Promenade
florentine
Chanson
française – Promenade florentine – Marco Valdo M.I. – 2020
Après
des jours d’arrêts domiciliaires, je n’en pouvais plus. Je me
suis échappé pendant trois heures. Muni de protections,
circonspect, seul et à un mètre de distance. Je suis allé faire un
tour en ville, à Florence.
Florence
n’a aucun privilège particulier par rapport aux autres villes et
villages d’Italie et du monde. C’est l’un des quatre lieux où
le destin m’a donné naissance, également celui de l’état-civil,
dont je parle parfaitement la langue et où j’habite dans un
quartier décentré. Je ne vais presque jamais au centre, et
seulement par nécessité ; Florence reçoit six ou sept millions de
visiteurs chaque année. C’est une ville ancienne et très belle,
pleine de monuments historiques et artistiques, ce qui l’a
transformée en un secteur économique basé sur le tourisme.
Florence, de ces jours-ci, se meurt. Je suis allé la voir, morte.
Ou
peut-être qu’elle était déjà morte avant. Morte du tourisme de
masse, de lieux, de la pacotille, du luxe, de l’Airbnb. Peut-être,
qui sait, je suis allé la voir renaître. Je me promenais seul,
presque comme un voleur, et il n’y avait personne. Quelques
fantômes. Un pharmacien. Une fille assise sur une marche, avec des
cheveux bouclés. Le serveur d’un lieu qui faisait le ménage dans
le lieu fermé. Une dame avec un petit chien. Et le silence, le plus
total.
Étant
un voleur, j’ai volé des images. Quel jour sommes-nous ?
Vendredi 13 mars 2020, de 11 h à 13 h. C’est ainsi dans
le pays entier. Silencieux comme j’étais allé, je suis revenu à
ma prison domestique.
Autrefois,
dans le Vicolo del Panico (Impasse de la Panique), il y avait le MAF,
le Mouvement anarchiste florentin. Au-dessus du panneau routier,
celui que vous pouvez voir sur la photo, il y avait un drapeau rouge
et noir avec un A encerclé. C’était dans un palais du XIIIe
siècle. En 2005, il a été évacué. Ils y ont fait des
appartements de luxe. Puis, ils ont fermé l’allée avec une grille
pour ne pas déranger ces messieurs. Et maintenant, qu’ils aillent
se faire foutre avec leur grille. La panique se répand. Que ce soit
dans votre impasse. [AT-XXI]
Dialogue
Maïeutique
Ce
13 mars 2020, un vendredi 13, notez-le, dit Marco Valdo M.I., notre
Athée du XXIe Siècle (c’est ainsi que je l’ai baptisé) a
publié une symphonie photographico-poétique de son cru, qu’il a
intitulée « Vicolo
del Panico », pour la raison dite plus haut ; c’est
la version française de ce texte qui sert d’introduction à ma
Promenade florentine.
Bien,
bien, dit Lucien l’âne, mais encore ?
Encore ?,
répond Marco Valdo M.I., encore ceci que ce Vicolo del Panico est
lui-même une promenade florentine et qu’il est composé d’une
très remarquable série de photos, qu’il est vraiment intéressant
de consulter. C’est une idée lumineuse et pour tout dire,
photogénique. J’en étais resté paf ou comme on dit également,
j’en étais resté comme deux ronds de flan. Du coup, je me suis
dit, faisons cette promenade florentine et chemin faisant, j’y ai
inclus quelques éléments rébusiques que je destinai in primis à
l’Athée XXI, grand amateur d’énigmes et de notes explicatives.
Oh,
dit Lucien l’âne, c’est là une autre idée intéressante et une
manière d’intriguer et de distraire en ces temps où comme il
semble que ce soit le cas en Italie comme ici, les gens cherchent de
la distraction. Il paraît qu’en Italie, il y en a qui se mettent à
leur balcon, mais il ne passe personne.
Évidemment,
Lucien l’âne mon ami, qu’il ne passe personne, si tout le monde
est à son balcon. Tiens à propos de rébus ou de citation ou
d’allusion, cette histoire de balcon est un bon exemple. Comme nous
le savons tous les deux, qu’il faut aller voir dans Le
Pornographe de Tonton Georges. Juste dans ce verset :
« Chaque
soir avant le dîner,
À mon balcon mettant le nez,
Je contemple les bonnes gens,
Dans le soleil couchant,
Mais ne me demandez pas de chanter ça, si
Vous redoutez d’entendre ici
Que j’aime à voir, de mon balcon
Passer les cons. »
À mon balcon mettant le nez,
Je contemple les bonnes gens,
Dans le soleil couchant,
Mais ne me demandez pas de chanter ça, si
Vous redoutez d’entendre ici
Que j’aime à voir, de mon balcon
Passer les cons. »
Oh,
Marco Valdo M.I., tu me mets l’eau à la bouche. Veux-tu bien
m’indiquer quels passages de ta Promenade florentine recèlent
d’aussi savoureuses allusions ?
Bref,
c’est bon que c’est toi, Lucien l’âne mon ami, mais ça va
être long et en plus, c’est biscornu. Avant
tout, je tiens à signaler que j’ai francisé la désignation des
lieux tels vicolo : impasse, via : rue, borgo : bourg,
piazza : place. D’abord, le titre
lui-même renvoie aux promenades napolitaines de Benedetto Croce, que
ce philosophe avait écrites il y a un siècle. Ensuite, le premier
vers renvoie à la chanson de Barbara « Ce
Matin-là »
(https://www.youtube.com/watch?v=K0gGcNLQoIo),
qui commence ainsi :
« J’étais
partie ce matin au bois… ».
Quant
à être seul sur le Un sans les Huns, tu as évidemment reconnu
Raymond Queneau et ses fleurs bleues et l’allusion à la
disparition des touristes – les dits-Huns, dont on retrouve trace
avec Attila, un peu plus loin dans la chanson. Le verset (oui, oui,
ce sont des versets comme dans les livres sacrés) qui suit se réfère
à « Lo
avrai,
camerata Kesselring » et celui qui
commence par « Piazza San Marco enlevée » est tiré de
« L’Insurrection
de Florence », chanson elle-même
reflet d’un texte de Piero Calamandrei. Tu sais aussi mon goût
pour José Saramago, dont j’avais tiré ma chanson « Le
Siège de Lisbonne », titre d’un
de ses romans, et il m’a paru rigolo que l’Athée XXI évoque
cette cécité, autre
roman où il décrit
l’aveuglement général de la
société, digne de la
Marche des Aveugles de Brueghel.
Maintenant, je suis sûr que tu as repéré ces Lilas qui sont à la
fois, une station du métro parisien et l’arbuste du printemps, qui
bourgeonne dans les jardins. C’est aussi et ici, surtout, la
chanson éponyme de Georges Brassens : Les
Lilas, qui dit :
« Quand
je vais chez la fleuriste,
Je n’achète que des lilas…
Je n’achète que des lilas…
Pauvre
amour, tiens bon la barre,
Le temps va passer par là,
Et le temps est un barbare
Dans le genre d’Attila. »
Le temps va passer par là,
Et le temps est un barbare
Dans le genre d’Attila. »
Au
passage, je rappelle que la monnaie danoise est la « couronne »
– en italien, « corona ». Cela dit, Tornebuoni
Lucrezia, c’était aux alentours de 1450, était la mère de
Laurent le Magnifique, une poétesse et fine politique, cela dit sans
vouloir m’immiscer dans les affaires internes de l’histoire
florentine. Je laisse de côté le sourire de Joconde du Pape et
l’allusion à la fermeture des maisons closes et au retour des
Belles Femmes dans les rues et au bord des routes, tous sujets qu’on
pourrait développer à l’envi. Ce que faisait notamment Bocca
di Rosa – Bouche de Rose ou La
Complainte des Filles de Joie.
Ah,
cette infinie paraphrase !, dit Lucien l’âne, c’est
précisément là tout le sel de l’allusion.
Et
puis, continue Marco Valdo M.I., le verset de la place ensoleillée
est tiré de « L’Homme
en Gris » qui renvoie à Carlo Levi et à la Resistenza à
Florence vers 1944. Enfin, ce fantôme de l’Athée et le printemps
qui suit :
« Le
fantôme de l’Athée clame la nouvelle :
C’est
le printemps, le printemps est là. »
font
allusion à deux chansons : pour le fantôme à « Il
camionista Ghost Rider » de Davide
Van de Sfroos et le printemps à
« C’est
le Printemps » de Léo Ferré.
Tu
sais, Marco Valdo M.I. mon ami, cette chanson me fait penser à La
Ballade du Poète François Villon, version française de Ballade
auf den Dichter François Villon de
Wolf Biermann. Enfin,
on sait un peu mieux ce qui se passe dans la tête de celui qui écrit
des choses comme ça, mais halte, dit Lucien l’âne, pour cette
fois, on en restera là. Tissons le linceul de ce vieux monde
tourneboulé, coroné, fatigué, enfermé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Je
suis parti ce matin faire le tour
De
Florence, en compagnie de l’Athée
Qui
nous a égarés comme toujours
Dans
les impasses de la journée.
Nous
étions seuls sur le Un
En
ville, il n’y avait plus de Huns.
Le
Bourg Pinti était un couloir désert,
Un
cycliste voguait sur l’Arc de Saint-Pierre.
Sur
la place, sans marché, pas de meeting :
Il
porte bien son nom, ce Bourg des Abymes ;
Sur
la place Piero Calamandrei, ce fut sublime :
On
chanta « Lo avrai, camerata Kesselring »
« Piazza
San Marco enlevée,
Via
San Caterina dépassée,
Contrattaque
sur la place Donatello :
Le fascisme reculait, ce n’était pas trop tôt ! »
Le fascisme reculait, ce n’était pas trop tôt ! »
Sous
la voûte des aveugles, on s’est arrêté
Pour
expérimenter un essai sur la cécité
En
hommage à José Saramago,
On
a trouvé ça très rigolo.
En
riant, on a lu les dispositions de 1733.
À
l’impasse des Lilas,
La
fleuriste n’était plus là,
Des
lilas, il n’y en avait pas.
Pauvre
ami, tenons bien la barre,
Le
corona va passer par là
Et
ce virus est un barbare
Dans
le genre d’Attila.
Intrépides,
nous avons affronté le Bargello,
On
a traversé d’un bond le Mercato Nuovo,
Et
caressé le nez du Porcellino comme Andersen
En
pensant à Copenhague, à la couronne et à sa petite Sirène.
À
l’heure du repas de midi,
Le
bœuf florentin nous passa sous le nez ;
Le
restaurant était légalement fermé.
L’humour
livournais un instant nous divertit.
À
la rue Tornabuoni, de Laurent le Magnifique,
On
célébra la mère, une grande politique.
Puis,
place de la République ;
Le
Pape nous fit un sourire oblique.
Il
nous indiqua la rue des Belles Femmes :
Toutes
dehors, car les maisons sont fermées.
Reste
un pigeon, une fontaine goutte abandonnée
Et
Dante, aviné, guigne les dames.
« Sur
la place ensoleillée,
Les
enfants en pleine journée ;
Sous
le soleil, la place déserte
Se
fige sous l’alerte. »
Piazza
Santa Maria Novella –
Place
Sainte Marie Nouvelle,
Le
fantôme de l’Athée clame la nouvelle :
C’est
le printemps, le printemps est là.