DANS LA TRANCHÉE
Version
française – DANS LA TRANCHÉE – Marco Valdo M.I. – 2015
Chanson
flamande – In
de loopgraf – Einstürzende
Neubauten – 2014
Texte
– Poème : In de loopgraaf – Paul van den Broeck – 1916
Un coucou appelle. Comment puis-je danser maintenant? Comment puis-je danser un, deux, trois ? Dans ma tombe, c'est trop étroit. |
Ou
je me trompe, ou voici un terrible jeu de mots en néerlandais et
même, plus exactement, en flamand… Et j'espère bien qu'il en soit
ainsi. Car, vois-tu Lucien l'âne mon ami, l'orthographe habituelle
est « loopgraaf » qui signifie en français :
tranchée. Cependant, il est nettement écrit : « loopgraf ».
D'ailleurs, le poème original s'intitulait : « In de
loopgraaf ».
Et
alors, dit Lucien l'âne un peu stupéfait ?
Et
alors, dit Marco Valdo M.I., il me semble que cette « erreur »
est volontaire et au lieu d'avoir « un endroit creusé où l'on
court » (graven est le verbe qu'on peut traduire par creuser) –
c'est-à-dire effectivement
une « tranchée » ; on aurait « une tombe où
l'on court » (graf étant la tombe, le tombeau). Tu me diras
que vu du côté de l'Yser, il y a cent ans, c'était du pareil au
même. Les tranchées n'étaient en
définitive
que des « boyaux de la mort ». Donc, je me rallie à
l'erreur volontaire. Par
ailleurs, je me dois d'insister sur le fait que cette
chanson est en
flamand et pas en néerlandais (ABN), deux
langues proches, mais il y a des nuances et s'agissant de la guerre
de 1914-18, d'une incidence pas seulement linguistique.
Et, je
t'assure que je
ne dis pas ça gratuitement. J'ai au moins deux bons arguments à
avancer : le premier, c'est que l'auteur du texte est un Flamand
– il s'agit de Paul van den Broeck (1882 -1940), pacifiste,
connu comme
« de "mysterieuze
Vlaamse oorlogsdichter" (Le
mystérieux poète de guerre flamand), dont on ne connaît que les
deux poèmes repris dans les Chansons contre la Guerre ; ce qui
soit dit en passant est fort dommage. Il aurait été proche de Paul
Van Ostaijen, un autre poète flamand plus connu et comme lui, proche
des mouvements dada et de l’expressionnisme. Le deuxième argument
est la présence du mot « manillen », qui est recensé
comme un mot du néerlandais de Belgique, autrement dit du flamand.
La « manille » est un jeu de cartes venu de France et
qu'on jouait dans les tranchées pour tuer le temps, en espérant ne
pas être tué soi-même. J'ajoute un troisième argument – de
taille celui-là – c'est que ces fameuses tranchées se trouvaient
dans le réduit derrière l'Yser, donc en pays flamand et que les
Pays-Bas (Nederland) se disaient neutres et n'intervenaient en rien
directement dans ces histoires de tranchées, tout en donnant passage
et refuge aux troupes allemandes en déroute et en donnant
asile à l'Empereur Guillaume II[[38007]] – au point qu'à la
fin de la guerre, l'armée néerlandaise était prête à envahir
« préventivement » la Belgique, qui demandait réparation
de cette fausse neutralité.
Et
bien, Marco Valdo M.I., on en apprend tous les jours avec toi… Il y
a bien longtemps qu'on ne m'avait plus parlé de cet épisode qui
faillit – n'était l'intervention des Alliés – relancer
immédiatement une autre guerre. Dis-moi, la chanson elle-même
C'est
vraiment un très étonnant poème fait de notations sobres, qui
rappelle les danses de morts du Moyen-Âge. Quant au coucou, en
effet, on l'entendait tous les jours dans les tranchées… Mon
aïeul, qui y fut 4 ans, quand il entendait un coucou, tressaillait
encore des dizaines d'années plus tard.
Alors,
voyons cette chanson et reprenons, à notre tour, notre tâche –
des plus pacifiques – et tissons le linceul de ce vieux monde qui
va de guerre en guerre vers sa propre disparition, inconscient et
cacochyme.
Heureusement !
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Comment
puis-je danser un, deux, trois
?
Comment puis-je danser dans ces boyaux étroits ?Cette nuit est si calme ;
Comment puis-je danser dans ces boyaux étroits ?Cette nuit est si calme ;
Je
veux danser,
Je veux danser.
Mais comment puis-je danser dans ces tranchées étroites ?
Les camarades, jusqu'aux os, sont épuisés.
Les camarades ont un accordéon et du genièvre.
Ils jouent
Avec leurs os enfoncés dans la boue.
Je veux danser.
Mais comment puis-je danser dans ces tranchées étroites ?
Les camarades, jusqu'aux os, sont épuisés.
Les camarades ont un accordéon et du genièvre.
Ils jouent
Avec leurs os enfoncés dans la boue.
Je
veux danser, encore avec les dernières étoiles
L'aube apporte les salves et les grenades
Entre les lignes.
Imperturbable, malgré le grondement,
Un coucou appelle.
Comment puis-je danser maintenant?
Comment puis-je danser un, deux, trois ?
Dans ma tombe, c'est trop étroit.
L'aube apporte les salves et les grenades
Entre les lignes.
Imperturbable, malgré le grondement,
Un coucou appelle.
Comment puis-je danser maintenant?
Comment puis-je danser un, deux, trois ?
Dans ma tombe, c'est trop étroit.