mardi 29 octobre 2019

CHANSON CONTRE LA PEUR


 

CHANSON CONTRE LA PEUR

Version française – CHANSON CONTRE LA PEUR – Marco Valdo M.I. – 2012
Chanson italienne – Canta che ti passa la paura – Herbert Pagani – 1967
Texte : Herbert Pagani
Musique : Tony De Vita (1932-1998), pianiste, compositeur et chef d’orchestre.



En 2012, suite à une erreur d’attribution de cette chanson à Giorgio Gaber, erreur portant sur la version italienne originale, je l’avais également attribuée au même Giorgio Gaber. Il s’avère finalement qu’elle est l’œuvre d’Herbert Pagani, même si elle fut interprétée également par Gaber, deux ans plus tard.

Dès lors, dit Marco Valdo M.I., il convient évidemment de modifier l’attribution de la chanson dans la version française également et supprimer la phrase d’introduction. J’en profite pour refaire la ponctuation.

Ainsi Parlait Marco Valdo M.I.



Sans une tune, je me suis mis en chemin ;
J’avais mes vingt ans et mon courage à la main,
Mes oreilles pour entendre, mes yeux pour regarder,
Un cœur pour comprendre et ma voix pour chanter.

J’ai tant vu de gens qui luttaient pour le pain ;
J’ai vu saluer celui qui part et celui qui revient,
Se battre et s’aimer des filles et des garçons.
Pour tous et pour chacun, je chante ma chanson.

Chanson contre la peur,
Chanson contre le malheur,
Chanson pour que soit mieux demain,
Chanson pour égayer le chemin.

Il faut des chansons qui puissent atteindre
Le haut des gratte-ciel et le fond des minières,
Chansons pour les mères qui restent à attendre,
Chansons pour celui qui part et qui espère.

Chanson contre la peur,
Chanson contre le malheur,
Chanson pour que soit mieux demain,
Chanson pour égayer le chemin.

Passent les années, je poursuis le voyage ;
Pour aimer le monde, il en faut du courage,
Mais celui qui me reste, j’entends le donner.
Tant que j’aurai du souffle, je continuerai à chanter.

Chanson contre la peur,
Chanson contre le malheur,
Chanson pour que soit mieux demain,
Chanson pour égayer le chemin.

Chanson contre la peur,
Chanson contre le malheur,
Chanson pour que soit mieux demain,
Chanson pour égayer le chemin.



lundi 28 octobre 2019

LE BATEAU DE PAPIER

LE BATEAU DE PAPIER

Version française – LE BATEAU DE PAPIER – Marco Valdo M.I. – 2019
d’après la version italienne LA BARCA DI CARTA – Lorenzo Masetti – 2018
de la chanson chilienne (espagnol) – El barco de papel Amerindios1973
Paroles et musique : Julio Numhauser
Album : Tu sueño es mi sueño, tu grito es mi canto (Ton rêve est mon rêve, ton chant est mon chant).

 


Selon le site Cantos Cautivos, c’était l’une des chansons les plus importantes des camps de détention de la dictature de Pinochet. Quand quelqu’un était libéré ou qu’il y avait des informations crédibles selon lesquelles un prisonnier aurait été envoyé en exil, une immense chorale chantait cette chanson à l’unisson avec force.


Dialogue Maïeutique


Celle-ci, Lucien l’âne mon ami, est une chanson chilienne et comme il est indiqué par le commentaire italien, une chanson qui était entonnée par les prisonniers des camps de détention où le gouvernement chilien du général Pinochet, un militaire félon tout comme l’avait été en d’autres lieux et d’autres temps Francisco Franco Bahamonde, dit le Caudillo. Augusto Pinochet est arrivé au pouvoir au Chili en 1973, par un coup d’État perpétré le 11 septembre en liquidant par la force le gouvernement et au passage, en assassinant nombre de gens, dont le Président en titre Salvador Allende. Bien que félon et ouvertement répressif et tortionnaire, son régime va bénéficier de la bienveillance et l’appui des États-Unis. Avant d’en venir à ce que raconte la chanson, juste une réflexion générale. Cette chanson aurait aussi bien pu être une chanson d’à peu près n’importe lequel des pays d’Amérique latine, car tous (ou presque) ont connu ou connaissent aujourd’hui encore des situations chaotiques où la guerre civile n’en finit de couver sous la cendre et comme les éruptions volcaniques, d’éclater au grand jour. C’est un état endémique à l’œuvre dans le monde entier, mais il apparaît plus crûment là-bas que dans les pays d’Europe. Comme on le sait, ça n’a pas toujours été le cas. Par ailleurs, on a un peu oublié qu’à l’époque le Chili était lui-même un pays de refuge pour les fugitifs d’autres pays voisins. Notamment, par exemple, les Brésiliens ou les Uruguayens ou sans doute, les Boliviens ou, ou… et une bonne part de ceux qui purent échapper aux diverses dictatures se retrouvèrent un temps en Europe.


J’en ai croisé beaucoup, dit Lucien l’âne, et il y en a beaucoup qui sont encore de ce côté-ci de la planète. Globalement, toutes ces dictatures sont l’effet et le reflet de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres pour maintenir et idéalement – à leurs yeux, accroître leur pouvoir, leur domination, leur exploitation, leurs privilèges, leurs richesses.


Cela dit, reprend Marco Valdo M.I., mise à part sa spécificité chilienne de chant saluant la libération des prisonniers des camps et du pays, ce Bateau de Papier fait irrésistiblement penser à d’autres esquifs qui se glissent entre les mailles du malheur vers une liberté même relative et une vie moins assassine ; en somme, vers la vie tout court. Parmi ceux-là, il y a le Radeau de Lampéduse qui reliait le désespoir d’Afrique à ce mirage d’Europe où ses passagers croyaient que les appelait leur destin. Le bateau y va, c’est sûr, mais il est toujours incertain qu’il y arrive et plus encore que la terre d’exil soit une terre d’accueil – rêves et cauchemars vivent dans la même tête. Dis Papa, c’est loin l’Europe ? Tais-toi et nage. On peut toujours rêver, dit l’enfant noir.


Mais au fait, demande Lucien l’âne, n’est-ce pas ce même bateau de papier qui fait la joie des enfants du monde entier ?


Tu as raison, mon ami Lucien l’âne, il le pourrait encore, du moins quand est chanté par Tonton Georges, Le Petit Bateau de Pêche (1937, paroles André Hornez, musique Paul Misraki). Il commençait son parcours magique ainsi :


« C’était un petit tout petit voilier
Un petit bateau de pêche
On l’avait bâti d’un bout de papier
Et d’un vieux noyau de pêche »


Je m’en souviens très bien, dit Lucien l’âne, cependant, laisse-moi faire remarquer que même l’aventure du petit bateau finit mal :


« Cela fit une tempête
Et rapidement je vous en réponds :
Les événements se gâtent,
L’eau s’est engouffrée dans les entreponts,
Adieu la jolie frégate ! »


Pour en revenir au Chili et à d’autres pays d’Amérique latine, dit Lucien l’âne, j’ai entendu dire que sur terre aussi, là-bas, la marche vers la liberté et l’espoir et comme tu as dit : « vers la vie tout court » est tout aussi aléatoire que l’escapade en bateau. Certains même dressent des murailles pour tuer ce pauvre rêve. Mais nous, nous tissons le linceul de ce vieux monde tourmenté, tremblant, volcanique, éruptif et cacochyme.


Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






Le bateau en papier s’en va
Sur la mer de l’espérance ;
Il suscite un tas de créances
Et les enfants n’y montent pas.


Il s’en va, il s’en va, il s’en va et il ne reviendra pas.
Il s’en va, il s’en va, il s’en va et il ne reviendra pas.


Il y a un médecin comme passager ;
Comme capitaine, un soldat ;
Un bourgeois comme canonnier
Et une reine de poix.


Il s’en va, il s’en va, il s’en va et il ne reviendra pas.
Il s’en va, il s’en va, il s’en va et il ne reviendra pas.


Sur le bateau, un ouvrier monte,
Un professeur, un artiste
Et monte aussi cette petite fille
Qui était restée sur la rive.


Il s’en va, il s’en va, il s’en va et il reviendra.
Il s’en va, il s’en va, il s’en va et il reviendra.


Marin, sur le bateau, tu peux monter,
Car il ne faut plus qu’on se batte,
Car on est tous camarades
De paix et d’égalité.


Il s’en va, il s’en va, il s’en va et il reviendra.
Il s’en va, s’en va, s’en va, s’en va vers la liberté

dimanche 27 octobre 2019

LE TAMBOUR DE LA CLIQUE D’AFFORI

LE TAMBOUR DE LA CLIQUE D’AFFORI

Version française – LE TAMBOUR DE LA CLIQUE D’AFFORI – Marco Valdo M.I. – 2019
de la version italienne – IL TAMBURO DELLA BANDA D’AFFORI (Version italienne enregistrée par Aldo Donà, Dea Garbaccio et Nella Colombo (1943)
de la chanson milanaise – Il tamburo della banda d’Affori
Texte : Mario Panzeri / Nino Rastelli et musique : Nino Ravasini – 1942
Interprètes : Aldo DonàDea GarbaccioNella Colombo – 1943






LE TAMBOUR PRINCIPAL DE LA CLIQUE DE PREDAPPIO
de Riccardo Venturi (extraits)

L’histoire de la censure des chansons et des chansonnettes italiennes sous le régime fasciste, il est bon de le dire tout de suite, est une histoire qui a à voir avec le ridicule. Non pas que ce site manque d’exemples : ça va de Pippo non lo sa, considéré comme « chanson de la fronde » et regardé avec beaucoup de suspicion, car on y a vu une satire d’Achille Starace, à Maramao perché sei morto, où était visé l’à peine décédé hiérarque Costanzo Ciano (appelé à Livourne « Ir Ganascia », pour son appétit non seulement gastronomique, et père de Galeazzo, gendre Mussolini et par lui ensuite gracieusement fusillé à Vérone en 1944). Des étudiants de Livourne avaient affiché les paroles de la chanson sur le Mausolée de Ciano, alors en construction : cela a suffi pour que la chanson soit bannie de l’EIAR (radio italienne aux temps du fascisme, ancêtre de la RAI). On passe à Crapa pelada de Gorni Kramer (l’auteur des paroles est incertain) ; mais la liste des « chansons de la fronde » est longue.
C’était aux temps où dans ce pays amène et rieur appelé « Italie », déjà en 1926, le Bureau de la censure avait ordonné de modifier quelques vers de la « Leggenda del Piave (Légende du Piave) » de E.A. Mario, la chanson patriotique italienne la plus célèbre, jugée inacceptable pour le bon renom de la « patrie fasciste » ; les références à « la trahison » et à « la honte subie à Caporetto » ne convenaient pas. La musique étrangère en général, et la musique américaine en particulier, est interdite. Carlo Ravasio (journaliste fasciste) écrivait :
« Il est néfaste et insultant pour la tradition et pour la race de mettre des violons et des mandolines au grenier pour donner de la voix aux saxophones et frapper les tympans selon des mélodies barbares qui ne vivent que pour les éphémérides de la mode. C’est stupide, ridicule et antifasciste de s’extasier pour les danses ombilicales d’un mulâtre ou de se précipiter comme des idiots à chaque américanade qui nous arrive d’outre-océan ».
En 1929, le Commandement général des régions des Carabiniers a publié une série de circulaires confidentielles contenant la liste des chants contraires à l’ordre national et nuisibles à l’autorité établie. Il y a des hymnes nationaux (d’abord la Marseillaise et l’Internationale, alors l’hymne de l’URSS), des chants socialistes, communistes et anarchistes (à Milan sont également arrêtés deux anarchistes présumés surpris en train de chanter un motif exaltant Gaetano Bresci) et même quelques ballades sur la malheureuse entreprise d’Umberto Nobile au pôle Nord (il est à noter que le commandant Nobile fut dans l’après-guerre, parlementaire au sein du parti communiste italien). Mais cela ne s’arrête pas là. La première version de la célèbre « Faccetta Nera (littéralement : frimousse noire) » (de Micheli-Ruccione), écrite en romanesco (italien parlé dans la ville de Rome) en 1935, est accusée d’« encourager le mélange des races », de trop apprécier la « belle Abyssinienne », et les auteurs furent contraints de faire de lourdes modifications et de la transposer en italien. On essaie aussi d’opposer à la chanson (qui a un succès retentissant) une « Faccetta bianca (frimousse blanche) » (de Grio-Macedonio), interprétée par Renzo Mori – que l’interprète s’appelait « Mori – brun ou maure » était certainement un comique involontaire), qui sera cependant totalement oubliée. Entre-temps, « Faccetta Nera » devint si populaire que le régime fut forcé de l’inclure parmi les hymnes fascistes.
En 1936, est promulguée la circulaire « puriste » et « italique », obligeant la presse à traduire en italien tous les termes étrangers contenus dans les chansons, et jusqu’à l’optique et aux conditions météorologiques. Mais la circulaire concerne aussi les noms des artistes eux-mêmes : Louis Armstrong devient ainsi « Luigi Braccioforte », Benny Goodman « Beniamino Buonomo » et Duke Ellington « Del Duca ». En 1937, les restrictions imposées à la musique américaine furent quelque peu assouplies et l’EIAR diffusa des œuvres d’auteurs étrangers interprétées par des orchestres italiens, comme celui de Pietro Rizza. Le jazz s’est répandu, notamment grâce à l’orchestre Ramponi et à Gorni Kramer ; EIAR s’est même doté de son propre quatuor de jazz, dont la musique a été diffusée chaque soir à 20h40. Mais tout cela ne dura pas longtemps. Déjà en 1938, l’année des lois raciales de Mussolini, le jazz était à nouveau qualifié de « musique négroïde » et avait complètement disparu des programmes de l’EIAR.
C’est précisément en 1938 qu’on situe le début des « Chansons de la Fronde ». Les «  Chansons de la Fronde » sont celles qui, en raison de certaines ambiguïtés du texte (intentionnelles ou aléatoires), se prêtent à être réinterprétés de manière satirique et sarcastique. C’est arrivé, par exemple, à une célèbre chanson d’amour, encore connue de nos jours, « Un’ora sola ti vorrei – Je te voudrais une heure seulement » (de Paola Marchetti et Bertini, 1938, interprétée par Fedora Mingarelli), que l’on retrouve encore, par exemple, dans Les plus grands succès de Giorgia de 2002, mais qui est célèbre dans l’interprétation d’Ornella Vanoni en 1967.) Au moment de sa sortie, « Un’ora sola ti vorrei » est l’une des chansons les plus utilisées et les plus contrôlées ; il y a plusieurs dénonciations de gens qui sont surpris de chanter le couplet « Une heure seulement je te voudrais / pour te dire ce que tu ne sais pas / Moi qui ne pourrai jamais oublier / ce que tu es pour moi… » en s’adressant au portrait omniprésent du DVCE.
A partir de septembre 1938, avec la promulgation des tristement célèbres « lois raciales » de Mussolini, toutes les chansons (et la musique en général) d’auteurs juifs furent interdites.
Mario Panzeri était milanais et a souvent écrit des chansons en milanais ; il en a aussi écritécrivit une en 1942, dédiée de façon ludique à la clique de musique de la ville d’Affori (qui – déjà en 1923- avait été incorporé à la ville de Milan) et à son « tambour principal ». C’est Tamburo della banda d’Affori. Qui ne la connait pas, même aujourd’hui ? Bien sûr, Panzeri devait avoir un véritable talent pour le double sens ; mais en 1943, rien n’échappait à la censure solennelle du régime, surtout en temps de guerre. Le tambour principal de la clique d’ Affori / qui commande cinq cent cinquante sous-fifres… Bref, au censeur n’échappa pas ce petit détail : exactement 550 étaient les membres de la Chambre des Fasci (faisceaux) et des Corporations, c’est-à-dire le corps législatif qui, de 1939 à 1943, remplaça la Chambre des députés. Et qui pouvait être le « tambour principal », si ce n’était le DVCE ? Celui qui « confond le Trouvère avec la Sémiramide » et devant qui les tosanell (les « petites filles », c’est-à-dire les Italiennes…) s’entimidentEntretemps, la chanson est devenue très connue et en Toscane, comme les Toscans l’avaient remarqué avant la censure, ils chantent une variation où il est écrit «  qui commande cinq cent cinquante bischeri (couillons, crétins, etc) ».
Mario Panzeri a toujours été un antifasciste. C’était aussi une personne très aimable et très sincère : il jurait et rejurait qu’il n’avait jamais voulu intentionnellement écrire une chanson qui se prêtait au « double sens », mais que le double sens, pour ainsi dire, était naturel et était perçu comme tel. Alors vous savez que même les gens les plus sincères se voient concéder un petit mensonge. [RV]

Dialogue Maïeutique

Car, mon ami Lucien l’âne, j’imaginais bien que tu me poserais mille questions à propos de cette chanson, comme tu dois t’en poser à propos de plein d’autres choses, j’ai pris la peine de e faire une version française – quoique quelque peu raccourcie – du commentaire de Riccardo Venturi. Je n’y reviendrai pas et je te laisserai découvrir ce que notre ami raconte (en italien) à propos notamment des « chansons de la Fronde », de la Fronde au sens où il y eut une Fronde des gentilshommes en France, il y a quelques siècles, dans les débuts de Louis XIV ; il faut donc comprendre cette fronde, non comme la cime des arbres, mais comme une rébellion contre un pouvoir ; en l’occurrence, d’un pouvoir dictatorial, celui de Benito Mussolini. Il faut asii tenir à l’esprit en même temps que la fronde est aussi – dans l’imaginaire biblique – l’arme de David qui lui permit d’avoir raison du géant Goliath et que par ailleurs, la fronde est une arme discrète qu’on peut utiliser pour frapper à distance, sans même être vu et que c’est aussi une arme de ceux qui ne sont habituellement pas armés militairement ; c’est une arme de civils, une arme d’insurrection, une arme de résistance. Tout un symbole, en quelque sorte. Mais il y a d’autres choses que je me dois de t’exposer que le texte d’introduction n’explique pas du fait que pour un Italien ces indications sont évidentes.

Ah, dit Lucien l’âne, je me demande quoi, vu l’ampleur de l’introduction.

Eh bien, reprend Marco Valdo M.I., pour commencer je te ferai remarquer que le titre mérite à lui seul un petit lexique. D’abord, le Tambour est bien ce qu’iol désigne : à la fois, l’instrument – la caisse sur laquelle on frappe pour faire du bruit en cadence et en même temps, celui qui en joue. Cependant, il semblerait que ce Tambour de clique soit aussi le chef de la clique – c’est-à-dire ici de la fanfare et du fait que c’est lui qui donne le rythme et qui fait le plus de bruit, qui déploie un véritable tintamarre, c’est lui qu’on remarque le plus. Je te rappelle au passage que le mot italien que j’ai traduit « la clique » est « la banda » ; et naturellement, il rappelle le mot français « la bande » – ici, compris comme : la bande de bandits, d’escrocs, de délinquants en tous genres. Ensuite, la clique est cette fanfare principalement composée de tambours, de fifres et de clairons ; elle fait beaucoup de bruit et entraîne les badauds au son de son charivari. Et enfin, Affori est une localité dans la banlieue de Milan ; j’en profite pour préciser que Cantù est un autre localité plus au nord, située sur la route qui mène de Milan à Côme. Ainsi, le titre indique que la chanson raconte tout simplement que la fanfare d’Affori s’en va à Cantù, tambour battant.

Ah merci !, souffle Lucien l’âne, me voilà renseigné ; je vais tout comprendre.

Sans doute non, Lucien l’âne mon ami, et il te faut écouter encore un peu de mon commentaire ; c’est indispensable, car le titre de la glose italienne est différent de celui de la chanson et incite à penser à d’autres choses. En vérité, comme tu le verras, tout l’arrière-plan, tout le contexte, tout le double sens s’en trouvent lumineusement éclaircis. Comparons donc les deux titres : le Tambour devient le principal Tambour ; en quelque sorte, le Tambour des Tambours, le chef des caisses vides. Sautons au nom de la ville qui d’Affori est devenu Predappio. Kesako Predappio ? Predappio est une petite localité qui serait fort inconnue et tranquille si pour son malheur, elle n’était la ville natale de Benito Mussolini. Certes, elle n’en peut rien, mais c’est ainsi et elle se passerait volontiers de cette renommée gênante. À la même époque, ce Tambour de Predappio avait un homologue dans un autre pays, un dirigeant qui pour les mêmes raisons de résonance malsaine était surnommé « le Tambour » ; il s’agit évidemment d’Adolf Hitler. Günter Grass en fit un monumental roman, Volker Schlöndorff en fit un film retentissant, que j’avais rappelés dans « Le Tambour et mon grand Amour, Nosferatu le Vampire ». Quant au sens caché de la chanson, on pourrait l’interpréter comme l’évocation de la fuite du régime fasciste en ruines vers la frontière autrichienne et le désamour qui frappa les admiratrices de sa clique. Je laisse à ton imagination le champ libre pour faire le reste et crois-moi, il y a encore beaucoup de grain à moudre, comme souvent dans les chansons quand on veut bien y prendre attention.

Tel l’âne à la meule, je vais le faire de ce pas, Marco Valdo M.I., n’en doute pas un instant. Pourtant, il nous faut arrêter ici cette palabre et tisser le linceul de ce vieux encore trop imbibé de la lymphe fasciste, stupide, hypnotique et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



La clique arrive, la clique arrive, la clique arrive, la clique arrive avec ses musiciens,
Avec ses musiciens (avec ses musiciens)
Oh Caterina, Caterina, quelle chamade !
(Oh Caterina, Caterina, quelle chamade !).
Le chef, le chef, le chef a des boutons dorés, il sourit tout le temps (quelle ballade !)
Oh Catherine, le chef est ton grand amour.
(Oh Caterina, le chef est ton grand amour).


Les voici, ils sont tous là.
Sol la sol mi, do ré mi fa
Et avec ses bâtons rantanplan,
Le tambour arrive en grondant.


C’est lui (c’est lui), c’est lui (c’est lui), oui, c’est vraiment lui !
C’est le tambour principal de la clique d’Affori,
C’est le commandant en titre
De ces cinq cent cinquante sous-fifres.
Quelle passion, quelle excitation, quand il fait pan pan pan.
Regardez ça, tandis que les oies font can-can.
Les filles à le voir s’entimident,
Lui, il confond le Trouvère avec la Sémiramide.
Belle fille de l’amour,
Esclave je suis, je suis esclave de tes atours !


Passe la clique, passe la clique, passe la clique, puis s’en va à Cantù
(Puis s’en va à Cantù)
Oh, Caterina, mais ton amour n’est plus.
(Oh Caterina, mais ton amour n’est plus).
Allez Luigi, allez Luigi, allez Luigi, voilà le tram,
Voilà le tram (voilà le tram)
Lui avec son pied sur la voie est dans l’embarras.
(Lui avec son pied sur la voie est dans l’embarras.)


Arrêtez le tram, descend
Du tram celui qui fait ce boucan.
Lui avec calme et flegmatique
Cherche où est passée sa clique.


C’est le tambour principal de la clique d’Affori
Celui qui commande cinq cent cinquante bandits,
Quelle passion, quelle excitation, quand il fait pan-pan-pan.
Regardez ça, tandis que les oies font can-can.
Les filles à le voir s’entimident,
Lui confond le Trouvère avec la Sémiramide.
Belle fille de l’amour,
Esclave je suis, je suis esclave de tes atours !



vendredi 25 octobre 2019

Arlecchino au Couvent

 
Arlecchino au Couvent

Chanson française – Arlecchino au Couvent – Marco Valdo M.I. – 2019

ARLEQUIN AMOUREUX – 7 bis

Opéra-récit historique en multiples épisodes, tiré du roman de Jiří Šotola « Kuře na Rožni » publié en langue allemande, sous le titre « VAGANTEN, PUPPEN UND SOLDATEN » – Verlag C.J. Bucher, Lucerne-Frankfurt – en 1972 et particulièrement de l'édition française de « LES JAMBES C'EST FAIT POUR CAVALER », traduction de Marcel Aymonin, publiée chez Flammarion à Paris en 1979.



Dialogue Maïeutique

Ah, Lucien l’âne mon ami, commençons par resituer note Arlequin dans son parcours tourmenté : parti de Marengo, pour cause de désertion, il fuit à travers l’Europe des premières années du siècle, quand Bonaparte se muait en Napoléon. Après un passage par Venise, il parvient au terme d’une errance à travers les Alpes autrichiennes à retrouver pour un temps fort court son Arlecchina, perdue de vue depuis onze ans ; puis, chacun repart de son côté – elle vers l’Italie et lui, notre déserteur, passé par Prague aboutit sous l’identité de Sevastiano, homme de théâtre et d’opéra napolitain, au château de sa ville de Litomyšl où la Comtesse Franziska en fait son bouffon en attendant le retour de son mari, le Comte Wallenstein. Au retour du maître des lieux, tout semblait bien se passer jusqu’au moment où notre Matthias, en statue nue du Commandeur, laisse tomber le voile et montre son cul sur la scène. Renvoyé sur le champ, il doit aussitôt fuir, car il est reconnu par un officier de son ex-régiment ; Arlequin le déserteur se réfugie au couvent. C’est là que nous en sommes dans cette chanson faite elle aussi de morceaux excédentaires qui sans elle, seraient irrémédiablement perdus.

Eh bien, merci mille fois, Marco Valdo M.I. mon ami, car depuis le temps et avec tous ces bouleversements, je ne m’y retrouvais plus trop dans cette odyssée baroque.

Tu vois, Lucien l’âne mon ami, la vie est parfois absurde et contraignante. Ainsi, notre déserteur Matthias, si épris de liberté, s’est lui-même enfermé – d’abord dans un château où il s’ennuyait en attendant il ne savait trop quoi et à peine sorti, il se terre dans un couvent où la vie est plutôt monotone. Soit, on doit bien concéder qu’il n’avait pas le choix. Cependant, pour ce faire, il doit se plier à la vie monastique, qui n’est pas de tout repos et surtout, il lui faut ménager la foi et les exigences de l’Église. Certes, il suffit, mais c’est beaucoup et c’est lourd, il suffit de faire semblant de croire et adopter les attitudes et les gestes de rigueur.

Sans doute, dit Lucien l’âne, mais ce ne doit pas être trop difficile pour un comédien comme lui.

Bof, pas sûr que ce soit si facile. Je te rappelle, Lucien l’âne mon ami, que comme comédien, il est plutôt spécialisé dans les rôles burlesques, dans la farce et le gros comique du théâtre de cirque. On verra d’ailleurs que sa profession de foi est des plus élastiques et pas vraiment convaincante. On la dirait pour tout dire forcée ou imposée par les nécessités du moment. Cependant, le père Prosper, qui est le religieux qui l’accueille, fait celui qui ne comprend pas ; en fait, il s’arrange de la façade de religiosité présentée par Matthias et qui sauve les apparences.

En somme, dit Lucien l’âne, si je comprends bien, le père Prosper n’est pas plus catholique que le Pape ou pas moins et agit comme Jules II lorsqu’il reçut Till au Vatican. Je me souviens de la chanson « La Messe du Pape, le pardon de Till et les florins de l’Hôtesse » dans laquelle ces deux-là se disaient :

« Le Pape lui demande : « Quelle est ta foi ? »
« La même que mon hôtesse qui partage la vôtre,
ma foi. »
« C’est fort bien
comme ça. Mais à quoi, à quoi,
À quoi donc, en vérité, pèlerin, tu crois ? »
« Je crois ce que vous croyez que je crois. »

Et notre Arlequin, reprend Marco Valdo M.I., a la croyance aussi évanescente que celle de Till :
« Que dis-tu ? Tu ne crois pas en Dieu ?
Père Prosper, j’aimerais croire
À la Sainte Église et même au bon Dieu.
Enfin, si, presque, c’est-à-dire, peut-être… »

Si tu veux mon avis, Marco Valdo M.I. mon ami, Matthias ne restera pas longtemps dans la maison de Dieu. En attendant la suite, tissons le linceul de ce vieux monde jean-foutre, croyant, crédule, incroyable et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Chez les moines, la prière ;
À voix haute, le pater
Et le bénédicité, deux fois ;
Le lait ne refroidira pas.

Arlecchino, encore toi, mécréant !
Garde-moi en cellule, notre Père !
Au couvent, tout l’hiver.
Dans les champs, au printemps.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Appelez-moi, Matthias, je n’ai plus de nom ;
Gardez-moi dans cette sainte maison
Jusqu’à la fin de mes jours, sans rémission.
Le Père recteur n’y voit pas d’objection.

Matthias, c’est le matin.
La clochette sonne l’heure,
Il est cinq heures,
Le jour s’en vient.

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.

Montreur de marionnettes, funambule,
J’ai dansé avec un ours, j’ai mendié, moi.
J’ai vagabondé, j’ai volé à l’église.
Parfois, je vois Dieu danser sur le toit.

Que dis-tu ? Tu ne crois pas en Dieu ?
Père Prosper, j’aimerais croire
À la Sainte Église et même au bon Dieu.
Enfin, si, presque, c’est-à-dire, peut-être…

Oui, Monsieur Po, oui, Monsieur Li,
Oui, Monsieur Chi,
Oui, Monsieur Nelle,
Oui, Monsieur Polichinelle.