une explication, reprend Marco Valdo M.I. Ce frère Cornélis, on l’avait déjà entendu prêcher violemment contre les hérétiques. C’est un de ces chiens de l’Église qui allaient de par les Pays semant la haine et la discorde, justifiant au nom de Dieu l’occupation espagnole, l’Inquisition, les placards, la torture et les bûchers. Ce bon ecclésiastique avait également un autre but, c’était de s’occuper – toujours au nom de Dieu – des femmes (de préférence, jeunes et jolies) et de leur chasteté, y compris de celle de femmes mariées, auxquelles il interdisait (Deus dixit) les relations conjugales. Une chasteté qui ne pouvait être rompue qu’entre les bras du serviteur de Dieu qu’était le père Cornélis Adriaensen lui-même, en personne. C’était là une façon catholique de récupérer le mouvement des béguines, femmes libres, qui avait fortement tendance à échapper à l’Église et à sa sainte Tutelle.

Oh oui, dit Lucien l’âne, je me souviens de ces femmes qui vivaient, en effet, assez librement en communauté. Il y en avait un partout en Europe en ce temps-là. J’ai même souvenir qu’on en tortura et qu’on en brûla un certain nombre sur les bûchers de l’Inquisition, à l’égal des sorcières auxquelles souvent la propagande catholique les assimilait. Aujourd’hui encore, il me semble que chez les humains, les communautés de femmes libres et les femmes libres ne sont pas en odeur de sainteté.

Certes, Lucien l’âne mon ami, mais les femmes de la communauté de Cornélis étaient fort peu libres et comme je te l’ai dit, elles lui devaient des comptes sous l’espionnage de la confession et le reste sous le mariage virginal avec Dieu, par l’entremise de Cornélis, évidemment, puisque Dieu lui-même n’est pas équipé pour la manœuvre. Cependant, et c’est important pour Lamme, le frère félon – même s’il avait réussi à la dissuader d’accepter encore les relations conjugales avec son bonhomme de mari – n’a jamais pu exercer son paternel sentiment sur la personne de Calleken qui, si elle s’était laissée embrigader dans le chaste régiment de Dieu, si elle se soumettait aux questions de la confession, n’a jamais accepté que le dodu moine lui mette la main dessus.

Bien, bien, dit Lucien l’âne, voilà qui a dû faire plaisir à Lamme.

Un dernier élément à signaler, complète Marco Valdo M.I., ce sont les adieux de Lamme aux Gueux, à Till, à Nelle ; avec ces adieux s’arrête l’aventure et comme il est dit plus haut : à d’autres de la poursuivre cette quête de liberté et de tranquille existence.

Alors donc, nous voici à la fin de la geste, dit Lucien l’âne. Cette fin abrupte me rappelle celle qui attend tout être vivant et il me revient à l’esprit – s’il l’a jamais quitté – ce philosophe ancien qui disait en toute sérénité : « Il n’y a rien à craindre de la mort » et aussi, ton presque contemporain, Boris Vian qui écrivait, je cite de mémoire : « Un mort, c’est bien. C’est complet. Ça n’a pas de mémoire. C’est terminé. On n’est pas complet tant on n’est pas mort. »

Maintenant, dit Lucien l’âne, il me faut vraiment conclure encore. Tissons le linceul de ce vieux monde trop catholique, trop religieux, menteur, vicié et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Lamme dit : « J’ai un grand dessein
À l’égard de sa catholique Paternité.
Qu’on garde en vie ce capucin !
Avec soin, nous allons l’engraisser.

À quelque temps de là, Lamme le pèse :
Trois cent septante livres et demi.
Lamme dit : « J’en suis fort aise,
Mon grand œuvre s’accomplit.

« Ouvrons la cage, le chapon est gras.
Il est bien plus gros que moi,
Ses joues tremblent comme gelée de cochon,
Sa panse pend comme un vieux torchon.

Broer Cornelis Adriaensen, le prêcheur,
Frère Cornélis Vauriensen, le menteur,
Prêchait aux filles la chasteté
Pour être tout seul à en profiter.

Oh ! Oh Gueux marins ! Oh ! Équipage !
Oh ! Capitaine ! Je m’en vais maintenant.
Faites engraisser ce moine en sa cage
Comme une baleine, comme un éléphant !

Mon hirondelle est revenue, elle est là !
Calleken a soigné ma blessure,
Calleken revient se blottir dans mes bras,
Calleken a fui la religieuse luxure.

Tous deux, demain, nous partirons
Ensemble vivre la vie en bord de mer
Calleken et moi, jusqu’au bout nous irons.
Puis, elle et moi, nous dormirons sous la terre. »

Et le frère Cornélis en colère s’écrie :
« Femelle charnelle, fille d’Ève pervertie,
C’est ta foi, c’est ton vœu que tu renies :
Sois maudite et damnée par l’hostie !

Qu’en ta bouche, le pain te soit cendre !
Que sur ton sein, le soleil soit glace !
Qu’éternellement, tu pleures, que toujours, tu souffres !
Tu refusas mon paternel amour, je te chasse ! »

Lamme chante et danse en levant les bras :
« Vive Calleken, mon épouse fidèle, hosanna !
Adieu les Gueux ! Adieu Till, adieu Nelle !
Adieu la guerre de l’alouette, c’est l’heure de l’hirondelle ! »