ASILEOUBUREAU
Version
française – ASILEOUBUREAU – Marco Valdo M.I. – 2013
Chanson
italienne – Manicomioufficio – Vanesia
– 2009
Canzone
participante au concours oltre
il muro
Ah,
Lucien l'âne mon ami, voici une chanson au titre des plus
étranges... En italien, « manicomio », c'est l'asile d'aliénés,
ce lieu où à défaut de les soigner, on garde les fous, les malades
mentaux. En italien, mais tu connais mieux l'italien que moi, je le
dis donc de façon un peu rhétorique, à la cantonade, façon de
causer donc et préambule à la chanson – canzone, en italien.
Donc, en italien, « ufficio », c'est le bureau, mot qu'on trouve
d’ailleurs en français, sous le nom d'office... Mais dans cet
usage, il a vieilli et ce n’était de toute façon pas tout à fait
correct... Un anglicisme, comme qui dirait. Je te dis tout ça, car
le titre de la canzone est un motvalise qui rassemble en un seul mot
les deux mots (manicomio et ufficio) pour en faire un seul
(manicomioufficio); comme je viens de le faire pour le mot : «
mot-valise ».
Je
vois, je vois, dit l'âne Lucien, un peu éberlué. Tu te lances
encore dans des considérations oiseuses, juste pour me dérouter.
Comme si je ne savais pas ce qu'est un motvalise, et comme si je ne
pouvais pas le distinguer... J'ai aussi compris que le nouveau
français est très polymorphe et que bien inspiré par ses
cousinages germaniques, il s'est enfin décidé à jeter sa gourme et
à se comporter comme une langue moderne. Bref à se simplifier et à
abandonner sans aucun complexe, le trait d'union superfétatoire,
dans la création de motvalises. Comme tu le remarqueras, j'ai mis le
motvalise au pluriel, je l'ai accordé ; enfin, je veux dire tout le
motvalise, le considérant comme un objet en soi, somme un ensemble
cohérent. Donc, un motvalise, des motvalises.
C'est
la logique même, dit Lucien l'âne d'un air pénétré.
Il
eût été absurde de faire autrement. On doit faire simple, car la
modernité est de tout simplifier. Imagine un instant qu'on se règle
sur bonhomme... Ça a l'air simple : un bonhomme, des bonshommes.
Mais imagine un instant que ce bonhomme soit, comme on dit, d'un
caractère bonhomme et donc, un bonhomme bonhomme et qu'il se
reproduise, qu'il se mette à proliférer... On devrait alors dire et
écrire de ses descendants ou de ses répliques : des bonshommes
bonhommes. Car surprise ! Le nom « bonhomme » n'a pas le même
pluriel que l'adjectif correspondant et homonyme. Donc, simplifions,
compactons, serrons, cohérons...
J'ai
cru aussi comprendre, dit Lucien l'âne d'un air rêveur, que
soucieux des anciens et des ancêtres, il est admis de façon
définitive que ce qui était reste et qu'on pourra donc sans aucune
réticence vivre la bigamie des mots. Par exemple ici, mot-valise et
motvalise...
C'est
tout à fait ça ! Évidemment, il faudra que ces foutus correcteurs
automatiques se fassent à cette mise en liberté des mots et des
phrases... Abandonnons joyeusement le trait d'union et revenons à la
chanson et à son curieux titre : manicomioufficio. Dit comme ça, à
première vue, il me fut incompréhensible et pour respecter cette
première sensation, sans doute intentionnellement posée là par
l'auteur, j'ai donc dû recourir moi aussi à un motvalise et j'ai
donc créé de toutes pièces le mot chargé d'exprimer « asile ou
bureau » et qui de fait, est devenu : « asileoubureau ».
Voilà
bien une histoire de fous, dit Lucien l'âne en riant de toutes ses
dents, d'un rire énorme et pour lequel il dut relever le front, se
balancer les oreilles en arrière et montrer sa belle langue au grand
jour. Soudain, je me demande et je te le demande aussi pourquoi,
finalement, on ne collerait pas l'adjectif au nom. Ce serait bien ;
regarde : une bellefille, un beaujour, un méchanthomme, un bonâne,
un fauxcol, un fauxcon (qui serait un drôledoiseau), une
histoirealambiquée, un bourreaubeau, un beaumotvalise... Évidemment,
comme dans certaines poses plastiques, quand il y a deux adjectifs,
on pourrait en mettre un par devant, l'autre par derrière..., une
longuehistoirealambiquée. Et même y ajouter un adverbe ; ce qui
donnerait : une trèslonguehistoirealambiquée. Quand on disait tout
à l'heure, qu'on pourra bientôt rivaliser avec nos cousins
germaniques. C'est juste une question de temps et de mise en
pratique.
Certes,
à l'oreille, on ne sentirait pas la différence. Et à l'écrit,
l'avantage serait de ne laisser aucun doute sur la parenté étroite
du nom et de l'adjectif et de l'éventuel adverbe. Vraiment, ça fait
plus solide, plus compact, plus moderne, en quelque sorte. Moi,
j'aime beaucoup de telles constructions langagières, mais comme tu
vois, faudra s'y faire. Encore une fois, revenons à la chanson. Que
dire ? J'ai perdu le fil. Ah oui, je me souviens à présent. Sur le
contenu de la canzone, je veux juste signaler qu'elle décrit très
exactement la sensation que doivent ressentir des millions de gens
dans ce monde plein d'écrans et de pointeuses. Ils finissent par
avoir le cerveau cuit, le mental ravagé... Le phénomène - en
franglais sanitaire : burn out, ce qui pourrait se traduire par
cramé, brûlé, ravagé par le feu - s'aggrave d'année en année.
Cela
ne se produisait-il pas auparavant ? , suggère Lucien l'âne un peu
hagard.
Avant
? Auparavant ? Mais enfin, Lucien l'âne mon ami, auparavant, il n'y
avait pas d'écrans... Le travail idiot ne s'en prenait pas comme ça
au cerveau... Avant, les gens se résumaient à des bras. Pour le
reste, c'était pareil. « Peu importe qui on est ! On est ce qu'on
fait ! » était déjà vérité d'évangile. Le lieu de travail
(forcé : celui de l'esclave, celui du salarié ou de tout qui est
contraint à travailler pour survivre – la fameuse menace : « pas
de travail, pas à manger ») a toujours été un lieu de folie – à
la fois, lieu fou et engendrant la folie.
Ceci
dit, dit Lucien l'âne, écoutons la chanson et reprenons notre tâche
qui est, je le rappelle, de tisser le suaire de ce vieux monde
dérangé de la coucourde avec ses araignées dans le plafond, ses
punaises dans le bois de lit, et ses rats dans la contrebasse et de
surcroît, cacochyme.
Heureusement
!
Ainsi
Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
À
l'asile, j'y vais tous les jours
Les gens disent que c'est normal
J'ai un badge pour m'identifier
Eux disent : on va travailler.
Peu importe qui on est ! Peu importe qui on est !
Les gens disent que c'est normal
J'ai un badge pour m'identifier
Eux disent : on va travailler.
Peu importe qui on est ! Peu importe qui on est !
Peut-être
est-ce la société qui est malade, à présent.
Sacrifice pour qui ?
Mais à la fin à quoi sert l'argent
Si pour le dépenser, on n'a pas le temps
C'est illogique, manifestement !
Sacrifice pour qui ?
Mais à la fin à quoi sert l'argent
Si pour le dépenser, on n'a pas le temps
C'est illogique, manifestement !
À
l'asile, tout est programmé systématiquement
Et chaque jour semble égal
Je passe les heures à fixer un écran
Et maintenant, j'ai perdu mon équilibre mental !
Et chaque jour semble égal
Je passe les heures à fixer un écran
Et maintenant, j'ai perdu mon équilibre mental !