dimanche 5 octobre 2014

Décret

Décret

Canzone française – Décret – Marco Valdo M.I. – 2014

Le Livre Blanc 11

Opéra-récit contemporain en multiples épisodes, tiré du roman de Pavel KOHOUT « WEISSBUCH » publié en langue allemande – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1970 et particulièrement de l'édition française de « L'HOMME QUI MARCHAIT AU PLAFOND », traduction de Dagmar et Georges Daillant, publiée chez Juillard à Paris en 1972.




En vue d'assurer l'ordre et la sécurité de l'État
Le Gouvernement décrète
L'État d'urgence


Comme je connais ta mémoire à éclipses, ta distraction proverbiale et ta curiosité insatiable, je te remémore rapidement les épisodes antérieurs de cette saga du Livre Blanc. Tout a commencé, il t'en souviendra…


Je veux bien, Marco Valdo M.I. mon ami, que tu me taquines et que fasses des circonlocutions tarabiscotées pour épater le lecteur ou l'auditeur, c'est selon, mais quand même, je te rappelle qu'en matière de mémoire et de souvenance, je ne suis pas en reste vis-à-vis de beaucoup… Dois-je te rappeler le nombre de fois où je t'ai démontré péremptoirement une faculté de souvenir largement au-delà de tout ce que tu pourrais trouver chez d'autres, excepté peut-être et encore, chez des historiens de profession.

Ho, Lucien l'âne mon ami, ne t'emballe pas ainsi. Je le sais bien tout ça et j'ai souvent apprécié tes souvenirs. Néanmoins, si ce n'est pour toi, il me faut faire ce récapitulatif afin de recadrer l'histoire et de préciser le sens de l'intervention du Gouvernement en cette affaire. Ça ne sera pas long et ce l'aurait été encore moins si tu ne m'avais malencontreusement interrompu. Jusqu'ici, nous avons eu dix épisodes : au premier, Adam s'élève au plafond – dans sa propre chambre et effraye sa maman ; elle le prend pour un génie. À partir de là, tout s'enchaîne : au deux, son collègue, professeur de physique, le dénonce à la police ; au trois : le directeur de l'école tente d'étouffer l'affaire ; au quatre, l'oncle Hopner dévoile le ressort secret de l'histoire : une loi transgressée n'est plus une loi ; au cinq : la presse s'en mêle : c'est l’interview ; au six : la genèse d'Adam, petit détour biographique une nuit de Noël ; au sept : la diabolisation d'Adam par l'Église ; au huit : tirs d'artillerie médiatiques ; au neuf : sommé de se rétracter, Adam se marre ; au dix : les partisans d'Adam se réveillent… Nous en sommes au onze…


Bien. Au onze. Et que se passe-t-il ?, dit Lucien l'âne en tapant le sol d'un coup de sabot.


Le onze… C'est le moment où intervient le Gouvernement. Franchement, il ne pouvait plus attendre. Enfin, je veux dire, pour un gouvernement ; et il va s'en occuper sérieusement (d'Adam et des remous qu'il déclenche) en décrétant rien moins que l'état d'urgence et en définissant une série de missions et d'interventions des plus hautes autorités, car à ses yeux, l'affaire a pris une trop grande dimension et il s'agit de reprendre les choses en mains avant que le désordre ne s'empare de la nation et que le pays ne devienne ingérable et peut-être même, qui sait, se lance dans une révolution…


C'est un processus classique bien connu. Une réaction typique du pouvoir face à un mouvement d'opinion qui le dérange ; c'est en quelque sorte, « la réaction ».


Bien évidemment, tu as raison. C'est typique, c'est classique et c'est quasiment automatique. Mais ici, il faut y insister, on est dans la satire, comme c'était le cas dans Clochemerle, roman vigneron du Beaujolais. Et comme pour Clochemerle, ça n'en est que plus savoureux. Pour le reste, je te laisse découvrir la chanson.


Oui, oui, je suis tout ouïe. Juste un mot cependant en ce qui concerne Clochemerle, j'y étais et ce fut une immense partie de plaisir. Et pas seulement lors du concours du premier biberon… Cela dit, revenons à notre tache et tissons le linceul de ce vieux monde sécuritaire, recroquevillé, policier, gouvernemental et cacochyme.


Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.




Attendu que… et cetera, et cetera
En vertu de la loi… et cetera, et cetera
En vue d'assurer l'ordre et la sécurité de l'État
Le Gouvernement décrète
L'État d'urgence
En foi de quoi :
Il est interdit à toute la population
Sans aucune distinction
D'âge, de sexe, de couleur, de religion
De se promener au plafond
De procéder à toute forme d'ascension
De critiquer de n'importe quelle façon
L'intangible Loi de Newton.


Attendu que… et cetera, et cetera
En vertu de la loi… et cetera, et cetera
En vue d'assurer l'ordre et la sécurité de l'État
Le Gouvernement décrète
L'État d'urgence.
Sont chargés de l'application
Des présentes dispositions :
Le Ministre de l'Intérieur : sur terre
Le Ministre des Armées : sur mer et dans les airs
Le Ministre de l'Éducation a pour mission
De suspendre les cours de sciences sans distinction
Le Ministre de la Justice a pour mission
De poursuivre le responsable de la situation
Et tous autres trublions
En respectant toutefois les lois et la Constitution.


Attendu que… et cetera, et cetera
En vertu de la loi… et cetera, et cetera
En vue d'assurer l'ordre et la sécurité de l'État
Le Gouvernement charge le Ministre de la Communication
Par tous les moyens et sans délai
D'informer la nation qu'il est :
Interdit à toute la population
Sans aucune distinction
D'âge, de sexe, de couleur, de religion
De se promener au plafond
De procéder à toute forme d'ascension
De critiquer de n'importe quelle façon
L'intangible Loi de Newton.


Attendu que… et cetera, et cetera
En vertu de la loi… et cetera, et cetera
En vue d'assurer l'ordre et la sécurité de l'État…
Attendu que… et cetera, et cetera
En vertu de la loi… et cetera, et cetera

En vue d'assurer l'ordre et la sécurité de l'État…

LOIN LOIN…


LOIN LOIN…

Version française – LOIN LOIN… – Marco Valdo M.I. – 2014
Chanson italienne – Lontano lontano…Franco Fortini1990-91
Interprétation : Margot – 2011


Une des « Sette canzonette del Golfo – Sept chansonnettes du Golfe » du recueil « Composita solvantur », le dernier publié avant la mort du poète en 1994 et qui rassemble des poèmes écrites entre 1984 et 1993.
Musique de Margot Galante Garrone, de son album « Margot » d
e 2011.


Moi, je me suis blessé ce matin
À une tige de rosier, me piquant le doigt ;





Cynique chanson du vieux et désenchanté Fortini, désormais proche de son départ libérateur de ce monde cruel. Dédiée à la guerre par laquelle Bush Senior inaugura le Nouvel Ordre Mondial dans le sang des millions se noient/nous pataugeons encore aujourd'hui…


Admettons, dit Lucien l'âne en se penchant avec douceur et lançant un regard de derrière ses oreilles tombantes… Admettons que je ne puisse juger de cette canzone qu'au travers de ta version…


Admettons, dit Marco Valdo M.I. Admettons cela, Lucien l'âne mon ami , et il le faut bien puisque c'est là souvent – pour celui qui n'entend que le français, la seule façon de faire et qu'il lui faut alors s'y résigner. Admettons…


Cela admis, dit Lucien l'âne relevant le crâne, je trouve cette canzone, ce poème, d'une grande lucidité et en cela, terrible. Ainsi, Fortini avait raison. Et puis, elle a l'air de sortir tout droit des grands champs de poésie où cueillirent qui la rose, qui le coquelicot ; on y entend comme en écho, Odilon-Jean Périer ou peut-être, Verlaine. Sans doute, parlaient-ils d'autres choses, mais ils ne parlaient pas différemment.


Oh, je sais, je sais…, Lucien l'âne mon ami. La poésie, cette songerie… les grands tam-tams et les bruyantes boîtes la fracassent à chaque instant… Mais la poésie… tout de même.


Tout de même, la poésie pour tisser le linceul de ce vieux monde plein de bruits, de guerres, de tristesses, de morts et cacochyme.



Heureusement !



Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Loin loin, on fait la guerre ;
Le sang des autres coule à terre.


Moi, je me suis blessé ce matin
À une tige de rosier, me piquant le doigt ;

En suçant ce doigt, je pensais à la guerre
Oh, pauvres gens, qu'elle est triste la terre.

Je ne puis parler, je ne peux maudire ;
Ni par le ciel, ni par la mer, je ne peux partir.

Et si même, ô gens sans défense, je le pouvais,
Mon arabe est nul ! Indigent mon anglais !


Puis-je sous la tête des corps à terre
Déposer mon fort volume de vers ?


Je ne le crois pas. Cessons cette ironie vaine.
Le soleil va tomber. Mettons une laine.