jeudi 21 septembre 2017

Juste un homme

Juste un homme


Chanson française – Juste un Homme – Marco Valdo M.I. – 2017




Juste un homme




Petite notice récapitulative : il y a un certain temps, en deux temps en 2005 et en 2009, j’avais écrit, puis publié une chanson intitulée « Sto benissimo ! Je vais très bien ! ». Je l’ai parcourue récemment et il m’est apparu qu’elle ne disait qu’une partie des choses ; je l’ai donc revue, j’y ai ajouté une dernière tranche et j’en ai fait une chanson nouvelle avec un titre nouveau « Juste un homme », qui n’est pas sans donner une réponse contemporaine à la question de Primo Levi : « Se questo è un uomo » – « Si c’est un homme », car c’est la même question qui se pose ici ; et aussi, à son autre question « Se non ora, quando ? » – « Si pas maintenant, quand ? », qui doivent être réinsérée dans le courant du temps et être posées à tous les niveaux de la Guerre de Cent Mille Ans, même et surtout aux niveaux les plus modestes, les plus minuscules, à l’intérieur-même de l’être ; comme on le sait, cette Guerre a mille facettes, cette Guerre trouve ses prolongements jusque dans la vie quotidienne. Nous sommes à l’ère de la généralisation de la devise libérale : « Arbeit macht frei ! ».

On connaît tous de ces gens, de ces athlètes du travail, de ces marathoniens de l’effort, de ces acharnés de l’activité, de ces malades atteints d’un cancer du lucre, de ces accros de la calculette, du téléphone et de l’ordinateur, de ces stakhanovistes du capital, de ces fétichistes de l’action et des bourses, de ces obsédés du rendement et de ces tueurs de coûts qui s’agitent tellement qu’ils suent le « burnout ». Au passage, je rappelle cette élégante expression coloniale : « faire suer le burnous » qui exprimait finement qu’il fallait faire crever de travail les Maghrébins, qu’il convenait d’exploiter au maximum le personnel indigène. Paradoxalement, en dépit de la disparition des colonies, cette loi d’airain est de plus en plus appliquée là-bas dans le Sud, mais aussi, ici, aux « nouveaux travailleurs » de notre ère de prospérité déséquilibrée.

Il faut reconnaître également que pour assurer la croissance éternelle, ces messieurs s’appliquent à eux-mêmes ces tourments jusqu’à s’y brûler les ailes et le reste. Précisément, en angliche, « Burn out ». Un esprit espiègle y entendrait : « Burnes out », traduction : génitoires à sec, couilles plates et il ne se tromperait pas, me susurre mon ami Jean, médecin de son état.

Ces gens-là, Monsieur, se soignent à l’autoconviction, à l’autoconditionnement : Je vais bien, je vais très bien, disent-ils, et ils en meurent. Enfin, s’ils n’en meurent pas tous tout de suite (et c’est bien dommage!), tous en sont frappés là où disait l’esprit espiègle.

Le travailleur de base (ancien ou nouveau), lui, fait moins de chichi. Il maintient la façade, sous peine de perdre son emploi, mais il sait qu’il est toujours éreinté par un travail qui dans le meilleur des cas, l’indiffère et qu’à la vérité, la plupart du temps, il déteste.
Et puis, un jour, la bulle éclate et il crie la vérité : Je suis mal, très mal. Ils me prennent pour un élément, pour une chose, pour un rouage. Ici, il crie : « je ne suis pas un élément, je ne suis pas une pièce d’auto, un morceau de radiateur ».

C’est le début d’une libération; elle commence par la dénonciation, elle naît dans la haine et finit dans l’affirmation de soi, dans la révélation de la conscience d’être un homme, dans l’idée qu’il y va de la dignité, de la conscience et de la vie elle-même.
Alors, s’achève le temps des plaît-il maître, ainsi finit le temps des courbettes et de l’acceptation.

Du coup, notre personnage va mieux, beaucoup mieux et le refrain soudain devient vérité : il va très bien, benissimo. Mais c’est encore une illusion, induite par la nécessité de donner une « bonne image de soi », de développer un nouveau versant de la « méthode Coué », où le placebo est remplacé par des incantations. Là s’arrêtait la version ancienne ; elle s’y arrêtait ironiquement, c’était évident.
Mais il convient parfois de mettre des points sur des « i » et de dire le « non-dit », le « sous-entendu », car il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre et on ne voit que ce qu’on veut bien voir ou que ce qu’on veut ne pas se dissimuler. À l’échelon de la personne, se pose alors une question de santé mentale et surgit la nécessité de la vérité regardée en face et de l’acte de libération. C’est la seule voie possible de guérison.

Et là, commence la révolte : « Non siamo più cose, ma protagonisti ! » « Ne soyons plus des choses, mais des protagonistes ! » ; c’est une sentence de résistance énoncée par Carlo Levi dans le premier bulletin de la Filef (Fédération internationale [italienne] des Travailleurs et de leurs familles), dont il était le fondateur. Avec ce cri de révolte, l’esclave prend le chemin de la résistance ; il ne le quittera plus. Il redevient alors « Juste un homme ».
Peut-être, un jour, au passage, au détour d’un sentier, près d’un étang nommé Walden, rencontrera-t-il un promeneur ou une sorte de coureur des bois, qui le confirmera dans sa nouvelle dignité d’homme libre.

Ora e sempre : Resistenza !

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.



Très bien ! Très bien !
Je vais très bien !
Je le dis ! Je le dis !
Je le suis ! Je le suis !
Mais ce n’est pas vrai,
Ce n’est pas vrai !
Je vais mal, très mal !
Je suis normal !
Je suis un élément ! Un bon élément !
Qu’ils disent. En somme,
Bien calculé : Un bon élément !
Au lieu de dire homme,
D’user du mot personne,
Ils disent élément !
Pour eux, on est une chose anodine,
Une machine,
Un radiateur,
Ou un morceau de moteur.

Au lieu d’hommes,
Ils veulent des éléments.
Plus des hommes,
Des éléments, des documents,
Documents, documents,
Plus des hommes
Des documents,
Des documents,
Nous sommes en somme,
Des objets, des instruments,
Mais plus des hommes,
Rien que du néant.
Je les hais, je les hais,
Ces monstres !
Ces monstres et leurs secrets,
Je les hais !
Ce sont de vrais monstres.
Je les hais ! Je les hais !

Très bien ! Très bien !
Je vais très bien !
Je le dis ! Je le dis !
Je le suis ! Je le suis !
Très bien ! Très bien !
Je vais très bien !
Je le dis ! Je le dis !
Je le suis ! Je le suis !
Mais ce n’est pas vrai,
Ce n’est pas vrai !
Je vais mal, très mal !
Très mal ! Très mal !
C’est normal,
Je suis normal !
C’est évident, en somme :
Je ne suis plus un homme.
Je suis un instrument,
Juste un élément.

Pas très bien ! Pas trop bien !
Je ne vais pas trop bien !
Du lundi au lundi !
Je le dis ! Je le dis !
Très mal ! Très mal !
Je vais très mal !
Je le sais ! Je le sens !
Je le sens ! Je le ressens !
Ça doit cesser !
Ça doit changer !
Fini d’accepter !
Fini de m’incliner !
Je redeviens un homme,
Seulement un homme.
C’est évident en somme :
J’ai des bras, j’ai des mains,
Je suis un être humain,
Juste un homme !