samedi 14 mars 2020

Promenade florentine


Promenade florentine


Chanson française – Promenade florentine – Marco Valdo M.I. – 2020








Après des jours d’arrêts domiciliaires, je n’en pouvais plus. Je me suis échappé pendant trois heures. Muni de protections, circonspect, seul et à un mètre de distance. Je suis allé faire un tour en ville, à Florence.

Florence n’a aucun privilège particulier par rapport aux autres villes et villages d’Italie et du monde. C’est l’un des quatre lieux où le destin m’a donné naissance, également celui de l’état-civil, dont je parle parfaitement la langue et où j’habite dans un quartier décentré. Je ne vais presque jamais au centre, et seulement par nécessité ; Florence reçoit six ou sept millions de visiteurs chaque année. C’est une ville ancienne et très belle, pleine de monuments historiques et artistiques, ce qui l’a transformée en un secteur économique basé sur le tourisme. Florence, de ces jours-ci, se meurt. Je suis allé la voir, morte.

Ou peut-être qu’elle était déjà morte avant. Morte du tourisme de masse, de lieux, de la pacotille, du luxe, de l’Airbnb. Peut-être, qui sait, je suis allé la voir renaître. Je me promenais seul, presque comme un voleur, et il n’y avait personne. Quelques fantômes. Un pharmacien. Une fille assise sur une marche, avec des cheveux bouclés. Le serveur d’un lieu qui faisait le ménage dans le lieu fermé. Une dame avec un petit chien. Et le silence, le plus total.
Étant un voleur, j’ai volé des images. Quel jour sommes-nous ? Vendredi 13 mars 2020, de 11 h à 13 h. C’est ainsi dans le pays entier. Silencieux comme j’étais allé, je suis revenu à ma prison domestique.

Autrefois, dans le Vicolo del Panico (Impasse de la Panique), il y avait le MAF, le Mouvement anarchiste florentin. Au-dessus du panneau routier, celui que vous pouvez voir sur la photo, il y avait un drapeau rouge et noir avec un A encerclé. C’était dans un palais du XIIIe siècle. En 2005, il a été évacué. Ils y ont fait des appartements de luxe. Puis, ils ont fermé l’allée avec une grille pour ne pas déranger ces messieurs. Et maintenant, qu’ils aillent se faire foutre avec leur grille. La panique se répand. Que ce soit dans votre impasse. [AT-XXI]


Dialogue Maïeutique


Ce 13 mars 2020, un vendredi 13, notez-le, dit Marco Valdo M.I., notre Athée du XXIe Siècle (c’est ainsi que je l’ai baptisé) a publié une symphonie photographico-poétique de son cru, qu’il a intitulée « Vicolo del Panico », pour la raison dite plus haut ; c’est la version française de ce texte qui sert d’introduction à ma Promenade florentine.

Bien, bien, dit Lucien l’âne, mais encore ?

Encore ?, répond Marco Valdo M.I., encore ceci que ce Vicolo del Panico est lui-même une promenade florentine et qu’il est composé d’une très remarquable série de photos, qu’il est vraiment intéressant de consulter. C’est une idée lumineuse et pour tout dire, photogénique. J’en étais resté paf ou comme on dit également, j’en étais resté comme deux ronds de flan. Du coup, je me suis dit, faisons cette promenade florentine et chemin faisant, j’y ai inclus quelques éléments rébusiques que je destinai in primis à l’Athée XXI, grand amateur d’énigmes et de notes explicatives.

Oh, dit Lucien l’âne, c’est là une autre idée intéressante et une manière d’intriguer et de distraire en ces temps où comme il semble que ce soit le cas en Italie comme ici, les gens cherchent de la distraction. Il paraît qu’en Italie, il y en a qui se mettent à leur balcon, mais il ne passe personne.

Évidemment, Lucien l’âne mon ami, qu’il ne passe personne, si tout le monde est à son balcon. Tiens à propos de rébus ou de citation ou d’allusion, cette histoire de balcon est un bon exemple. Comme nous le savons tous les deux, qu’il faut aller voir dans Le Pornographe de Tonton Georges. Juste dans ce verset :

« Chaque soir avant le dîner,
À mon balcon mettant le nez,
Je contemple les bonnes gens,
Dans le soleil couchant,
Mais ne me demandez pas de chanter ça, si
Vous redoutez d’entendre ici
Que j’aime à voir, de mon balcon
Passer les cons. »

Oh, Marco Valdo M.I., tu me mets l’eau à la bouche. Veux-tu bien m’indiquer quels passages de ta Promenade florentine recèlent d’aussi savoureuses allusions ?

Bref, c’est bon que c’est toi, Lucien l’âne mon ami, mais ça va être long et en plus, c’est biscornu. Avant tout, je tiens à signaler que j’ai francisé la désignation des lieux tels vicolo : impasse, via : rue, borgo : bourg, piazza : place. D’abord, le titre lui-même renvoie aux promenades napolitaines de Benedetto Croce, que ce philosophe avait écrites il y a un siècle. Ensuite, le premier vers renvoie à la chanson de Barbara « Ce Matin-là » (https://www.youtube.com/watch?v=K0gGcNLQoIo), qui commence ainsi :

« J’étais partie ce matin au bois… ».

Quant à être seul sur le Un sans les Huns, tu as évidemment reconnu Raymond Queneau et ses fleurs bleues et l’allusion à la disparition des touristes – les dits-Huns, dont on retrouve trace avec Attila, un peu plus loin dans la chanson. Le verset (oui, oui, ce sont des versets comme dans les livres sacrés) qui suit se réfère à « Lo avrai, camerata Kesselring » et celui qui commence par « Piazza San Marco enlevée » est tiré de « L’Insurrection de Florence », chanson elle-même reflet d’un texte de Piero Calamandrei. Tu sais aussi mon goût pour José Saramago, dont j’avais tiré ma chanson « Le Siège de Lisbonne », titre d’un de ses romans, et il m’a paru rigolo que l’Athée XXI évoque cette cécité, autre roman où il décrit l’aveuglement général de la société, digne de la Marche des Aveugles de Brueghel. Maintenant, je suis sûr que tu as repéré ces Lilas qui sont à la fois, une station du métro parisien et l’arbuste du printemps, qui bourgeonne dans les jardins. C’est aussi et ici, surtout, la chanson éponyme de Georges Brassens : Les Lilas, qui dit :

« Quand je vais chez la fleuriste,
Je n’achète que des lilas…
Pauvre amour, tiens bon la barre,
Le temps va passer par là,
Et le temps est un barbare
Dans le genre d’Attila. »

Au passage, je rappelle que la monnaie danoise est la « couronne » – en italien, « corona ». Cela dit, Tornebuoni Lucrezia, c’était aux alentours de 1450, était la mère de Laurent le Magnifique, une poétesse et fine politique, cela dit sans vouloir m’immiscer dans les affaires internes de l’histoire florentine. Je laisse de côté le sourire de Joconde du Pape et l’allusion à la fermeture des maisons closes et au retour des Belles Femmes dans les rues et au bord des routes, tous sujets qu’on pourrait développer à l’envi. Ce que faisait notamment Bocca di Rosa – Bouche de Rose ou La Complainte des Filles de Joie.

Ah, cette infinie paraphrase !, dit Lucien l’âne, c’est précisément là tout le sel de l’allusion.

Et puis, continue Marco Valdo M.I., le verset de la place ensoleillée est tiré de « L’Homme en Gris » qui renvoie à Carlo Levi et à la Resistenza à Florence vers 1944. Enfin, ce fantôme de l’Athée et le printemps qui suit :

« Le fantôme de l’Athée clame la nouvelle :
C’est le printemps, le printemps est là. »

font allusion à deux chansons : pour le fantôme à « Il camionista Ghost Rider » de Davide Van de Sfroos et le printemps à « C’est le Printemps » de Léo Ferré.

Tu sais, Marco Valdo M.I. mon ami, cette chanson me fait penser à La Ballade du Poète François Villon, version française de Ballade auf den Dichter François Villon de Wolf Biermann. Enfin, on sait un peu mieux ce qui se passe dans la tête de celui qui écrit des choses comme ça, mais halte, dit Lucien l’âne, pour cette fois, on en restera là. Tissons le linceul de ce vieux monde tourneboulé, coroné, fatigué, enfermé et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Je suis parti ce matin faire le tour
De Florence, en compagnie de l’Athée
Qui nous a égarés comme toujours
Dans les impasses de la journée.

Nous étions seuls sur le Un
En ville, il n’y avait plus de Huns.
Le Bourg Pinti était un couloir désert,
Un cycliste voguait sur l’Arc de Saint-Pierre.

Sur la place, sans marché, pas de meeting :
Il porte bien son nom, ce Bourg des Abymes ;
Sur la place Piero Calamandrei, ce fut sublime :
On chanta « Lo avrai, camerata Kesselring »

« Piazza San Marco enlevée,
Via San Caterina dépassée,
Contrattaque sur la place Donatello :
Le fascisme reculait, ce n’était pas trop tôt ! »

Sous la voûte des aveugles, on s’est arrêté
Pour expérimenter un essai sur la cécité
En hommage à José Saramago,
On a trouvé ça très rigolo.

En riant, on a lu les dispositions de 1733.
À l’impasse des Lilas,
La fleuriste n’était plus là,
Des lilas, il n’y en avait pas.

Pauvre ami, tenons bien la barre,
Le corona va passer par là
Et ce virus est un barbare
Dans le genre d’Attila.

Intrépides, nous avons affronté le Bargello,
On a traversé d’un bond le Mercato Nuovo,
Et caressé le nez du Porcellino comme Andersen
En pensant à Copenhague, à la couronne et à sa petite Sirène.

À l’heure du repas de midi,
Le bœuf florentin nous passa sous le nez ;
Le restaurant était légalement fermé.
L’humour livournais un instant nous divertit.

À la rue Tornabuoni, de Laurent le Magnifique,
On célébra la mère, une grande politique.
Puis, place de la République ;
Le Pape nous fit un sourire oblique.

Il nous indiqua la rue des Belles Femmes :
Toutes dehors, car les maisons sont fermées.
Reste un pigeon, une fontaine goutte abandonnée
Et Dante, aviné, guigne les dames.

« Sur la place ensoleillée,
Les enfants en pleine journée ;
Sous le soleil, la place déserte
Se fige sous l’alerte. »

Piazza Santa Maria Novella –
Place Sainte Marie Nouvelle,
Le fantôme de l’Athée clame la nouvelle :
C’est le printemps, le printemps est là.

La Guerre frappe à la porte


La Guerre frappe à la Porte

Chanson française – La Guerre frappe à la Porte – Marco Valdo M.I. – 2020

ARLEQUIN AMOUREUX – 45

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l’édition française de « LES JAMBES C’EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.





Dialogue Maïeutique

Comme tu l’avais remarqué depuis longtemps, Lucien l’âne mon ami, la chanson est chose poétique et souvent, énigmatique, elle s’exprime de façon cryptique. Elle joue sur la sensation de mystère, elle s’appuie sur le sentiment d’incertitude. On ne la comprend pas toujours immédiatement, mais toujours, on sent ce qu’elle veut dire. Ensuite, il y faut du temps et certaines répétitions.

Parfois, la chanson, vois-tu Marco Valdo M.I. mon ami, me fait penser à une ânesse qui se fait prier pour vous inviter à la danse du printemps.

C’est un peu ça, assurément, dit Marco Valdo M.I. ; c’est une demoiselle ou une dame qui aime prendre son temps, qui apprécie qu’on la regarde d’un œil ardent. Donc, la chanson est ainsi faite qu’il lui faut apprivoiser les gens.

Excellentes considérations, répond Lucien l’âne, un peu interloqué par la tournure de la conversation, mais – car il y a toujours un mais – mais que raconte cette chanson-ci au titre si ronflant ?

Avec les chansons précédentes : La Sainte Famille et La Résurrection, explique Marco Valdo M.I., on avait assisté à un spectacle à rebondissements.

Oh, dit Lucien l’âne, excuse-moi de t’interrompre, mais c’est toujours comme ça avec ces choses -là ; les gens sont tellement influençables.

Oui, reprend Marco Valdo M.I. en souriant, et même, fort crédules. Cependant, revenons aux faits. C’était le spectacle d’adieu de la petite troupe d’Andrea Sereno. Elle se donnait dans une caverne ou un lieu tout comme et elle s’achevait par la mort, la résurrection et la remort d’Arlequin.

Je me souviens, dit Lucien l’âne. La remort est inévitable dès lors qu’il y a résurrection.

Dès lors, on pourrait imaginer l’affaire classée, mais – car il y a toujours un mais – mais il n’en est rien, comme je m’en vas te le conter. Arlequin remort vient sur scène, silencieux et raidement étrange, Matthias pour qui aussi c’est la dernière représentation de son théâtre de marionnettes. Comme Matthias ne rajeunit pas, que ses cheveux sont partis presque tous on ne sait où, qu’il est vêtu à la va comme je te pousse, c’est une sorte de vieil épouvantail que le public distingue et comme tous les publics, il croit que c’est là une partie du spectacle, d’un spectacle censément comique, baroque, grotesque, il rit. Il rit de ce vieil homme qui fait ses adieux, planté sans rien dire au milieu de nulle part.

Ça me rappelle, dit Lucien l’âne, l’histoire tragique de ce clown au pied de l’échelle qui regarde avec un sourire béat de comédie la lune tout là-haut et finit sous les rires, par mourir à l’endroit où son cœur l’a lâché ; ou cet autre qui jouait du violon dans cette chanson si poignante de Gianni Esposito qui portait justement ce titre : « Le Clown », sans doute une des plus belles chansons françaises.

Oui, Lucien l’âne mon ami, c’est bien cette atmosphère ambiguë de rire trompeur et de pleurs pour de rire dont s’habille la chanson. Et tous finalement s’en vont, le clown n’a pas bougé et dans le fond, tout en haut dans le noir, un silhouette féérique se tint immobile comme une statue. Ainsi, on n’a plus que deux statues en une sorte de jeu de miroir : le Commandeur et la Commandeuse.

Mais quand même, Marco Valdo M.I. mon ami, on ne joue pas Don Juan.

Eh bien, répond Marco Valdo M.I., si ! Ça se pourrait, car souviens-toi de l’épisode en chanson : « Une Statue ne porte pas de Caleçon », tout comme « Les cadavres ne portent pas de costard », épisode où Sevastiano, alias Matthias, Andrea et consorts, était le Commandeur.

Oui, en effet, répond Lucien l’âne, c’était un moment fort dramatique, d’une comicité remarquable, un instant-clé de l’histoire du déserteur. Cela dit, quoi ensuite ? Qu’est-ce qui se passe entre ce Commandeur et cette Commandeuse ?

Lucien l’âne mon ami, ce sont les retrouvailles d’Arlecchino et d’Arlecchina, où Arlecchina va danser la danse du ventre, chose orientale, qu’elle fera voilée aux endroits cruciaux de son anatomie, comme il se doit. Le reste, la chanson te le dira, ainsi que la rumeur de la guerre qui se rappelle aux acteurs du monde.

En attendant d’en savoir plus, nous qui vivons, rions, rions et tissons le linceul de ce vieux monde solennel, en état d’urgence, en alerte, couronné et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane


Sur les planches, l’Arlequin de bois est mort,
L’Arlecchino de chair, heureusement, pas encore.
Sur la scène, mutique commandeur anonyme,
Matthias est venu, salut ! Dernière pantomime,

Sans geste, sans mot dire,
Et le public de sourire
Et les gens de rire du message
Du vieux clown si sage.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

L’assistance se disperse dans le noir.
Là-haut, tout là-haut, en haut du perchoir,
Une silhouette est assise, silencieuse :
Une femme, pas une gourgandine licencieuse.

Vous là-haut, approchez, ne restez pas là !
Qui êtes-vous ? Je ne vous vois pas.
C’est moi, Arlecchina, Arlecchino !
Alors, tu n’es pas fâché, Pollo ?

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Oh, dis-moi, Pollo, es-tu heureux ?
Avec mes gens de bois, on a joué un peu ;
Heureux, dis-tu ? Je ne sais pas.
Je suis, je suis, je suis moi.

Danse, Arlecchina, mon ombre !
Danse la danse des voiles sombres
Et cache bien ce qu’on ne voit pas.
À la porte, la guerre frappe encore une fois.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.