mardi 12 juin 2018

Le Troupeau nu


Le Troupeau nu


Chanson française – Le troupeau nu – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 55

Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – III, XVI)





Et donc, Lucien l’âne mon ami, Till s’en allait par tous les lieux de terre porter aux gueux clandestins qui chantent le chant du coq le chant de l’alouette qui dit que la guerre s’en va sur la mer et l’océan et que tous se portent là-bas en Zélande au nid des Gueux de Mer.
Dans les champs de France, Till tournoyait au cœur de l’hiver ; il cherchait la route de Meuse qui s’en va vers Maastricht. Sur la neige, il vaguait ainsi armé de sa bonne arquebuse.

Ainsi va Till, dit Lucien l’âne malicieusement rieur.

Oui, reprend Marco Valdo M.I., ainsi va Till par les champs et les orées des forêts d’Ardenne. Il fuit les loups qui le suivent à la trace ; il doit en tuer un pour décourager les autres qui le serrent de trop près. Entretemps, le soleil s’était caché dans les brumes et en ce dimanche, à l’heure de la grand-messe, au bout de la prairie toute de gris et de blanc vêtue, sous la lueur pâle de la neige, Till distingue une cohorte fantomatique. C’est un troupeau d’hommes nus guidés au fouet par des gardians espagnols. Till planqué dans un bosquet élimine les soldats et emmène les prisonniers, qui se révélaient être des hommes de la même armée et du même régiment que lui, à la bonne ville de Mézières.

Que voilà-t-il pas un Till héroïque, dit Lucien l’âne.

Que nenni, réplique Marco Valdo M.I. ; il ne fait que ce que lui inspire sa conscience. Ensuite, avant son départ, Till laisse aux hommes l’or des Espagnols et le fruit de la vente des chevaux et sans en tirer nulle gloriole, il reprend sa route de Meuse.

Ah, dit Lucien l’âne, les routes sont parsemées d’embûches et Till s’y entend pour les éviter, les contourner ou les réduire à néant.

Certes, dit Marco Valdo M.I., c’est un exemple pour tous ceux qui partagent le goût de liberté et la tranquillité de l’esprit.

Ainsi, conclut Lucien l’âne, tissons le linceul de ce vieux monde tricheur, menteur, flou, bluffeur, vantard, absurde et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Vêtu d’un mantelet en loques,
D’un pourpoint en guenilles,
D’un haut-de-chausses à la mode de Séville
Une plume flottant sur sa toque,

Son arquebuse à la main,
L’épée arrimée à la hanche,
Till s’en va bon train
Vers l’est, un dimanche.

Au-delà du talus, la neige empile
Les flocons sur la plaine toute pâle,
Un grand vent ronfle ;
En tourbillons geignent les rafales.

Trois loups prennent sa trace.
Till de sa bonne arquebuse tire
Et d’un coup abat le premier sur place.
Les autres s’arrêtent pour le secourir.

Soulagé, Till reprend son chemin.
Au bout de la plaine, il voit des points,
De grises statues dans le brouillard.
Derrière avancent deux hautes formes noires.

Le vent lui dit un long murmure,
Des pleurs, des plaintes lugubres.
Peut-être des pèlerins chantant,
Allant dans la neige en habits blancs ?

De plus près, il les voit
Vieux, jeunes hommes nus trébuchant
Et les deux cavaliers, noirs harnas
Sur leurs destriers trop grands.

Ces deux caballeros silencieux
Poussent lentement devant eux,
Comme des gardians, des taureaux,
À coups de fouet, ce pauvre troupeau.


L’arquebuse fait son œuvre encore
Et délivre les rebelles prisonniers,
Faute de payer rançon, d’avance, condamnés
À la torture, aux galères, à la mort.

Rendus à Mézières,
Les rescapés reçoivent soupe et bière,
Abri, habits aux frais de la commune
Et Till reprend sa route à la brune.