vendredi 1 mai 2015

DANS LA TRANCHÉE

DANS LA TRANCHÉE



Version française – DANS LA TRANCHÉE – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson flamande – In de loopgraf – Einstürzende Neubauten – 2014
Texte – Poème : In de loopgraaf – Paul van den Broeck – 1916



Un coucou appelle.
Comment puis-je danser maintenant?
Comment puis-je danser un, deux, trois ?
Dans ma tombe, c'est trop étroit.




Ou je me trompe, ou voici un terrible jeu de mots en néerlandais et même, plus exactement, en flamand… Et j'espère bien qu'il en soit ainsi. Car, vois-tu Lucien l'âne mon ami, l'orthographe habituelle est « loopgraaf » qui signifie en français : tranchée. Cependant, il est nettement écrit : « loopgraf ». D'ailleurs, le poème original s'intitulait : « In de loopgraaf ».


Et alors, dit Lucien l'âne un peu stupéfait ?


Et alors, dit Marco Valdo M.I., il me semble que cette « erreur » est volontaire et au lieu d'avoir « un endroit creusé où l'on court » (graven est le verbe qu'on peut traduire par creuser) – c'est-à-dire effectivement une « tranchée » ; on aurait « une tombe où l'on court » (graf étant la tombe, le tombeau). Tu me diras que vu du côté de l'Yser, il y a cent ans, c'était du pareil au même. Les tranchées n'étaient en définitive que des « boyaux de la mort ». Donc, je me rallie à l'erreur volontaire. Par ailleurs, je me dois d'insister sur le fait que cette chanson est en flamand et pas en néerlandais (ABN), deux langues proches, mais il y a des nuances et s'agissant de la guerre de 1914-18, d'une incidence pas seulement linguistique. Et, je t'assure que je ne dis pas ça gratuitement. J'ai au moins deux bons arguments à avancer : le premier, c'est que l'auteur du texte est un Flamand – il s'agit de Paul van den Broeck (1882 -1940), pacifiste, connu comme « de "mysterieuze Vlaamse oorlogsdichter" (Le mystérieux poète de guerre flamand), dont on ne connaît que les deux poèmes repris dans les Chansons contre la Guerre ; ce qui soit dit en passant est fort dommage. Il aurait été proche de Paul Van Ostaijen, un autre poète flamand plus connu et comme lui, proche des mouvements dada et de l’expressionnisme. Le deuxième argument est la présence du mot « manillen », qui est recensé comme un mot du néerlandais de Belgique, autrement dit du flamand. La « manille » est un jeu de cartes venu de France et qu'on jouait dans les tranchées pour tuer le temps, en espérant ne pas être tué soi-même. J'ajoute un troisième argument – de taille celui-là – c'est que ces fameuses tranchées se trouvaient dans le réduit derrière l'Yser, donc en pays flamand et que les Pays-Bas (Nederland) se disaient neutres et n'intervenaient en rien directement dans ces histoires de tranchées, tout en donnant passage et refuge aux troupes allemandes en déroute et en donnant asile à l'Empereur Guillaume II[[38007]] – au point qu'à la fin de la guerre, l'armée néerlandaise était prête à envahir « préventivement » la Belgique, qui demandait réparation de cette fausse neutralité.


Et bien, Marco Valdo M.I., on en apprend tous les jours avec toi… Il y a bien longtemps qu'on ne m'avait plus parlé de cet épisode qui faillit – n'était l'intervention des Alliés – relancer immédiatement une autre guerre. Dis-moi, la chanson elle-même


C'est vraiment un très étonnant poème fait de notations sobres, qui rappelle les danses de morts du Moyen-Âge. Quant au coucou, en effet, on l'entendait tous les jours dans les tranchées… Mon aïeul, qui y fut 4 ans, quand il entendait un coucou, tressaillait encore des dizaines d'années plus tard.


Alors, voyons cette chanson et reprenons, à notre tour, notre tâche – des plus pacifiques – et tissons le linceul de ce vieux monde qui va de guerre en guerre vers sa propre disparition, inconscient et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Comment puis-je danser un, deux, trois ?
Comment puis-je danser dans
ces boyaux étroits ?Cette nuit est si calme ;
La lune est ronde et pleine.

Je veux danser,
Je veux danser.
Mais comment puis-je danser dans ces tranchées étroites ?
Les camarades, jusqu'aux os, sont épuisés.
Les camarades ont un accordéon et du genièvre.
Ils jouent
Avec leurs os enfoncés dans la boue.

Je veux danser un, deux, trois,
Dans mon boyau étroit ;
Pas dans mon abri,
Mais, libre dans la nuit.


Je veux danser, encore avec les dernières étoiles
L'aube apporte les salves et les grenades
Entre les lignes.
Imperturbable, malgré le grondement,
Un coucou appelle.
Comment puis-je danser maintenant?
Comment puis-je danser un, deux, trois ?
Dans ma tombe, c'est trop étroit.

ARRIÈRE-PAYS

ARRIÈRE-PAYS


Version française – ARRIÈRE-PAYS – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson flamande - Achterland – Einstürzende Neubauten – 2014



Font l'acier 
Fondent les rails 
Et les mortiers
Ne pas le dire ne pas le dire ne pas le dire ne pas le dire


Ne pas le dire ne pas le dire ne pas le dire ne pas le dire !
Ici, le repos veut dire :

Chasser les poux !
Ils vivent uniquement de notre sang

Mais

De sang, d’autres vivent ailleurs :
Producteurs d’obus,
Fournisseurs de rations, 
Poudre à canon, balles,
Tous dans l’arrière-pays
Des pays neutres.


Chauffeurs, filles, brancardiers, docteurs

Font l’acier, 
Fondent les rails, 
Et les mortiers.
Ne pas le dire ne pas le dire ne pas le dire ne pas le dire
(on devra aussi enlever mes pensées comme les poux)
De sang, ils vivent ailleurs.


Ne pas le dire ne pas le dire ne pas le dire ne pas le dire !
Ici, le repos veut dire :

Chasser les poux !
Ils vivent uniquement de notre sang


Mais

De sang, d’autres vivent ailleurs :
Producteurs d’obus,
Fournisseurs de rations, 
Poudre à canon, balles,
Tous dans l’arrière-pays
Des pays neutres.