samedi 29 juin 2013

LA GUERRE

ou À la guerre comme à la guerre...


Chanson française – Maurice Fanon – 1968
Paroles : Maurice Fanon. Musique : Gérard Jouannest (1968)



Ah Lucien l'âne mon ami, tu me vois tout réjoui et je vois que tu te demandes bien pourquoi je fais cette tête-là.


En effet, en effet... Tu as l'air d'un enfant qui vient de trouver une bille... ou d'un entomologiste qui trouve une araignée inconnue...


C'est un peu ça, d'ailleurs. Moi qui croyais connaître les chansons de Maurice Fanon... et de fait, je le connais depuis longtemps, trop sans doute... je viens de découvrir une petite merveille et en plus, une chanson contre la guerre... Imagine. Donc, je trouve une vidéo où Fanon chanterait une chanson intitulée La Guerre. Je connais mon Fanon et même si je n'ai jamais entendu cette chanson, je sais d'avance qu'elle sera antiguerrière et antimilitaire. Je l'écoute et bien sûr, tout cela se confirme. Reste alors à trouver le texte... Et là... Impossible. Je viens donc de la transcrire et c'est cette transcription que tu pourras lire, si le cœur t'en dit.


Bien sûr que je vais l'écouter et la lire...


Mais je te préviens tout de suite, ce n'est pas là une chanson à ne pas mettre entre toutes les oreilles, bien au contraire... Bien au contraire, c'est le genre de chanson qu'il convient de faire connaître en la double raison de son contenu et de sa qualité. Mais je te préviens, comme on dit par ci, « c'est du fort toubac » (tabac). C'est une chanson de haute lignée, faite d'une poésie précise et acide, mais d'une extraordinaire beauté. Comme d'autres chansons de Fanon, elle parle de la Guerre de 40, mais ce qu'elle raconte s'appliquait aussi bien à celle de 1870 ou de 1914. Comme d'ailleurs, elle s'applique à toutes les guerres : on part toujours vainqueur, sauf rarissimes exceptions, et – là il n'y a pas d'exception, on revient assez abîmé...


Oui, il faut bien se dire que c'est comme ça... j'ai d'ailleurs comme l'impression qu'elle raconte un peu la même histoire que les « Souvenirs napoléoniens », chanson que tu avais écrite... [[9210]] ou il y a ce couplet :
« Il n’y avait pas beaucoup de différence
Entre les Français victorieux qui allaient vers l’est
Et les mêmes qui revenaient vaincus vers l'ouest.
Sous peu, les mêmes passeraient
Pour la troisième fois le Rhin en vainqueurs
Et puis des années après, repasseraient
Pour la quatrième fois perdants... ».

À la guerre comme à la guerre, reprenons notre tâche et tissons très pacifiquement le linceul de ce vieux monde guerrier, armé, militaire, inconscient, délirant et cacochyme.


Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane



Je les ai vus dans leur gloire
Le cœur lourd et le regard las
Les soldats de la victoire
















Je les ai vus sur nos routes
Le casque lourd et le fusil bas
Les soldats que la déroute
Avait mis deux fois au pas
Une fois pour faire la route
Dans le sens où l'on vaincra
Et la refaire goutte à goutte
Comme le sang qui s'en va

Ça commence toujours comme ça la guerre
Quand on part, on a toujours vingt ans
Ça finit toujours comme ça la guerre
Quand on revient, on a tous cent ans


J'en ai vu de haute souche
En casoar de gants blancs
Se faire tuer comme des mouches
Pour une croix de bois blanc
J'en ai vu d'autres sans cartouches
Ouvriers et paysans
Se mettre un doigt dans la bouche
Et pleurer comme des enfants

Ça commence toujours comme ça la guerre
Avec une rose entre les dents
Ça finit toujours comme ça la guerre
Avec un fusil et rien dedans

Je les ai vus dans leur gloire
Le cœur lourd et le regard las
Les soldats de la victoire
Abîmés de haut en bas
Je les ai vus et je doute
Si vous n'avez pas vu ça
Si vous savez ce que coûte
À la guerre un seul combat.

Ça commence toujours comme ça la guerre
Soldats de plomb et fusils de bois blanc
Ça finit souvent comme ça la guerre
Jambe de bois avec du plomb dedans
Ah, la guerre, la guerre comme à la guerre
C'est peut-être ça l'art militaire
Ah, la guerre, la guerre comme à la guerre

Sûrement pas celui d'être grand-père.

vendredi 28 juin 2013

CHANSON DES FLEURS ET DU SILENCE



Version française - CHANSON DES FLEURS ET DU SILENCE – Marco Valdo M.I. – 2013
Chanson italienne - Canzone dei fiori e del silenzio – Cantacronache - 1958
Paroles d'
Emilio Jona
Musique de
Sergio Liberovici




Ah, Lucien l'âne mon ami, je pense bien que tu connais les Cantacronache et que tu aimes comme moi leurs chansons aux Cantacronache. Eh bien, voici leur chanson manifeste, la chanson qui en quelque sorte définit leurs idées sur le monde et sur la chanson elle-même. Une sorte de manifeste artistique. C'est la chanson des fleurs et du silence. Du moins, c'est son titre, car pour ce qui est du contenu, elle n'est pas silencieuse, rassure-toi. Bien au contraire, elle affirme nettement leur refus de la chanson vide et de la chanson remplie d'insignifiances. Le genre chanson d'amour : il part, je reviens, je m'en vais, il reviendra... Les yeux bleus, noirs, verts, roses... Je l'aime, il m'aime, on s'aime... J'aime ses yeux, ses bras si chauds, ses jambes si belles, ses cheveux si courts ou si longs, son menton, ses dents, son nombril et sa belle... auto, voix, prestance, carrure... biffer les mentions inutiles.


Ah, dit Lucien l'âne en découvrant toutes ses dents de rire... Cette sorte de chanson qui passe le mur du çon (merci pour la cédille!)... et qui dégouline de toutes les radios et les télévisions. Les chansons à tubes. Pourquoi un « tube », disait Boris Vian... Parce que c'est creux !.. Bien, mais que dit-elle leur chanson-manifeste aux Cantacronache ?


D'une part, elle dénonce la chanson sirupeuse, la chanson putain qui se vend à qui la paye, qui racole à tous les coins de radios et montre ses charmes, la chanson qui fait l'impudique dans l'impudence... Et en contre-chant, en quelque sorte,la chanson des Contacronache laisse entendre qu'elle ne se soumettra ni elle, ni les Cantacronache aux exigences des maquereaux du marché du disque et du spectacle. En somme, c'est une chanson de combat qui résonne déjà comme raisonnera Jean Ferrat, dans sa fabuleuse et bouleversante chanson « Nuit et Brouillard » Nuit et brouillard, où lui aussi fait état des pressions qu'encourt le chanteur à qui l'on dit (toujours les maquereaux) :

« Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour,
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire,
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare. »

ou celle de Léo ferré sur la mafia (toujours les maquereaux du buzzenesse) :

« Mais si la mafia se ramène.
T'es ni José ni Carmen,
Quand tu chantes, c'est la bohème,
Et la mafia, elle n'aime pas ça !
Tu vas traînant tes rengaines
Le long de la longue Seine
En crachant sur ceux qui te gênent
Et la mafia, elle aime pas ça! »

ou celle de Maurice fanon, « Avec Fanon », qu'il faudra bien mettre dans les CCG, où il dit, entre autres :

« C'est peut-être en chantant mon cul sur la commode
Qu'on se fait une chanson à la mode
Faudra que j'essaye avec Fanon... ».

J'arrête là... Sauf à évoquer quand même l'immense dérision de Jean Constantin dans son tube-scie-rengaine à deux balles, dont le texte intégral est aussi le titre, enfin presque. : « Où sont passées, mes pantoufles ? » [http://www.youtube.com/watch?v=MrhnnmQzjwA]


Oh oui, j'adore Jean Constantin. On avait d'ailleurs mis dans les Chansons contre la Guerre son Shah Shah Persan (un cha-cha, évidemment), tout aussi décapant.Shah Shah Persan. Quant à nous, à notre tour, tissons aussi le linceul de ce vieux monde empli de chansons guimauves, insipides, idiotes, ce vieux monde racoleur, putassier et cacochyme.



Heureusement !


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane






On nous dit de chanter
Les bois et les prés
Les amours heureux
Les gens joyeux
Aux paupières
Cousues de fil de fer
Et d'ouate remplies
Les oreilles assourdies.

Et si la roue tourne, laissez-la tourner
Si l'homme s'endort, laissez-le dormir
Si la terre trépasse, laissez-la trépasser
Et si quelqu'un meurt, laissez-le mourir.

On nous dit de chanter
Mièvres et amoureux, soyez
Les rythmiques ménestrels
De l'ère industrielle
Soyez des marchands de mirages colorés
Et de cieux dorés
Répandez les illusions
Comme des bulles de savon.

Et si la roue tourne, laissez-la tourner
Si l'homme s'endort, laissez-le dormir
Si la terre trépasse, laissez-la trépasser
Et si quelqu'un meurt, laissez-le mourir.

On nous dit de nous taire
Car le silence est d'or
Taire le travail et la misère
Taire la vie encor
Ses moments gris et durs
Taire les amours
Tristes et obscurs
Les fleurs et même, les jours.


Et si la roue tourne, laissez-la tourner
Si l'homme s'endort, laissez-le dormir
Si la terre trépasse, laissez-la trépasser
Et si quelqu'un meurt, laissez-le mourir.
BALLADE DES PENDUS


Version française – La Ballade des Pendus – Marco Valdo M.I. – 2008.
Chanson italienne – Ballata dei impiccati – Fabrizio De André et Giuseppe Bentivoglio – 1968









Figline Valdarno (Firenze), 6 settembre 1944. Civili impiccati dai tedeschi e dai fascisti per rappresaglia.
Figline Valdarno (Florence), 6 septembre 1944. Civils pendus par les Allemands et les fascistes en représailles.




Un discours suspendu
par Riccardo Venturi






Ce site s'occupe, par définition, de la violence du pouvoir et de la confusion, de la dévastation qu'elle entraîne. Le même mot « guerre », « guerra » en italien, « war » en anglais, [« werra » (en francique)] nous reporte à ceci : elle est l'ancienne racine germanique, tant en italien qu'en anglais, de la confusion, en allemand « Verwirrung ». La confusion, donc, comme élément nécessaire pour que le pouvoir puisse exercer sa violence. Laquelle s'exprime, et il ne pourrait en être autrement, aussi au travers de la peine de mort. La peine capitale, c'est-à-dire primaire, sans retour. Les guerres ne sont rien d'autre que de gigantesques exécutions de masse, de soldats, de civils, de choses, de peuples et de paysages.



On a donc voulu, dans le cadre du nouveau parcours sur la peine de mort, insérer cette chanson de Fabrizio De André. Cette terrible chanson de ce terrible album qu'est Nous mourûmes tous à grand peine. Une chanson qui a des racines très anciennes, car le pendu a, de toujours, quasiment la fonction de condamné à mort « exemplaire », soit en raison de la honte particulière attachée à ce type d'exécution (à l'intérieur-même des condamnations à mort, il y a aussi l'extrême perversion des condamnation « nobles » et des « ignominieuses »), soit en raison des connotations rituelles et magiques qu'elle a assumées depuis les époques révolues. Ce n'est pas par hasard que le Pendu est une carte du tarot. L'afflux de sang soudain et forcé provoque chez l'homme pendu une érection et les femmes sous le gibet touchent le corps du mort pour assurer fécondité et virilité à leur compagnon. L'urine du pendu (une autre réaction physique usuelle) est recueillie et fait l'objet de rituels magiques. Et les pendus deviennent des figures symboliques, des personnages littéraires, des simulacres édifiants. L'arbre des pendus est une des images qui se transmet depuis la nuit des temps, une image en même temps symbolique et bien réelle (voir, par exemple, Strange Fruit).



En particulier, cette chanson de De André provient directement, même s'il n'en reprend pas le texte, de la Ballade des Pendus de François Villon, le grand poète maudit du Moyen-Âge, qui avait vu mourir sur le gibet ses amis. Une poésie qui fut par la suite mise en musique par Louis Bessières et interprétée par Serge Reggiani ; mais les influences villoniennes sont décisives aussi sur Brassens, auteur à son tour de diverses chansons où sont présents les pendus, parmi toutes La messe au pendu.[on ajoutera le merveilleux Verger du Roi Louis]. Mais dans sa chanson, Fabrizio De André va bien au delà. La tradition des pendus veut que ceux-ci, comme du reste beaucoup d'autres condamnés à mort, racontent leur triste vie et les motifs qui les ont conduits au gibet, en cueillant cette dernière occasion de demander pardon à Dieu et aux hommes ("mais priez Dieu que tous nous vueylle absouldre"). De André nous présente des pendus qui ne demandent aucun pardon.



Il nous présente des pendus remplis de fureur et de rancœur. Il nous présente un blasphème, pas une prière. Il nous présente une phrase qui devrait être rappelée à tous les gens qui, dans le monde, encore aujourd'hui, prononcent une condamnation à mort :
Avant même qu'elle fût finie
nous rappelâmes à ceux qui vivent encor
que le prix payé fut notre vie
pour un mal fait en une heure.
On pourrait aller plus loin et rappeler à ceux qui vivent encor, que volontiers et souvent la vie est le prix à payer pour n'avoir rien fait de mal, ni même une heure, ni même une minute. C'est même le prix réservé à celui qui s'est refusé à faire le mal, vu que la pendaison est une des pratiques les plus répandues pour l'exécution des déserteurs. À celui qui donc se refuse à tuer, est réservée la peine ignominieuse. La même appliquée à celui qui combat pour la liberté contre un oppresseur; la photographie ci-dessus n'est qu'une des milliers de preuves à cet égard.

Les pendus de cette chanson sont des hommes jusqu'au bout. Ils ne se prêtent pas à la peur du « divin », même pas au dernier moment. Ils souhaitent unanimement que celui qui les a fait finir de cette façon ait à subir le même destin. [Comme disait Brassens : « Gare au Gorille !!!! »; De André aussi du reste, qui le traduisit... NDT]. Ils en viennent à souhaiter du mal aux croque-morts qui les a enterrés comme si de rien n'était, par profession. Rien n'est plus loin de Brassens et de son humaine compassion pour le « Fossoyeur ». Celle-ci est chanson de rancœur. La rancœur de celui qui se voit arracher la vie par un pouvoir qui a décidé sa mort, peut-être même le même pouvoir qui bredouille de quelque chaire d'église que seul Dieu a le pouvoir de donner et de retirer la vie, mais qui, ensuite, sur terre, agit tout autrement.

C'est un discours suspendu. La douleur ne génère pas ici de la résignation, mais de la rage. La Ballade des Pendus de De André est, dans ce sens, encore une chanson politique. De ces corps qui lancent des coups de pieds au vent, on promet que l'histoire ne se termine pas ici. Elle continue, et continuera pour toujours, en criant contre.




Nous mourûmes tous à grand peine
Engloutissant notre ultime cri.
Balançant des coups de pieds au vent,
Nous vîmes s'estomper la lumière.
Notre hurlement emporta le soleil
Notre air se raréfia.
Des cristaux de mots dirent
Notre ultime blasphème.

Avant même qu'elle fût finie
Nous rappelâmes à ceux qui vivent encor
Que le prix payé fut notre vie
Pour un mal fait en une heure.

Puis nous balançâmes dans le gel
D'une mort sans abandon
En récitant l'antique credo
De ceux qui meurent sans pardon.
Que celui qui se moqua de notre détresse
De notre honte extrême et de notre façon
de suffoquer, connaisse
Le nœud du même étranglement.

Que celui qui répandit la terre sur nos os
Et reprit tranquillement son chemin
Parvienne lui aussi bouleversé à la fosse
Dans le brouillard du petit matin.

Que la femme qui cacha par un sourire
Le désagrément de se souvenir de nous,
Découvre chaque nuit sur son visage
Une insulte du temps et une scorie.
Nous cultivons pour tous une rancœur
Qui a l'odeur du sang perdu.
Ce qu'alors, nous appelions douleur

Est seulement un discours suspendu.


LA BALANÇOIRE



Version française – La Balançoire – Marco Valdo M.I. – 2008
Chanson italienne – L'altalena – Radici nel cemento – 2008






Rien ne dure... même pas la balançoire





Rien ne dure dans l'éternité
Ni la joie ni l'amour
Ni une vie d'enfer
Ni la rage ni la douleur.
Souviens-t'-en quand tu montes, la vie est une balançoire
Souviens-t'-en quand tu descends, la vie est une balançoire
Quand tu gagnes, quand tu perds, la vie est une balançoire
Et le jeu dure tant que tient la chaîne.
Chaque jour la roue tourne
Chaque jour peut changer ta vie
À chaque instant et à chaque moment
Le vent peut changer de direction à l'improviste.
La vie est une balançoire
Il n'y a pas d'échappatoire,
Pas d'issue de secours,
Il faut prendre la vie comme elle vient
Vécue, jour après jour,
À chaque instant, à prendre comme elle vient.
C'est justement quand tu es convaincu que
Tout est en ordre et qu'il n'y a pas de problème
À ce moment, garde-toi bien
Tout peut changer autour de toi.
Rien ne dure dans l'éternité
Ni l'argent ni la carrière
Ni l'hiver le plus rude
Ni l'infortune ni la misère.
Souviens-t'-en quand tu montes, la vie est une balançoire
Souviens-t'-en quand tu descends, la vie est une balançoire
Quand tu gagnes, quand tu perds, la vie est une balançoire
Et le jeu dure tant que tient la chaîne.
C'est justement quand tu es proprement convaincu
Que tout est perdu à jamais et qu'il n'y a pas d'espoir.
À ce moment, lève-toi car
Il ne tient qu'à toi de repartir.
La vie est une balançoire
La vie est une balançoire
La vie est une balançoire




BOUCHE DE ROSE



Version française – BOUCHE DE ROSE – Marco Valdo M.I. – 2008

Chanson italienne – Bocca di Rosa – Fabrizio De André – 1967


Suite à un incident technique, l'ensemble du précédent blog Canzones a été écrasé et de ce fait, ne peut plus être continué dans son ancienne forme... Il est cependant toujours accessible. 
On va donc tout reprendre depuis le début et revoir les quelques 1750 articles... Ce sera l'occasion de la corriger et peut-être de les améliorer...
Bien sûr, il y faudra de la patience et du temps... On compte en mois ou en années...
Bouche de Rose était la première... La revoilà !




Une remarque d'abord avant d'aller plus loin. Donc, une remarque préliminaire. Je n'ai jamais compris pourquoi les CCG n'ont pas mis Bocca di Rosa parmi les Chansons contre la Guerre, alors qu'il existe par exemple, un « parcours » de la « guerre contre les femmes ». Je dis cela, car j'avais envoyé une traduction de Bocca di Rosa – Bouche de Rose, il y a bien longtemps. Je pense même que c'était la première ou une des premières que j'avais faite. Était-elle si mauvaise ? Je ne sais. D'ailleurs, je la représente aujourd'hui « telle quelle ». J'ai tout juste un peu plus nourri notre conversation.
Je le fais car notre bon Ventu vient d'insérer tout un texte de sa main à propos de Bocca di Rosa dans les commentaires à une chanson de Brassens [http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=it&id=43084#agg123852].

Cela dit... Je tiens personnellement Bocca di Rosa pour une des plus belles chansons de Fabrizio De André et aussi, comme l'illustration de sa complicité avec Georges Brassens. Tout comme la Chanson de Marinelle – Canzone di Marinella.
Et je ne comprends pas pourquoi elles sont ainsi ostracisées, renvoyées dans les commentaires à une chanson de tonton Georges qui est tout aussi indirectement qu'elles, une chanson contre la guerre. Il me paraît de toute justice et de toute équité de les replacer comme chansons – canzoni à part entière dans cette formidable chantothèque ...

Et puis, ce portrait d'une femme libre et légère, libertine (Ah ! Voltaire, Ah ! Diderot!) est un fameux pied de nez à toutes les bien-pensantes, à toutes les mégères, Mysogynie à part [http://lymoc.pagesperso-orange.fr/paroles/map_p.html] à toutes les emmerdeuses et aux emmerderesses itou. Cela dit, je ne leur fais pas la guerre à celles-là, je me contente de les écarter, de les ignorer et tout comme toi, de poursuivre mon chemin. Sauf bien évidemment, si comme pour Margoton, elles s'en prennent à mon chat – là, je leur enverrai mon fantôme pour les persécuter dans toute l'éternité.

J'insère donc ici la traduction du texte de Riccardo Venturi : BOCCA DI ROSA
di
Riccardo Venturi (2001)

BOUCHE DE ROSE
Riccardo Venturi (2001)
(traduit de l'italien : Bocca di Rosa – Riccardo Venturi 2001 – dans [[http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?lang=it&id=43084#agg123852]]
Peut-être, peut-être celle-ci serait la « bonne page» pour mettre cette vieille histoire, écrite en son temps pour une mailing list. Une « Bocca di Rosa » légèrement adaptée aux «temps nouveaux  », mais il y a quand même un peu de « Marinella », surtout à la fin. Je me rappelle qu'à l'époque, quelqu'un l'avait prise pour une vraie nouvelle ; on voit qu'elle était entièrement plausible. Mala tempora currunt. La « Gazette du Levant » et plus exactement, La Gazette du Levant n'existe pas ; ou mieux, elle existe partout. (rv)

Ils l'appelaient Bouche de Rose, qui était – dit la « La Gazette du Levant » – la traduction exacte de son nom en langue yoruba ; Okôbwa Gblé. Débarquée clandestinement sur une improbable côte italienne, sortie d'un camion roumain ou ukrainien, arrivée en avion du Nigeria avec quatre autres filles de même pas vingt ans, avec les billets payés par l'habituel « on ne sait qui ».

Que leur avaient-ils dit ? Il suffit de dire peu à une fille qui vit dans une baraque de la banlieue de Lagos ; il suffit une promesse vague, un travail, quelque chose à gagner pour une mère et six frères et sœurs, dont quatre malades du SIDA. Une très belle fille, de celles qui font tourner la tête ; violée à onze ans et demi par un oncle petit « ras » (chef) du bidonville. Il n'y a pas pas de quoi s'étonner ; ça se passe aussi chez nous.

Et le travail, elle l'a trouvé, Bouche de Rose; accueillie par un métis de ses compatriotes et d'« italiens », elle a été affectée à sa zone. Elle lui plaisait même relativement bien : un quartier de l'extrême banlieue du levant génois, de Sant'Ilario, qui un temps était un village et maintenant se confond avec les autres quartiers peuplés d'autoroutes au cinquième étage des maisons, de viaducs et d'anciens clochers coloriés qui paraissent vraiment des diamants dans le fumier.

Sur la nouvelle allée d'accès au quartier, obtenu après tant d'années grâce à la bataille de l'habituel comité civique (présidé par le notaire, chevalier. Tiberio Deogratias, et du principal du collège local – je ne me rappelle pas son nom, mais qui était connu, assez curieusement, comme « Moustache de Suif »), la fille nigériane Okôbwa Gblé – les accents ne sont pas mis là par hasard ; ils indiquent des « tons » précis de sa langue compliquée – semble avoir obtenu immédiatement un grand « succès ». Avec d'autres compagnes de routes – albanaises, roumaines, sénégalaises – elle arrivait lorsque, l'été, il faisait encore jour. Un travail comme un autre, se disait-elle. Mieux que mourir de faim à la maison. Mieux que mourir du SIDA. Ici, au moins, tous sont bien propres et enfilent un préservatif. Le « Mal d'Afrique » : ce sont les blancs qui l'ont inventé, non ?

La « Gazette du Levant», comme tous les journaux locaux de ce monde, accorde beaucoup d'importance aux « faits divers» ; on ne sait peut-être pas lesquels sont authentiques et lesquels sont inventés de toutes pièces, mais il faut faire bouillir la soupe, et il faut aussi survivre à la concurrence impitoyable de GQC (Grand Quotidien Citadin, de tendances philogouvernementales indépendamment du Gouvernement). Il semble donc que, pour passer une demie heure avec Bouche de Rose, ils arrivaient même du centre et même de l'extrême ponant. De Voltri et d'Arenzano, en somme ; et, si vous connaissez Gênes, ça fait une belle trotte. Inutile de dire, ensuite, que la population masculine de Sant'Ilario formait souvent, entre onze heures et minuit, un petit engorgement sur le boulevard. Parfois, il y avait la régulière descente de la Police ou des Carabiniers, et puisque la fille était en attente d'un permis de séjour, un commissaire maigre, qui était connu pour séquestrer des valises de pendentifs, avait émis un permis provisoire. Mais Bouche de Rose, ensuite, devait retourner à son boulevard ; ceux de la bande n'étaient pas tendres avec celle qui traînait.

Cette histoire a une allure singulière ; quelqu'un, qui sait, pourrait un jour nous écrire une chanson dessus (même si, franchement, on ne voit pas actuellement qui pourrait). Sant'Ilario, comme nous l'avons dit (et comme, d'autre part, particulièrement l'a écrit la « Gazette du Levant») est un village pas encore fort urbanisé ; le résultat est qu'il vit les problèmes de la grande ville et des banlieues dégradées sans avoir perdu les caractères et les défauts du village. Vu que maris, fiancés et amants de vingt à soixante ans démontraient aimer s'entretenir un peu trop avec cette « sale nègre » (ils le faisaient même depuis longtemps avec d'autres, mais on sent bien que Bouche de Rose devait être légèrement plus belle que la moyenne), les commères étaient compréhensiblement et visiblement préoccupées. « Et s'il me revient à la maison avec le SIDA, ce porc ? » « On devrait les rejeter toutes à la mer ! » « Maudites, qu'elles restent chez elles ! » « Mon mari, je ne le touche même plus avec un doigt ! Il est infecté ! » « Mais comment c'est possible que l'État et la Police ne fassent rien ? »

Selon la « Gazette du Levant », voici un échantillon des phrases plus fréquentes qui s'entendirent à une assemblée publique enflammée convoquée au cinéma « Odéon » (ou « Métropolitan » ? « Gambrinus » ? Bof.). Il fallait faire quelque chose ; devant le cinéma, stationnait une petite foule, convoquée par la section de la Ligue d'Action Populaire (un mouvement qui commençait à avoir quelque succès, même au niveau national). Il y avait des écriteaux jaunes avec lettres noires (le jaune et noir sont les « couleurs officielles » du mouvement) ; l'un disait « Dehors Bouche de Rose », ou bien « Bocca de Rosa go home » ; un autre plus audacieux, mais certain d'interpréter correctement les sentiments de la masse, s'était hasardé à écrire « Dehors la sale nègre de Sant'Ilario ».
(Bien entendu, diverses personnes qui manifestaient étaient habituellement vues – entre onze heures et minuit sur le boulevard ; mais sur ce détail, la « Gazette du Levant» glisse légèrement).
Comme dans toutes les assemblées du genre, on n'arrivait cependant pas à une conclusion claire. Elle semblait être l'habituelle manifestation de muscles qui se termine en queue de poisson, lorsque, tout à coup, une vieille du quartier prit la parole. Jamais mariée, sans enfant et – de l 'avis unanime, laide comme la faim [laide comme un pou, dit-on usuellement en français], elle parla peu. Il y en avait qui continuaient à invoquer la Police et l'État ; elle, par contre, dit simplement que « nous devons y penser tout seuls, et d'une manière définitive ». On la laissa partir avec des ovations, comme disait Brassens dans le Mécréant.

La nuit d'après – et ici la « Gazette du Levant» se fait vague, parce qu'il y a une enquête en cours et le procureur n'admet pas de fuites – il semble qu'une auto avec à bord trois hommes se soit rendue à l'endroit où Bouche de Rose avait coutume stationner en attente des clients. Enlevée avec la promesse d'une substantielle compensation, la fille nigériane Okôbwa Gblé de 19 ans, une clandestine en attente de régulariser son permis de séjour, est emmenée sur un viaduc de l'autre côté de la ville. Peut-être pressentit-elle quelque chose, peut-être non ; à un certain moment, elle sortit un couteau de cuisine. Il y eut, comme on lit toujours dans la gazette, un « bref corps-à-corps » ; et il était forcé qu'il soit bref. Une fille seule contre trois énergumènes. Elle en a même reconnu un ; c'était celui qui demandait toujours un « pissing ».
Ils la prennent de force. Elle est déjà assommée. Il est quatre heures du matin, il n'y a pas une âme alentour. Quatre-vingt mètres de vol; et personne ne l'a vu voler.

L'a trouvée, à sept heures et demi du matin, un garçon qui allait à école ; il a tout raconté la police ; mais à la « Gazette du Levant», il ne voulut rien dire. Vous le comprendrez. Avez-vous jamais vu quelqu'un qui est balancé de la moitié ou du tiers de ces (80) mètres ? Moi oui, au moins une dizaine ; et je vous assure que c'est un spectacle auquel on ne s'habitue jamais. Plus on voit la mort, et moins on s'y habitue.

Donc, adieu Bouche de Rose. Quelqu'un t'a fait un enterrement de troisième catégorie, sans vierges au premier rang. Tu as fini dans un cimetière quelconque, avec ton nom et ton âge. Pas de photo. La célèbre « pitié anonyme » de temps en temps dépose une fleur sur ta tombe, qui d'ailleurs se fane rapidement. Tu penses quelle affaire : un chanteur d'ici, tant d'années avant, sur un fait du genre, nous avait vraiment écrit une chanson. À propos d'une qui « s'était envolée au ciel sur une étoile ». Malheureusement, ce chanteur est mort, il y a quelques années ; pour toi aucune chanson, aucune étoile. Tu ne t'es pas envolée au ciel, mais seulement d'un viaduc dans une nuit sans lune.




Ah, Lucien l'âne mon ami toujours très porté sur les choses de l'amour, tu vas aimer cette chanson. C'est une chanson d'amour, c'est évident, mais une chanson qui relate un épisode de guerre, tout aussi clair. Elle s'intitule Bouche de Rose.


Oh, oh !, dit Lucien l'âne en rougissant du bout des lèvres, voilà qui me paraît passionnant et tout à fait dans mes préoccupations, moi qui, comme tu le sais, suis ensorcelé et ne pourrai retrouver mon apparence originelle que si j'arrive à manger certaine rose... Peut-être, vais-je enfin la rencontrer.... Mais que raconte au juste cette chanson et de qui est-elle ?


Dans l'ordre : c'est une chanson de Fabrizio De André, grand auteur-compositeur-interprète italien... On lui connaît plus d'une centaine de chansons. Il est aussi connu comme celui qui a fait connaître Georges Brassens au public italien. Cette chanson-ci, Bouche de Rose est d'ailleurs à mon sens une chanson qui irait très bien dans l'univers de Tonton Georges. Une sorte de variante de Margoton, mais en plus explicite cependant. Je suis même à peu près sûr de la filiation : on y retrouve les gendarmes, tous les hommes de la commune, les femmes coalisées, jalouses et rancunières contre la jeune et jolie bergère, qui plaît tant aux hommes. C'est quasiment un archétype. D'ailleurs, va lire À l'Est d'Eden du bon Steinbeck... Dans un certain sens, c'est une critique féroce du groupisme, du panurgisme et du « Il faut être comme tout le monde », qui est le fondement de tout fascisme. Car à quoi crois-tu que sert la mode ? Bien sûr, à développer le chiffre d'affaires de commerçants, mais aussi et je pense même surtout à tenir le troupeau.


Nous les ânes, on n'est pas trop portés sur le troupeau et moi qui te parle, Marco Valdo M.I. mon ami, moi qui te parle, je serais plutôt partisan de la mauvaise herbe. Elle a meilleur goût.


Je sais, je sais, je te connais assez, Lucien l'âne mon ami, pour savoir que tu as – comme moi d'ailleurs et tonton Georges et Fabrizio et Riccardo et Bouche de Rose et des millions d'autres (heureusement !) « mauvaise réputation ».


« Mieux vaut avoir mauvaise réputation que pas de réputation du tout », comme aurait dit Michel Simon à propos de sa gueule :« Mieux vaut avoir une sale gueule que pas de gueule du tout » et il en avait une fameuse et laide avec ça.


Donc, je te disais une histoire de guerre, une dénonciation d'une forme de guerre sournoise que les femmes de bien mènent contre les femmes qui répandent le bien. Une guerre féroce, parfois même carrément atroce dans laquelle on retrouve les pires coups tordus, jusque et y compris le meurtre. La femme libre – tout comme l'homme libre, d'ailleurs – est souvent mise au ban, reléguée en quarantaine, écartée, puis, poursuivie, chassée – c'est le cas de Bouche de Rose ou franchement poussée à la mort, c'est le cas de Clara la pazza, celle qui ne pouvait dire que Houhou ! (http://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=8853&lang=it).

Alors, dit Lucien l'âne, il n'y a pas que les hommes à être d'aussi exécrables tueurs...


Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane




On l'appelait Bouche de Rose

Elle mettait l'amour au dessus de tout

On l'appelait Bouche de rose
Elle mettait l'amour par dessus tout

Dès son arrivée à la gare
Du village de Saint Hilaire
Tous s'aperçurent d'un regard
Qu'elle n'avait rien d'un missionnaire.

Y en a qui font l'amour par ennui
Y en a qui en font une profession
Bouche de Rose ni l'un ni l'autre
Elle le faisait par passion

Mais la passion souvent conduit
À satisfaire ses propres envies
Sans chercher si le bien-aimé
A le cœur libre ou est marié

Il fallut que cela un jour advienne
Bouche de Rose s'attira
La colère funeste des chiennes
Auxquelles elle avait piqué leur plat.

Mais les commères du village
Ne brillaient pas par l'initiative
Leurs répliques à cet outrage
Se limitèrent à l'invective.

On sait que les gens donnent de bons conseils
Discourant comme Jésus au Temple,
On sait que les gens donnent de bons conseils
Quand ils ne peuvent donner le mauvais exemple.

Ainsi une vieille jamais mariée
Sans enfant et sans désir,
S'efforça avec plaisir,
De donner à toutes le conseil approprié.

S'adressant à ces cornues, elle dit
Sur un ton sans réplique :
« Le vol d'amour doit être puni
Par les autorités publiques ».

Elles s'en allèrent trouver le commandant
Et lui dirent sans barguigner :
« Cette salope a déjà plus de clients
Que tout un supermarché »

On envoya quatre gendarmes
Avec leur plumet, avec leur plumet,
On envoya quatre gendarmes
Avec leurs armes et leur plumet.

Le cœur tendre n'est pas du métier
Que pratiquent les carabiniers
Mais cette fois au train
Ils l'emmenèrent sans trop d'entrain

Cette nouvelle originale
N'eut besoin d'aucun journal.
Comme une flèche décochée,
Partout, elle s'est envolée.

À la gare, tous étaient là
Du commandant au sacristain
À la gare, tous étaient là
Les yeux rouges, le chapeau à la main.

Pour saluer celle qui
Sans aucune prétention,
Pour saluer celle qui
Importa l'amour dans le canton.

Sur le quai, on voyait une pancarte jaune
Avec un écrit au mitant
Qui disait : « Adieu Bouche de Rose
Avec toi, s'en va le printemps ».

Et à l'arrêt suivant, dans la gare
L'attendaient plus de gens qu'à son départ
Celui-ci lançait un baiser, celui-là une fleur
Ce dernier la réservait pour deux heures.

Jusqu'au curé qui ne déteste pas
Entre un miserere et un Ave-maria
La beauté sans concession
Qui la voulut dans sa procession.

On promena l'un menant l'autre, dans tout le pays,
Les deux amours : le sacré et le mécréant.
Bouche de Rose en surplis
Et la Vierge au premier rang.